Lorsque je répète à l’envie que nous devons tout à notre pays, c’est parce que je crois fermement que le pays est plus grand que tout le reste. Que sans le pays nous n’existons pas alors qu’avant nous, avec ou sans nous et même après nous, le pays existait, existe et existera. Cela, à mon avis, est une vérité éternelle. Qui appelle donc un sens de patriotisme et le nécessaire sentiment d’appartenir à l’entité géographique et juridique qu’est le Bénin. Cela appelle à se sentir fier d’appartenir à ce pays, d’en être ressortissant. Oh ! il est vrai que les avatars des gouvernants, piètres parfois à faire se raidir un ver de terre, mais si imbus d’eux-mêmes au point de croire qu’ils sont au-dessus de tout, peuvent vous enlever ce sentiment, cette fierté. Vous amener à avoir honte de votre pays, à affirmer votre nationalité. Si a contrario, les comportements pervers d’un individu ne peuvent pas amener l’entité juridique qu’est le pays à avoir honte de lui-même, mais peuvent le mettre en position délicate, les hauts faits d’arme d’un ou plusieurs de ses ressortissants peuvent lui valoir la gloire, le rendre fier à se bomber le torse, peuvent lui permettre de s’affirmer dans tel ou tel domaine, de se sentir exister. Les exemples sont légion. Bob Denard, mercenaire attitré, était Français mais la France n’était pas moins fière d’elle-même. Sur un autre plan, les prestations d’orfèvre de l’incomparable Zinedine Zidane la rendaient très fière en matière de football. Et même quand il acheva sa carrière par le fameux coup de boule asséné à l’Italien Marco Materazzi en pleine poitrine lors de la finale du mondial 2006 de football, voici un aperçu de la lecture qu’en a faite la presse française : «… Tel un archange du pinceau contemplant sa toile encore humide, le grand Zidane a détruit, en une fraction de seconde, l’œuvre qui ne demandait qu’à être parachevée. Coups de folie et coups de génie sont l’apanage des grands artistes de ce monde. On l’aime trop notre magicien pour lui en tenir rigueur. En veut-on à Van Gogh de s’être coupé l’oreille ?… » (Onze mondial juillet 2006 Edition Afrique). Belle leçon de patriotisme !
Etre Béninois, un tort ?
Bonaventure Coffi Codjia ou Coffi Codjia pour faire simple, aurait-il tort d’être Béninois ? D’être arbitre international de football, j’allais dire arbitre émérite de football de nationalité béninoise? L’actualité, telle qu’elle a été développée ces jours derniers à son égard, semble conduire à cette conclusion. En effet, après qu’il a officié la demi-finale Algérie-Egypte de la dernière Coupe d’Afrique des Nations de football qui s’est déroulée en Angola, quel déchaînement contre son sifflet, contre sa personne carrément ! Sa réputation traînée dans la boue par une certaine presse algérienne qui le traita de tous les noms pour le rendre responsable de son échec. La malhonnêteté et la mauvaise foi de cette presse algérienne, en l’espèce, ne sont pas à mettre en doute. Il faut néanmoins lui reconnaître son sens du patriotisme même s’il est enrobé de mensonge. Par exemple, tous les amoureux du football, qu’ils soient connaisseurs avérés ou non de la matière ont vu, et grâce surtout aux images du ralenti, que l’égyptien qui a tiré le penalty n’avait pas véritablement arrêté sa course. S’il a bien cassé le rythme de sa course, son pied gauche était toujours en mouvement. Il aurait même marqué un temps d’arrêt que le juge central, Coffi Codjia en l’occurrence, n’aurait commis aucune faute en validant le but. Cela, les connaisseurs qui commentaient ce match et qui ne sont pas Béninois, l’ont indiqué clairement, parce que les arbitres n’ont plus l’obligation de refuser les buts pour course arrêtée au moment de tirer les penalties. Cela, les Algériens aussi le savent. Mais dans leurs articles de presse, il est indiqué par exemple que l’Egyptien s’est « longuement arrêté » ou a marqué une « longue pause » avant de tirer. L’on a même été jusqu’à insinuer que notre « Bona » avait des accointances suspectes avec les Egyptiens ! Toutes choses que nous, ici au Bénin, avons reprises sans nous interroger ! Je parie que si un arbitre algérien avait été en cause parce qu’il aura même mal fait (ce qui n’est pas le cas de Coffi Codjia), tous articles de presse qui tendraient à le dénoncer n’auraient trouvé aucun relais en Algérie. Au contraire, il y aurait eu des répliques bien assaisonnées. Mieux, en ce qui concerne notre Coffi national, des responsables de la CAF sont intervenus sur des chaînes internationales, au lendemain du match, pour indiquer clairement qu’il avait été bon comme à l’accoutumée.
Malgré tout cela, la même presse algérienne et d’autres sur le continent, ont inventé que Coffi Codjia a été « suspendu » voire « banni » par la CAF. Et nous avons repris tout cela encore sans état d’âme, comme si nos reporters sportifs à nous ne pouvaient pas apprécier par eux-mêmes, le comportement d’un arbitre sur le terrain. Par-delà tout ceci, les mêmes rumeurs que nous avons gloutonnement et goujatement colportées avaient aussi décrété, comme autre « sanction », que « Bona » n’officierait pas la prochaine Coupe du monde de football qui se tient sur le continent, en Afrique du Sud. Nous avons repris la même bêtise, la même animosité.
Or, pendant tout ce temps, le site Internet de la CAF qui aurait sanctionné notre Coffi national, restait désespérément orphelin de toute information allant dans ce sens. Aujourd’hui au moins, tous commencent à comprendre qu’il n’y a jamais eu de sanction et qu’au contraire, « Bona » a même été félicité par les spécialistes et les responsables de la CAF pour sa prestation. D’ailleurs et au-delà de tout, croyons-nous sincèrement que ce fut un hasard qu’on ait confié le sifflet à notre compatriote pour officier ce match, le plus chaud et le plus risqué de la compétition ? C’est précisément parce que la CAF fait confiance à son art. C’est parce qu’à l’heure actuelle il est l’un des tout meilleurs pour ne pas dire le meilleur sifflet africain en matière de football. Et s’il n’avait pas déjà officié la finale de la CAN 2008, peut-être lui aurait-on confié la finale de cette compétition. Mais consciente que cela pourrait faire des jaloux et éveiller des susceptibilités, la CAF lui a confié ce match qui n’était, cependant, pas moins qu’une finale. Qui, en effet, a déjà oublié la rivalité pour ne pas dire la guerre entre les deux pays (l’Algérie et l’Egypte), datant de quelques semaines seulement plus tôt, née de leurs confrontations dans le cadre des éliminatoires de la coupe du monde 2010 ? Parlant justement de cette coupe du monde, alors que le talentueux « Bona » se préparait activement pour passer les dernières étapes devant lui ouvrir les portes de la troisième qu’il officierait d’affilé, et qu’il avait plus que jamais besoin du soutien de son pays, des prières et encouragements de ses compatriotes, nous décrétions déjà qu’il ne sera pas de la partie. Nous le conjuguons au passé ! J’ai envie de dire vulgairement « tchikoï ! ». A ce niveau, on apprendra cependant de la bouche du président de la Fédération béninoise de football, El Hadj Moucharaf Anjorin, que la CAF a saisi la FIFA pour lui demander de retirer notre Bona à nous de la liste des arbitres africains retenus pour officier lors de la compétition, sans aucune explication ni motivation. Au cas où cette décision serait définitive, toute cette cabale n’y aurait-elle pas contribué ? Si nous ne le savions pas, sachons-le maintenant, « Bona » est un monument dans son domaine. Plus encore, c’est un atout diplomatique pour le Bénin. Nous nous en rendrons peut-être compte quand il n’officiera plus et que notre équipe ne sera pas représentée lors de prochains rendez-vous internationaux. Je parie que s’il avait été d’une autre nationalité, il connaîtrait autre sort, sans doute meilleur. Ailleurs, on aurait reconnu sa valeur, son mérite. J’ai le sentiment tout de même que c’est parce que sa réussite relève du paradoxe, qu’il est ainsi traité chez lui, même si c’est largement entendu qu’on n’est pas prophète chez soi. En effet, dans un pays sans championnat digne du nom, voir émerger un arbitre de cette trempe n’est pas chose évidente. Ce qui veut dire qu’il a le talent et qu’il a travaillé dur. J’ai personnellement souri chaque fois que je le vois officier des matches de ce que nous appelons notre championnat (heureusement que l’actuel en cours ambitionne d’opérer de vrais changements qualitatifs) et que j’imagine le décalage qu’il doit observer entre les prestations d’ici et celles qu’il voit sur la scène mondiale.
J’ai mal à mon pays !
Face à tout cela, Béninois, j’ai eu le cœur meurtri. Je me suis demandé si nous avons seulement idée de ce qu’est la Patrie, la Nation. Si j’ai eu mal pour « Bona » qui ne mérite pas ce traitement, surtout pas de nous, j’ai eu plus encore mal pour mon pays. Car, ce que nous ignorons, c’est qu’autant l’équipe nationale algérienne représentait bien la Nation algérienne, autant Coffi Codjia, en plus de nos Ecureuils sortis sans gloire parce que trop repus de millions de FCFA avant même la compétition, représentait la Nation béninoise. Il nous appartenait donc de défendre notre Nation comme les Algériens défendaient la leur, de la défendre contre eux. De leur dire que nous, nous avons Bona. Pas eux ! Et c’est ce qui fait la différence. Au lieu de cela, nous avons laissé exprimer grossièrement ce que Me Robert Dossou appellerait « la béninoiserie ». Oui, osons nous demander aujourd’hui combien de Béninois ne sont pas jaloux de Bonaventure Coffi Codjia, combien ne lui en veulent pas parce qu’il réussit. Mais tous ceux qui lui en veulent pensent-ils seulement que c’est à force de travailler qu’il est parvenu à ce niveau ? Que s’ils veulent être comme lui, il leur faut se mettre à la tâche ? Pensent-ils seulement à ce que la seule personne de Bonaventure Coffi Codjia a apporté et apporte encore au Bénin ? Dans les années 90 et début 2000, nous pouvions nous targuer d’être un exemple de démocratie sur le continent. Ainsi, quand les ressortissants des grandes nations de football de l’époque se moquaient de nous, nous leur suggérions de laisser le débat du foot pour parler de démocratie. Depuis, nous ne pouvons plus, objectivement, nous targuer d’être un exemple de démocratie. Mais, au plan du football, quand bien même nos Ecureuils ne nous rendent pas particulièrement fiers, nous avons mille raisons de l’être puisque depuis une bonne dizaine d’années maintenant, notre Coffi national est de tous les grands rendez-vous. Coupe d’Afrique, Coupe du monde, compétitions continentales majeures de clubs, coupe du monde des clubs, etc., il a tout officié ces dix dernières années sur la, planète football, avec une régularité et une qualité déconcertantes. Malgré cela, quand a-t-on déjà vu notre Bénin dont il grandit le nom et l’image (on l’appelle le sifflet béninois, l’arbitre béninois) le décorer, ne serait-ce que de la plus petite médaille que compte son Ordre national ? Par contre, on peut se dépêcher d’en distribuer les plus significatives à des hôtes qui n’en méritent pas, des hôtes qui ne savent même pas ce que cela représente. J’espère seulement de tout cœur qu’on n’attendra pas sa mort pour venir déverser des logorrhées édulcorées devant sa dépouille. Ce serait le comble ! Nous voilà, tels que nous sommes aujourd’hui ! Nous voilà à faire le nivellement par le bas au lieu de chercher à grandir, à nous faire grandir les uns les autres, pour grandir ensemble et grandir le pays.
Bien à toi grand frère Bona, émérite compatriote dont je suis fier, moi, petit Béninois qui n’ai pas ta notoriété, je n’ai que le pouvoir, en ce moment, de t’encourager de toutes mes forces, de te dire de tenir bon, de te supplier surtout de continuer à croire en ton pays, en notre pays, et ce malgré tout. Ton nom restera gravé dans les mémoires, dans l’histoire du Bénin, comme ayant été l’un des tout meilleurs de ta génération, dans ton domaine d’activité, j’en suis persuadé.
Enfin, il me plaît de nous dire modestement mais avec conviction, au regard de cet exemple qui n’est qu’un parmi tant d’autres, que nous avons besoin de refonder notre pays, de l’asseoir sur des valeurs qui le porteront, qui le grandiront. Cela est un impératif si nous voulons vraiment compter dans le concert des nations. Demain, mon beau pays !
Wilfriel L. Houngbédji
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