Portrait d’artiste

Edia Sophie, une voix que l’âge ne déteint point

Doyenne d’âge des artistes féminines qui font leur chemin dans la musique moderne au Bénin, Edia Sophie, de son vrai Sophie Aguidigbadja, est une bibliothèque. Une icône qui, à 70 ans, demeure une voix pleine de vivacité et d’émotion. Dimanche 10 août 2008. Le bruit court d’Abomey-Calavi et embaume tout Cotonou. Edia Sophie est malade. Gravement. La doyenne des artistes chanteuses est entre la vie et la mort. La peur plane sur la ville. L’air devient silencieux, presque absent. Dans beaucoup de ménages, une seule intention domine: «Que Dieu fasse qu’elle reste un peu encore avec nous.» La nouvelle se rallonge. Elle prend des ramifications plus inquiétantes. Des colporteurs d’illusion s’en mêlent. On annonce déjà l’incapacité de la dame à s’en sortir. Aussitôt, les médias prennent le devant. Constat. Plus de peur que de mal. Edia Sophie a fait une crise d’hypertension artérielle.

Admise à l’hôpital de zone d’Abomey-Calavi puis transférée ensuite à la clinique Boni à Cotonou, elle bénéficie d’une ingénieuse assistance médicale. La rumeur se tait tout d’un coup. Le public entend à nouveau la voix de la rossignole. «Je me porte bien», lance-t-elle de son timbre suave et envoûtant. «Adjanouvi» se fait entendre en live. «Edia Sophie est de retour», s’éclate plus d’un. Elle sent subitement ses 70 ans s’envoler. Lui donner quarante ans à l’instant, ne serait pas causé du tort à sa réputation. Elle les porterait bien, mieux qu’une vraie quadragénaire.

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Edia Sophie est naturellement d’un physique qui contraste avec son âge. Si elle n’avait pas rendu public son âge réel, personne ne la classerait parmi les septuagénaires. Toujours jeune. Jamais vieillissante. La «mémé» fait partie d’un spécimen particulier de femmes africaines. Généralement, les pesanteurs psycho-sociologiques font que les femmes déclinent très vite en Afrique, laissant derrière elles leur âge. Mais telle n’est pas le cas de la première femme béninoise à prendre le micro pour chanter, accompagnée d’une orchestration moderne.

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Les débuts d’Edia Sophie dans la musique remonte en 1965. Elle avait à peine 25 ans et vivait à Abomey. Marquée par un morceau de l’orchestre Renova Band, exécuté par Nestor Hountondji, elle décide de chanter. Elle se rapproche de ce dernier et se confie à lui. La plupart des membres du groupe pensent qu’en admettant une femme en leur sein, l’orchestre risque de voler en éclat. Car, de mémoire de Dahoméens (aujourd’hui Béninois), jamais la femme n’a daigné faire de la musique moderne. C’est un métier réservé exclusivement aux hommes. Donc impossible d’accepter qu’une femme vienne semer le trouble dans l’ordre naturellement établi. Mais la jeune femme ne perd point le courage. Elle est décidée, engagée comme poussée par une force surnaturelle. Deux choses armaient sa détermination. Elle se savait capable d’exercer le métier. Elle était déjà mariée et mère de famille.

Grâce à Dansi Zindjo, percussionniste du Renova Band, Sophie Aguidigbadja fait la connaissance du chef de l’orchestre, William Basile Cakpo. Bien que surpris, celui-ci lui pose à plusieurs reprises la question: «Veux-tu vraiment chanter ?» Le «Oui» de la femme ne souffre du moindre bégaiement ni de cafouillage. Le génie de l’art a déjà ensorcelé tout son organisme. Il circule désormais dans ses vaines comme la sève dans l’arbre. Alors, le chef du Renova Band la met à l’essai. Sans commentaire ! Le résultat est patent. Sophie Aguidigbadja peut bien chanter !

La révolution d’une tradition

«On va trop te critiquer», avertit tout de même William Basile Cakpo, en signant l’entrée officielle de Sophie Aguidigbadja dans le Renova Band. Et les critiques ne se font pas attendre. Elle était effectivement un objet de curiosité. Elle paraissait déshonorante aux yeux de l’opinion. Mais, dans le même temps son talent devenait rassurant. Loin d’un déshonneur, elle apportait d’emblée une révolution à un système rébarbatif. Sa première grande sortie fut le Campement d’Abomey.

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Le timbre de sa voix et la justesse vocale attirent Omer Gbaguidi, Marius Agbo et Elias Zounon, de célèbres animateurs radio de l’époque. Ils décident d’organiser un concours de musique. C’était en 1966. Renova Band décroche le premier prix grâce à Sophie qui chantait pour la première fois un morceau intitulé «Lo Dodd». Pourtant l’orchestre ne disposait que d’un haut parleur, un tumba, une guitare solo, une basse et une guitare d’accompagnement comme instruments. Même pas d’une batterie électrique contrairement aux autres orchestres qui ont pris part à la compétition.

Christophe Montcho, impressionné par son talent, invite les animateurs radio au Motel d’Abomey pour enregistrer l’orchestre la même année. Ils enregistrent quatre titres en tout notamment «Houn kpinzon toé», «Lo Dodd», «Sègla».

L’année suivante, les animateurs annoncent la deuxième édition du concours de musique. Il est exigé que chaque groupe en compétition exécute «Pour la fin du monde prends ta valise» de Gérard Palaprat plus un morceau personnel. Quand arrive le tour de Sophie, choque et amertume ! «J’ai démarré le morceau et soudain, ma voix a disparu, raconte-t-elle avec beaucoup de douleur dans la voix. Une forte fièvre s’est emparée de moi. Je fus conduite d’urgence à l’hôpital Trois cent cinquante lits, actuel Cnhu. Les médecins se sont mis automatiquement à m’examiner quand, subitement, le malaise me quitta. Au même moment, le concours prenait fin avec la victoire d’un autre orchestre.»

Albarica Store de Porto Novo, intéressé aussi par leur talent, conduit le Renova Band à Lagos pour réaliser un disque quarante-cinq (45) tours. Edia Sophie chante «Adja nouvi» et «Ena sikin». En qualité de producteur et distributeur, Albarica Store paie trente mille (30.000) F Cfa au groupe et devient propriétaire du produit.

Après un temps d’hibernation, Edia Sophie quitte le Renova Band. Elle s’installe à Cotonou où elle fonde Caméléon Sonore. Avec ce groupe elle fait le morceau «Gahounga». Elle découvre le podium du Hall des arts, loisirs et sports où elle donne un concert phénoménal.

L’aventure solo va se poursuivre ainsi jusqu’au 08 décembre 1990, date à laquelle Edia Sophie passe la main à son fils Francis Edia, devant les autorités du pays, prenant ainsi sa retraite. Mais, sa discographie s’arrêtait aux 45 et 33 tours. Aucun clip. Aucune image télévisuelle d’elle. Il lui faudra attendre pratiquement 17 années en plus pour rencontrer sur son chemin Prospère Akouègnon Gogoyi, directeur de la société de production Guru Records. Ce dernier décide de lui réaliser des clips. Ce qui est une réalité depuis l’année dernière. Edia Sophie passe désormais sur les écrans des télévisions dans «Houn kpézon toé» et «Adja nouvi». Mais Guru Records ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Il a élaboré tout un plan de carrière pour l’artiste, bien qu’elle se soit déjà donnée retraite.

Fortuné Sossa

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