Crise dans le secteur pharmaceutique: Une multinationale française au cœur de la tourmente

La demande de la société Ubipharm-Bénin en qualité de grossiste répartiteur fait grand bruit dans les milieux pharmaceutiques béninois. Après avoir essuyé un premier revers avec l’avis défavorable de l’Ordre national des pharmaciens – indispensable pour la délivrance de l’agrément par le ministre de la santé  -, Ubipharm-Bénin tente d’emprunter d’autres pistes  pour parvenir à ses fins. Atteindra-t-elle ses objectifs avec un Ordre des pharmaciens décidé à tout faire pour faire respecter la réglementation en vigueur dans le pays ?

De mémoire de Béninois, l’implantation d’une société de grossiste répartiteur au Bénin n’aura suscité autant de tollé. Celle de la société Ubipharm-Bénin est simplement atypique. Elle livre sur la place publique les soubresauts d’une société déterminée à avoir son agrément de grossiste répartiteur vaille que vaille, et à exercer ses activités au Bénin, après avoir conquis tous les autres pays francophones de la sous région. Ubipharm-Bénin fonce et tente même de contourner la loi pour obtenir l’indispensable et précieux agrément qu’il lui faut pour s’installer officiellement.

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En effet, la société Ubipharm-Bénin est créée en janvier 2009 avec un capital social de 100 millions de F CFA. Son actionnaire principal est Ubipharm International, une société de droit français avec 48,85% du capital. Ismahil Onifadé en devient le président du conseil d’administration avec 1500 parts d’actions d’une valeur unitaire de 10.000 francs. Ce dernier moins de cent jours avant sa nomination à la tête du conseil d’administration d’UBIPHARM-BENIN, était membre du conseil d’administration d’UBPHAR – un des grossistes répartiteurs indépendants à capitaux 100% nationaux – d’où il a démissionné.

Conformément à la loi régissant les conditions d’exercice en clientèle privée des professions médicales et paramédicales et relative à l’ouverture des sociétés de grossistes répartiteurs des produits pharmaceutiques en République du Bénin, « c’est le ministre de la santé qui donne en commission technique l’agrément d’exercer en  la profession de grossistes répartiteurs ». Cet agrément est donné « après avis favorable du conseil de l’Ordre compétent ».

Pour se conformer à cette disposition légale, Ubipharm-Bénin envoie un courrier à l’Ordre en mars 2009 pour demander l’autorisation d’exercer en qualité de grossiste répartiteur. La demande est signée du Dr. H. Dégbey. Au cours de l’examen du dossier, l’Ordre constate que le Dr. H. Dégbey, pharmacien responsable d’Ubipharm Bénin avait déjà introduit une demande d’exercer en qualité de pharmacien d’officine. L’Ordre lui demande de choisir entre être pharmacien d’officine ou grossiste répartiteur. Ainsi commence le chassé-croisé.
Coup sur coup, le Dr. H. Dégbey renonce par courrier adressé à l’Ordre à exercer en officine, puis quelques jours plus tard, fait volte-face. Il renonce cette fois-ci à la licence d’Ubipharm et opte pour la pharmacie d’officine. Dès lors, l’Ordre lui signifie que la demande introduite au nom de Ubipharm est caduque. Il sera remplacé par sa société courant juillet 2009 par le Dr. O. Ladipo. L’étude du dossier reprend son cours au niveau de l’Ordre.
Bien curieusement, alors que l’Ordre ne s’est pas encore prononcé, son président,  prend sur lui d’écrire au président d’Ubipharm-Bénin, à qui il indique que l’ordre donne son « accord de principe » à la demande d’autorisation d’exercer en qualité de grossiste répartiteur, demande par ailleurs en cours d’étude. Or, les textes ne prévoient pas l’octroi d’accords de principe. L’avis de l’Ordre doit être « favorable » ou « défavorable », et transmis à la commission technique du ministère de la santé  pour validation.

Premier avis défavorable

Sur le dossier d’autorisation d’exercice en qualité de grossiste répartiteur pour lequel l’Ordre avait été saisi, il  émet un avis défavorable en date du 9 octobre 2009. L’examen des questions relatives à la légalité et à la moralité professionnelle, à la conformité de la répartition du capital social aux dispositions légales ainsi que de celle concernant la concurrence au sein du marché a fondé cet avis.

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En novembre 2009, le docteur Falilou Adébo, pharmacien et vice président de l’Ordre, en mission en France, entre fortuitement en possession d’un arrêté ministériel. Cet arrêté portant mutation de la licence d’exploitation de MEDIPHARM-BENIN S.A. au profit de UBIPHARM-BENIN S.A. est signé le 4 août 2009. Il tombe des nues. De retour à Cotonou, il demande la convocation d’une réunion extraordinaire du conseil de l’Ordre. A cette réunion, aucun des membres du conseil n’a dit être au courant de l’existence de cet arrêté autorisant la mutation de la licence Medipharm au profit d’Ubipharm-Bénin.

 Deuxième avis : Imbroglio

L’Ordre décide alors d’envoyer une lettre au ministre de la santé pour exprimer sa grande surprise et signaler à l’autorité le non respect des procédures en vigueur. 

Que s’était-il donc passé entre temps ? D’où pouvait bien sortir cet arrêté ? De quelle mutation pouvait-il s’agir ?
On découvre que parallèlement au dossier d’autorisation introduit par le Dr. O. Ladipo en cours d’étude au niveau de l’Ordre, le président du conseil d’administration d’Ubipharm-Bénin avait adressé au ministre de la santé, sans en informer l’Ordre, un autre dossier. Il s’agissait d’une demande de mutation de l’agrément de grossiste précédemment accordé à la société Médipharm au profit d’Ubipharm-Bénin. Ubipharm déclare dans cette autre demande avoir racheté la licence de Medipharm au franc symbolique depuis février 2009. Ce rachat, très curieusement, a été fait antérieurement à la demande d’autorisation introduite par la même société en mars 2009. L’Ordre n’en avait pas été informé.

En réalité, le 4 août 2009, le ministre de la santé avait autorisé la mutation demandée sur la base de l’ « accord de principe » donné par le président de l’Ordre, accord qui concernait plutôt le dossier de demande d’autorisation d’exercice en qualité de grossiste répartiteur.  Il apparaît donc clairement que le pseudo accord de principe a servi de prétexte pour la délivrance d’une autorisation de mutation d’une licence, demande d’autorisation dont l’Ordre n’a jamais été saisi.

En effet, l’arrêté signé par le ministre de la santé accordant cette autorisation mentionnait l’Ordre comme ampliataire, mais en réalité l’Ordre n’a jamais reçu copie de cet arrêté.
Ayant compris finalement qu’il s’est fourvoyé, le ministre revient sur sa décision et abroge l’arrêté de mutation le 7 décembre 2009. Il transmet l’arrêté d’abrogation et le nouveau dossier à l’Ordre pour étude et avis. Au cours de sa session extraordinaire du 14 décembre 2009, l’Ordre donne pour la deuxième fois un avis défavorable au dossier Ubipharm-Bénin. La commission technique du ministère de la santé entérinera cet avis le 29 février 2010.

Autorité d’agrément

Débouté et abasourdi, Ubipharm décide de passer à l’attaque. Bloqué par l’avis défavorable de l’Ordre et de la commission technique, le ministre décide d’introduire le dossier en conseil des ministres pour demander l’autorisation de signer la mutation de la licence de Medipharm à Ubipharm-Bénin.

Pour connaître la légitimité de la nouvelle démarche du ministre, le conseil de l’Ordre décide de prendre l’avis de son conseil juridique, Me Sadikou Alao. Selon ce dernier, considérant les avis défavorables de la commission technique du ministère et de l’Ordre, « Toute autre démarche tendant à faire autoriser l’agrément de Ubipharm-Bénin par le conseil des ministres sous le couvert d’un rachat serait inique, illégal et créerait un fâcheux précédent, le conseil des ministres s’érigeant de fait en autorité d’agrément, rendant caduque toute la réglementation de protection de la santé publique au Bénin ».

Pierre Goura (coll.)

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