Décès du journaliste Didier Falade

Le témoignage de son frère jumeau dans le métier

Le monde de la presse béninoise est en deuil. C’est en effet un monument, un des plus beaux fleurons de la presse, une grande figure qui s’éclipse avec la disparition précipitée et prématurée de Didier Faladé, le mardi 08 septembre 2009,  à Cotonou au CNHU Koutoukou Maga. La belle fleur qui fane va longtemps embaumer le cœur de ceux qui l’ont connue et surtout des professionnels de l’information et de la communication.

A l’image de René Dossa, journaliste, président de la HAAC, première mandature de vénérée mémoire, Didier Faladé, 57 ans,  a marqué son temps et toute une génération par ses qualités intrinsèques d’homme amoureux du travail bien fait, rigoureux, infatigable et intègre. Voilà autant de valeurs qui lui ont permis de gravir tous les échelons,  dans une rédaction d’organe de presse,  comme dans l’administration publique,  pour devenir un des rares  produits de la presse béninoise, de ces dernières années.
Les riches expériences et les titres qui ont jalonné l’exceptionnel parcours professionnel et administratif  de Didier font foi : chef central de programme à la télévision nationale, directeur de la Télévision nationale par intérim, directeur du BUBEDRA (Bureau Béninois des Droits d’Auteur), Directeur de l’Inspection et de la Vérification Interne et  Directeur de Cabinet.
Didier, avec tant de responsabilités et de charges assumées, tu as été, malgré toi, un homme public dont on ne peut faire facilement un vrai  et complet témoignage. Pourtant,  je prends le risque de brosser, ici, ce que tu es, non pas comme  tout le monde le ferait, mais à ma manière, moi, ton camarade à l’école de journalisme CESTI – Université de Dakar, ton collègue, ton frère jumeau dans le métier.
Didier Faladé dit D. Olasso, ton surnom de banc d’école,  nos liens multiples noués depuis 30 ans  au CESTI,  n’ont cessé de se vivifier, au fil des années, dans la profession, comme dans l’administration publique.

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 Un destin commun

Quel destin commun fut le nôtre,  de ta naissance à ton jour fatidique du 08 septembre où le terrible sort te dribla et t’obligea à me faire faux bond. L’année 1952,  nous a vu naître,  moi,  un jour de fin janvier, toi,  un jour de fin mai. En cette fin de carrière, comment ne pas se rappeler de nos débuts communs. Tous deux de la 7ème promotion du CESTI, 1977-1979, nous avons atterri un jour d’octobre 1977 à Dakar, pour retourner, toujours un jour d’octobre,  à la fin des études, dans le même vol, à Cotonou, avec en poche le même parchemin : le diplôme supérieur de journalisme de l’Université de Dakar, toi,  pour l’option télévision et moi,  pour l’option presse écrite. Pendant que je m’apprêtais à prendre quelques jours de vacances, tu m’as convaincu à  démarrer ma carrière avec toi,  le même jour. Ce fut le 1er novembre 1979, la date de notre baptême commun de feu dans la fonction publique. Toi,  au journal télévisé de l’ORTB ; moi, au quotidien national Ehuzu de l’ex- ONEPI.
Dans l’espoir de nous ouvrir les horizons, en début de carrière, nous  prenions la  résolution d’ajouter au diplôme du CESTI,  d’autres titres universitaires,  afin d’augmenter nos chances de bénéficier d’une bourse pour les études de doctorat en journalisme, ou simplement de  3ème cycle,  dans une autre filière. Aussi avons-nous fait notre inscription à la faculté de  droit de l’Université Nationale du Bénin,  dès 1980. Tu décrochas en 1983,  ta maîtrise en sciences juridiques. Un an après, je t’emboîtais le pas,  en obtenant le même diplôme, dans la même faculté de droit.

 Champion de la rigueur  

Au terme de cinq années d’expérience de rédacteur à Ehuzu, je suis appelé à d’autres fonctions dans l’administration publique,  au ministère de l’Information. Toi, tu as pratiqué plus longtemps en tant que présentateur, reporter, commentateur, 1979- 1983, chef de service central des programmes 1986- 1990 et directeur de la télévision nationale par intérim en 1998. Seulement onze années sur les plateaux de la télévision nationale,  et nos chemins se croisent au ministère où tu es affecté.
          Faisant bon cœur, contre mauvaise fortune, tu as su te plier très vite aux exigences de l’administration. Les mutations se passent sous d’heureux auspices pour toi qui arrives dans l’administration avec tes qualités de professionnel de l’information rompu aux concepts et pratiques de rigueur, de compétence, d’obligation de résultat, et de dead line (respect strict de délai). Avec un tel profil, tu es bon, un peu comme un prêt-à-porter pour l’administration  où tu  forces très vite  l’admiration et la confiance de tes nouveaux chefs hiérarchiques. Résultante : tu es promu aux postes de directeur du BUBEDRA 1992-1995, de conseiller Technique à l’Information,  1995- 1998 et de DIVI,  1998- 1999. Le sérieux et la compétence développés à ces postes amènent  le ministre de la Communication fraîchement nommé, dans le gouvernement de Kérékou II  à jeter sur toi son dévolu comme directeur de Cabinet. Il n’y avait pas meilleur profil que le tien, ont reconnu, dans le temps, presque à l’unanimité, les professionnels de l’information qui ont approuvé et soutenu ta promotion ;  pour la bonne raison qu’ils ont rarement vu un des leurs installé à un poste aussi élevé dans la hiérarchie de l’administration en général, et d’un ministère en charge de la Communication en particulier.
Directeur de Cabinet cinq ans durant, tu n’as pas démérité, tu as donné le meilleur de toi- même. Tu es si passionné,  au point d’oublier ou mieux de sacrifier,  tous tes mois de congé administratif.

 L’art de convaincre

Nos propos n’ont rien d’éloge flatteur. A titre d’illustration, évoquons ici, une de ces séances de travail impromptue,  tenue au Cabinet de l’ex- ministre d’Etat  au Plan et à l’Action Gouvernementale,  Monsieur Bruno Amoussou, dans le Gouvernement de Kérékou II. A l’ordre du jour, le point sur les dossiers du secteur de la communication, à la veille de l’arrivée au Bénin d’une délégation étrangère française. En l’absence de notre ministre Gaston Zossou,  alors en mission hors du Bénin,  Directeur de Cabinet et  Secrétaire Général du ministère, vous avez planché avec brio,  et une telle connaissance des dossiers que le ministre d’Etat,  l’air finalement  détendu,  après le vibrant plaidoyer, n’a pu s’empêcher d’avouer sa satisfaction. Lui qui voulait retirer le dossier des mains de notre ministère et le gérer personnellement.
D. Olasso, ton goût du travail bien fait , dans les délais respectables t’oblige à une discipline de fer librement consentie, par toi, mais pas toujours partagée, ni comprise des membres du personnel ou des collaborateurs.
Si certains finissent par te comprendre et adopter ta logique de rigueur, d’autres,  par contre,  n’y arrivent pas  et donnent dans des critiques. Mais qui t’a pratiqué comme moi, sait le culte que tu voues au travail bien fait, à toute entreprise menée à la perfection. Aussi, déploies-tu un trésor d’effort à  militer,  sans cesse pour les relations de travail saines où il ne peut avoir de place pour des gens au ventre mou (tu aimes bien l’expression pour qualifier les canards boiteux), peu enclins  à l’effort, nonchalants, flemmards…

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Gendarme, malgré lui

Le poste de DIVI a été pour toi une planche de salut pour tenter de corriger tant de mauvais comportements,  de pratiques et  d’habitudes rétrogrades. Ce faisant,  tu as parfois excellé dans des contrôles inopinés des directions et d’organismes sous tutelle des secteurs de l’Information, de la poste et des télécommunications. Et à ton corps défendant, la fonction et les obligations de service  t’ont consacré comme un gendarme, notamment  aux yeux  de ceux qui sont viscéralement contre tout principe d’audit, d’évaluation ou même du simple contrôle. Le chien aboie, la caravane passe.
Mais en fait, que reprochez- vous à Didier ? A cette question, ceux qui confessent ouvertement,  ne pas te porter dans leur cœur avancent comme argument : tu es trop rigoureux, trop pointilleux, trop fermé, trop réservé ? Mais à quels bons résultats peut t- on s’attendre sans une bonne dose de rigueur, de sérieux, de méthode, de réserve ? En tout cas, personne de ceux que j’ai interrogés,  n’a cru devoir mettre en cause ton intégrité, ta bonne gestion du patrimoine public.
Cher directeur, j’ai cru finalement comprendre que ton refus systématique d’accepter des cadeaux, des dons et d’autres libéralités de directeurs, de cadres et même de personnes pourtant bien intentionnées ne peut provenir que de ta pensée de considérer,  à tort ou  à raison,  toute faveur comme des germes de la corruption ou simplement des pas probables de début d’achat de conscience. Le refus de tout don est peut- être pour toi une arme de mieux garantir ton indépendance d’esprit vis-à-vis des autres.

Un humain faible

J’ai frais en ma mémoire, l’anecdote de cadeaux qu’au retour d’une mission je t’ai offert, moi ton ami, alors au  poste de Directeur du  Centre de Documentation des Services de l’Information au ministère de la Communication. Très gêné et embarrassé, tu as lâché : « écoute, pourquoi t’obliges- tu à faire ces gestes. Retiens bien que c’est la dernière fois que j’accepterai un tel cadeau».  Comme moi, certains autres collègues, tes collaborateurs m’ont confié avoir eu à essuyer des rebuffades du genre.
Le sentiment d’humiliation qui m’habitait au regard du refus du cadeau s’est vite estompé quand j’ai fait l’effort de comprendre ta logique. Et en ces temps où les choses les mieux partagées dans la société  béninoise s’appellent intérêts personnels, profits malhonnêtes, pots de vins, libéralités, et pourboires de toutes sortes, tu fais figure,  cher ami,  d’une espèce rare.
D. Olasso, voilà succinctement, ce que je peux maintenant témoigner de toi, je n’ai rien dit des nombreuses charges et responsabilités que tu as assumées ni  dans le domaine de la culture,  ni sur le plan international.
Cher ami, loin de moi l’intention de te présenter comme un saint, car tu n’es qu’un humain faible, avec tes défauts,  très nombreux,  aux yeux de certains. Mon souhait et prière, c’est que tous ceux qui se sont sentis, d’une manière ou d’une autre, frustrés,  humiliés ou brimés dans le cadre des relations de travail, retrouvent les vertus de l’amour et du pardon et se consolent. Saint Augustin nous apprend opportunément  la leçon en ces termes : « comme le mobile de beaucoup d’actions nous échappe, il est téméraire de porter un jugement. Les plus promptes à juger témérairement et à blâmer les autres sont ceux qui préfèrent condamner que corriger et ramener au bien, ce qui dénote orgueil… »
 Et maintenant, quel mot de la fin, si ce n’est l’espoir mijoté de voir l’exemple de l’homme de dossier, du travailleur consciencieux et intègre que tu as été,  faire tâche d’huile,  dans la profession en pleine mutation, et dans la société !
Que ta chère épouse,  Bernadette et tes trois enfants reçoivent mes condoléances et celles de l’ensemble des journalistes béninois, toutes tendances confondues !           
Paix à ton âme, cher ami !

Par  François Dégila

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