Le Bénin de toutes les incohérences

On s’amuse à mettre le feu à la maison. Et on coure après solliciter l’assistance des sapeurs-pompiers. Voilà résumée une forme d’incohérence bien béninoise. Et nos compatriotes s’évertuent à l’entretenir comme un patrimoine national. Tous les secteurs de la vie nationale en sont infectés. Aucun espace de pouvoir et de responsabilité n’y échappe. L’actualité charrie, jour après jour, des exemples éloquents de ce mal béninois.

La liste électorale permanente informatisée (Lépi) introduit un facteur de progrès dans l’organisation et dans la gestion de nos différents scrutins. Cela revient, comparaison pour comparaison, à sortir des temps obscurs du Moyen Age pour accéder à la lumière des temps modernes. Les Béninois, quasi unanimement, ont salué cette mutation de fond.

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Tant que la Lépi reste au chaud dans les cartons comme une idée ou comme un projet, pas de problème. La Lépi fiction ou la Lépi projection ne dérange personne. Il en va tout autrement de la Lépi réalité. Tout se gâte dès qu’on passe à l’action. La première pierre inaugurale n’est plus toute seule. Un chantier s’ouvre. Il appelle d’autres pierres pour donner corps et forme à la maison.

C’est alors que les pyromanes sortent des arrières boutiques où ils s’étaient planqués. Ils brûlent ce qu’ils ont semblé aimer la veille. Ils crachent sur tout ce qu’ils rencontrent sur leur chemin. Ils piétinent et écrasent sous leurs pieds ce qu’ils ont pourtant porté jusque là à bout de bras. Sincères à apporter leur appui au projet Lépi. Sincères tout autant à le déchirer, à le déchiqueter dès le lendemain de sa mise en œuvre.

Comment ceux qui n’ont rien fait pour la mise en place d’une Lépi consensuelle et qui, au contraire, n’ont pas eu de cesse de torpiller le projet, de balancer contre celui-ci de redoutables missiles, peuvent-ils devenir subitement de vertueux pacifistes et donneurs de leçons ? Ils vous mettront en garde contre une éventuelle guerre qui ferait de notre pays un autre Rwanda. Ils étaleront leur science à allumer l’incendie, en même temps qu’ils déploieront leur génie à jouer les sapeurs pompiers.

Cette inconséquence notoire, qui trouve chaque jour à s’illustrer dans la sphère politique, s’étale par plaques entières dans l’univers de l’art. En cela, nos artistes, toutes disciplines confondues, n’ont rien à envier aux politiciens. Ils ont même une petite avance sur ces derniers. Dans la mesure où ils peuvent mettre à contribution leur génie créateur pour se faire plus raffinés, plus subtils dans l’accomplissement de toutes basses besognes. En somme, c’est l’art au service du mal ou le mal artistiquement orienté et distillé.

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Pour nous limiter à la musique, le Bénin préfère danser sur les rythmes venus d’ailleurs. Plutôt que de danser sur des rythmes qui portent la marque de fabrique d’un Bénin qui cherche et qui trouve. Cette situation ne donne aucune visibilité à notre pays. Contrairement à ce que le Zouglou fait pour la Côte d’Ivoire, le Mballax pour le Sénégal, le Ndombolo pour la République démocratique du Congo ou le Makossa pour le Cameroun …
Mais tous les musiciens béninois savent qu’ils sont perdants au change à vouloir s’illustrer, chacun dans son coin, comme le roi de ceci – un roi sans royaume – ou comme la reine de cela, une reine sans couronne. C’est du bricolage au quotidien. Cela ne peut assurer à personne la notoriété nécessaire pour porter notre musique hors et loin de nos frontières. Cela ne peut enrichir personne pour espérer voir la musique, chez nous, nourrir enfin son homme de musicien.

Sous ce rapport, tous nos musiciens savent qu’ils se condamnent à un destin nain et sans relief. Jamais il n’auront l’aura d’un Youssou Ndour ou d’un quelconque membre du groupe Magic System. A moins de changer leur fusil d’épaule. A moins de changer leur manière de penser. Pourtant, ils s’obstinent à faire et à refaire ce qui manifestement les appauvrit. On ne peut aider ceux qui ne méritent pas d’être aidés. Et puis, c’est en s’aidant soi-même qu’on appelle et qu’on attire l’aide des autres ? Dans ces conditions, on se trompe de cible à vouloir faire du Ministère de la Culture la cause de ses malheurs. On prend les vessies pour des lanternes à faire du Fonds d’Aide à la Culture, un bouc émissaire. On s’égare à chercher et à trouver hors de soi-même les raisons de son échec.

Touchons d’un mot, notre sport roi, le football. C’est le point nodal de toutes nos incohérences. C’est le carrefour de toutes nos errances. C’est le siège social de tout ce que nous dénonçons dans la présente chronique. Moins nous en dirons, mieux cela vaudra. Car tout a été dit sur notre football. « Racler un os auquel n’adhère plus de viande, nous assurent les sages malgaches, c’est vouloir mériter l’admiration des chiens ».

Jérôme Carlos

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