Les élucubrations sur le régionalisme sont arrivées à biaiser l’analyse scientifique, à savoir en l’occurrence l’importance du facteur ethno-régional en tant que variable lourde dans la dynamique socio-politique du Bénin.
A ce niveau, il faut regretter la démission de nos socio-anthropologiques, occupés pour la plupart à glaner des consultations juteuses, au lieu de se consacrer à des analyses dont ils se disent qu’elles ne serviront à rien. Voire. Il s’agit d’opérer de vraies investigations avec la froideur d’un chirurgien et la rigueur d’un dialecticien, et se demander quel est au fait le poids des déterminismes ethno-régionaux dans notre évolution politico-institutionnelle de 1945 à 2010. Ce fut un vaste programme de recherche que j’ai conduit jusqu’à maintenant avec le concours du CODESRIA et que j’ai dû arrêter lors donc qu’aucun bailleur de fonds n’est disponible jusqu’ici pour prendre la relève du CODESRIA. N’empêche. Mes réflexions se poursuivent et sur cette lancée, de nouvelles hypothèses éclairent ma pensée. La première de ces hypothèses est la suivante :
– il est impossible à un homme politique du Sud de faire « tomber » en temps normal un homme d’Etat du Nord en exercice. Les cas du Président Hubert MAGA en 1963 et du Général Mathieu KEREKOU en 1990 peuvent s’analyser et se comprendre comme les effets de deux vraies révolutions : une révolution populaire dans le premier cas, celle du 28 octobre 1963, une révolution pacifique dans le second cas où suite à la Conférence Nationale, il n’était plus question que Mathieu KEREKOU rempile.
La seconde hypothèse qui est un corollaire de la seconde, est ainsi formulée :
– il est relativement facile à un homme politique du Nord, resté le leader incontesté des régions du Septentrion et d’une bonne partie des Collines, challenger d’un homme d’Etat du Sud, de battre ce dernier. C’est ce qui s’était passé en 1996 entre Nicéphore SOGLO et Mathieu KEREKOU et c’est la seule explication, logiquement valable, de la « remontée en haut » de l’homme-caméléon.
En combinant ces deux postulats, il vient qu’aucun homme politique du Sud n’est actuellement en mesure de battre normalement le Président Boni YAYI en 2011. Le cas échéant, ce serait par la voie insurrectionnelle ou au prix de fraudes massives, source de contestations post-électorales dangereuses qu’il nous faut éviter à tout prix si nous ne voulons pas que Dieu cesse de nous aimer particulièrement.
Les gags que lancent régulièrement certains journaux, à savoir que ABT est en passe de devenir le candidat de toute l’opposition béninoise décidée coûte que coûte à bouter Boni YAYI dehors en 2011, comme elle l’avait fait pour Nicéphore SOGLO en 1996, prennent là tout son sens. Ce fut un célèbre « renard » dit de Djrègbé, qui eut l’idée de la solution mathématiquement imparable, mais politiquement indéfendable, du recours au Général Mathieu KEREKOU, incontesté leader du Septentrion et des Collines, comme le seul candidat de toute l’opposition déclarée d’alors ; ce sera certainement au tour d’un autre « renard », celui de Djakotomé ce coup-ci, de subodorer la même trouvaille du recours à un homme politique du Nord pour les besoins de la cause : s’emparer coûte que coûte du pouvoir d’Etat. Mais cette fois-ci, patatras ! Le challenger du Nord a en face de lui un homme d’Etat du Nord ! Cependant, la dynamique populaire que suscitera la candidature de ABT comme le seul porte-étendard de l’UN et du G13 aura un tel effet d’entraînement au Sud que les indécrottables soutiens septentrionaux et collinaires du fils de Tchaourou seront tentés eux aussi par la nouvelle aventure. Conséquence : le Nord et les Collines ne seront plus des fiefs homogènes fidèles au même leader, mais des régions écartelées entre plusieurs leaders ! Qui l’emportera dans ce cas de figure ?
Pour expliquer la tendance socio-politique lourde que j’ai mise en évidence, il faut avoir à l’esprit que la scène politique se trouve pratiquement au Sud et est plutôt largement animée par les hommes politiques du Sud. Le Nord et leurs alliées des Collines se comportent en l’occurrence comme des minorités et ont les réflexes de survie de toutes les minorités : le resserrement des liens communautaires. D’où leur tendance à se regrouper derrière un seul leader et à toujours voter utile là où leurs congénères du Sud éparpillent leurs voix entre plusieurs leaders sous-régionaux. Cette régularité ne disparaîtra pas de sitôt et si le Président Boni YAYI n’a pas en face de lui un homme de la trempe de ABT, mais plusieurs concurrents dont notamment Maître Adrien HOUNDJEDJI, le réflexe de survie et d’union sacrée autour d’un seul leader porteur d’espoir jouera encore et ABT sera balayé comme un château de sable et le candidat unique de l’UN terrassé comme un cardiaque.
Par Olivier Lucien GUEKPON
Expert consultant en communication et stratégies politiques
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