Editorial: Le régionalisme et la responsabilité de la presse

La sortie fracassante de Rosine Soglo sur le régionalisme rampant en cours sous le régime dit du changement jeudi dernier à l’hémicycle a été diversement appréciée par les médias. Pendant que notre journal titrait fort justement sur le coup de gueule contre le régionalisme , certains confrères n’ont voulu retenir que le « caractère régionaliste » de certains propos de l’ex-première dame, des propos qui, de l’avis de certains commentateurs, seraient de nature à « embraser le pays ».

 

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Au point où il convient de se demander si certains n’étaient pas en mission commandée pour ne mettre en exergue qu’un seul aspect de son intervention en occultant la question essentielle qui est celle du régionalisme et de ses effets pervers à l’ère du changement . Dans notre pays, La question nord/ sud est si sensible qu’on a peur de l’aborder, comme si le fait seulement de l’évoquer constituait un délit. De ce fait, il convient de placer l’intervention de l’ex-première dame dans son contexte. Et le contexte ici se décline en plusieurs volets dont nous ne retiendrons que trois.

D’abord, Rosine Soglo est une femme de caractère dont les propos n’ont pas l’heur de plaire à tout le monde. D’ailleurs, elle n’en a cure ! Elle ne veut plaire à personne- pas même à son mari – quand elle sait qu’elle a raison, . On se souvient, comme si c’était hier, des propos peu amènes qu’elle a tenus sur son «Nicéphore chéri » au retour d’un voyage. Rosine, les Béninois la connaissent déjà : elle est comme ça ! Elle dit ce qu’elle pense crûment, sans prendre de gants. Et c’est quand elle sait qu’elle détient la vérité, qu’elle se met en colère et qu’elle devient plus virulente. Personne n’a jamais pu l’arrêter, l’empêcher d’aller jusqu’au bout de sa logique, de sa vérité. Il a fallu la Cour constitutionnelle pour l’arrêter – injustement, il ya quelques années, lorsque le doyen d’âge qu’elle était avait bloqué le processus d’élection des membres du bureau de l’Assemblée Nationale, parce que la mouvance d’alors ne voulait rien lui « donner ». Elle qui se souciait du respect de la configuration politique de l’institution. La Cour constitutionnelle d’aujourd’hui lui aurait donné raison, puisqu’elle a érigé le « consensus » au rang de « principe à valeur constitutionnelle ».

Deuxio : Rosine est une femme politique, au sens politicien du terme. C’est-à-dire quelqu’un qui sait qu’en politique, il faut savoir donner des coups et être prêt à en recevoir (et elle en a reçu, des coups, ces deux derniers jours, par presse interposée !). Quand elle dit crûment qu’à tel poste il ne faudrait plus mettre quelqu’un du nord, (propos régionaliste s’il en est), c’est qu’elle sait que les adversaires politiques s’y préparent activement. Parce que c’est comme cela qu’elle les voit agir. Alors, que doit faire la presse ? Condamner de façon unilatérale celui qui, voulant dénoncer les pratiques régionalistes d’un régime commet la faiblesse de laisser croire, par ses propos qu’il est régionaliste ? Ou fustiger mêmement celui qui tient de tels propos et celui dont la pratique quotidienne depuis trois ans est carrément régionaliste ?Et c’est ici que nous touchons du doigt le troisième volet, le plus important, celui du contexte politique.

En plaçant l’intervention de Rosine Soglo dans le contexte délétère qui règne dans le pays, on comprend aisément ses propos. Parce que derrière cette dénonciation, il faut voir la stigmatisation de cette volonté affichée du président élu en 2006 de se positionner, à la suite de Mathieu Kérékou, comme le leader incontesté du Nord.

Toutes ces virées nocturnes de notre président dans les contrées déshéritées du Nord et la traque organisée contre ceux des cadres du Nord qui s’allient politiquement à ceux du sud ne sont pas que des vues de l’esprit de quelques opposants aigris
. Toutes ces rumeurs de conclaves et de huis clos tenus dans le septentrion par le premier magistrat , caméras et microphones fermés ne peuvent pas être toutes fausses. Des personnalités et pas des moindres l’ont dénoncé à plusieurs reprises, sans qu’il y ait jamais eu de démentis de la part du principal mis en cause et de ses nombreux porte-paroles. Or, ces propos constamment rapportés sont extrêmement graves et portent atteinte à l’unité nationale, lorsqu’ils viennent de la bouche de celui qui en est garant. Et cette façon d’opposer le Nord et le Sud transparaît partout aujourd’hui : non seulement dans les propos largement diffusés sur les chaînes de radio et de télévision nationale des partisans du chef de l’l’Etat, mais dans tous les actes posés parles tenants du pouvoir.

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Il ressort de ce qui précède que la tâche des médias coule de source et est immense. Elle ne peut être dans les anathèmes faciles et puérils contre un seul camp, quand deux ou plusieurs sont en cause. Notre rôle n'est ni d'étouffer, ni d'amplifier les propos et comportements régionalistes.Notre presse devrait traquer tous ces teneurs de réunions nocturnes et diurnes où il est question d’opposer une partie du pays à une autre, des cadres d‘une région du pays à d’autres, des membres d’une famille à d’autres pour des raisons bassement politiques. Il faut alors commencer par démystifier les termes Nord/Sud qui sont négativement connotés dans notre lexique et faire en sorte qu’ils ne soient plus tabous. Le vrai débat sur le régionalisme s’ouvrira, lorsque nous nous réunirons autour d’une table pour chercher les moyens de régler la question des disparités régionales autrement que par des solutions bâtardes comme les quotas par région pour les examens et concours par exemple, sources de beaucoup de frustrations.

Vincent FOLY

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