Il est mort Umaru Yar’Adua. Le Président du Nigeria, 59 ans, est décédé le 5 mai 2010, dans son pays, après avoir été admis en soins, de longs mois durant en Arabie Saoudite. Il est mort le Président gabonais, Omar Bongo, loin du pays qui l’a vu naître, après qu’il eut été admis, l’année dernière, dans un hôpital espagnol.
Quant au Président Algérien, Bouteflika, il est toujours vivant. Il continue de présider aux destinées de son pays. Mais ce fut à Paris, dans la capitale française, qu’il a recouvré la santé, l’année dernière, à la suite d’une délicate opération chirurgicale. Citons récemment le cas des chefs d’Etat égyptien et camerounais, accueillis pour des soins de santé en Allemagne et celui du chef de l’Etat tchadien admis dans un hôpital en France.
Face aux problèmes de santé de la plupart des Chefs d’Etat africains, l’intervention de l’étranger reste décisive. Cela paraît si naturel que personne, dans leur entourage, ne se sent obliger de justifier, officiellement ou officieusement, ce choix en faveur de soins de santé à l’étranger. Qui du Pape a besoin, dit-on, va à Rome. Qui de bons soins de santé a besoin, dirait-on, sort d’Afrique.
Ce préjugé favorable pour l’extérieur, en matière de soins de santé, dans un contexte ordinaire, ne nous pose aucun problème. On ne peut refuser à personne d’aller pêcher la santé là où il pense la trouver. La vie est la plus grande richesse dont la nature nous a gratifié. Nous avons devoir de défendre, envers et contre tout et à tout prix, un bien précieux qui n’a pas de prix. C’est la raison pour laquelle nous ne nous offusquerons point de voir un citoyen, qui en a les moyens, aller partout à la quête d’un mieux vivre. Quitte à voyager au bout de la nuit. Quitte à se rendre jusqu’aux limites de la terre. Mais force est de reconnaître que toute évacuation sanitaire de nos pays vers d’autres cieux signe, en quelque manière, l’insuffisance, si ce n’est l’échec de nos politiques de santé.
Comment apprécier le sujet quand c’est un Président de la République qui se trouve en situation ? Quand c’est le premier parmi des millions de ses compatriotes qui est directement concerné ? Non qu’il ne mérite pas d’être évacué à l’étranger en cas de maladie. L’Etat qu’il est censé incarner ne serait vraiment honoré et ne serait effectivement grand que s’il avait capacité à faire face à toute exigence, à toute éventualité s’agissant de tout ce qui touche à sa santé. Autrement dit, pour un Etat qui se respecte et vu ce qu’incarne et représente le chef, aucun sacrifice ne devrait être trop grand.
Voilà pour le principe. Mais dans les faits, les éminentes responsabilités du Chef en font un cas à part. Si ces responsabilités situent et placent le chef au-dessus de la mêlée, celui-ci ne devrait pas moins être, pour emprunter une image biblique, le ferment dans la pâte. Pour dire que le chef n’est pleinement chef qu’autant qu’il sait se fondre dans son peuple. Le chef est dans son peuple et avec son peuple, comme un poisson dans l’eau. Cette relation a valeur d’un contrat.
S’il en est ainsi, et première question, le chef est-il fondé à aller chercher ailleurs, pour lui-même, ce qu’il ne peut offrir, sur place, à son peuple ? La quête de la santé dehors par le chef, au plan symbolique, ressemble à s’y méprendre à l’acte du déserteur qui abandonne ses camarades d’infortune ainsi que le terrain commun de leurs luttes et de leurs souffrances. C’est en cela que le privilège du chef d’aller se soigner ailleurs, d’aller trouver loin de son pays la santé qui lui est refusée ou qu’il s’est refusée chez lui pourrait prendre les allures d’un lâchage de son peuple, d’un largage de ses responsabilités.
S’il en est ainsi, et deuxième question, si c’est le chef qui a en charge le destin de son peuple, pourquoi ne se préoccupe-t-il pas de réunir ici, chez lui, pour lui-même et pour son peuple, les bonnes conditions pour de bons soins de santé, plutôt que d’aller les chercher chez autrui ?
Sous aucun prétexte, nous ne devons donner raison à ceux qui veulent faire accréditer l’idée selon laquelle l’excellence, l’intelligence, les bonnes choses sont d’un seul côté de la vie. C’est connu : l’enfer, c’est les autres. Et pourquoi, par nos actes, allons-nous valider cette géographie du sous-développement qui esquisse et dessine les contours d’un nouvel apartheid ? Les meilleurs soins de santé, par conséquent, la vie, c’est là-bas. La santé pour les pauvres ou une santé pauvre, synonyme de mort, c’est ici, chez nous. A moins de sortir de nos périmètres de misère pour aller trouver chez les autres ce dont Dieu nous aurait privés.
Les soins de santé de qualité ne peuvent pas être la chasse gardée de quelques uns, le privilège de quelques pays. Les soins de santé de qualité, qui nous réconcilient avec la vie, peuvent être accessibles à tous. Il s’agit d’en faire une priorité, il s’agit de le vouloir en priorité. Et le reste nous sera donné de surcroît
Jérôme Carlos
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