Le Bénin du changement : ni paradis ni enfer

L’apprenti sorcier. La locution signifie très exactement « Celui qui déchaîne des événements dont il n’est pas capable de maîtriser le cours ». Tels me paraissent, en ce moment, la plupart de nos compatriotes. Les Béninois, dans leur majorité, baignent dans un pessimisme à nul autre pareil. Ils broient du noir. Ils voient tout en noir. De vrais apprentis sorciers.

Concédons à nos compatriotes que la vie est chère. Ce qui met à rude épreuve leur porte-monnaie. L’augmentation du prix du kilowatt/heure d’électricité et l’augmentation du prix de la tonne de ciment sont venues aggraver une situation déjà fort préoccupante.

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Mais nos compatriotes reconnaîtront qu’est dissipé le spectre d’une année blanche qui planait sur l’école du fait de la grève des enseignants. Nous pouvons le dire, l’année scolaire 2009-2010 est sauvée, à moins qu’un tsunami ne vienne brutalement nous surprendre et bouleverser nos prévisions. Les élèves de nos collèges et lycées passeront leurs examens de fin d’année, à la satisfaction de leurs parents. Tout est bien qui finit bien.
Concédons à nos compatriotes que l’insécurité se généralise. Nul n’est à l’abri d’un mauvais coup. Les malfrats ne mettent plus de limites à leur audace. Ils montrent désormais des facettes inédites de leur malfaisance. Au grand dam de nos forces de sécurité qui ne viennent que constater la signature des délinquants sur les terrains d’opération de leurs forfaits.

Mais il reste que, malgré une telle situation, nos grandes agglomérations ne sont pas devenues des cités de la peur où tout le monde se terre la nuit venue. Les boîtes de nuit, les maquis, les restaurants, les buvettes ne désemplissent pas. Nos marchés n’ont pas encore vu nos braves marchands et commerçants abandonner leurs étals. Le marché international Dantokpa reste fidèle à sa réputation de l’un des plus grands marchés d’Afrique. Ses circuits et ses réseaux informels continuent de drainer un flux important de cash-flow.

Concédons à nos compatriotes qu’il ne fait pas bon vivre dans un pays où le délestage soumet les êtres et les choses à sa dure loi. L’énergie électrique est l’expression d’une modernité à laquelle veulent prendre part tous les citoyens normaux d’un pays qui se respecte. Par-dessus tout, l’électricité est le symbole de la lumière, assimilée au savoir, lui-même synonyme de progrès. Ne parlons pas des dégâts, des désagréments de toutes sortes qu’entraîne ce va et vient intolérable du courant électrique.

Mais on reconnaîtra cependant que le pays n’est pas en panne de réalisations. Des chantiers s’ouvrent. D’autres clament leurs résultats. C’est vrai que nous avons une capacité d’amnésie sans pareille. Construisez un passage supérieur, pavez ou goudronnez une voie, dressez l’architecture d’un pont ou d’un échangeur, les Béninois trouveront que tout cela va de soi. Cela relève de leurs droits acquis. Comme s’ils avaient oublié la lourde facture qu’ils payaient avant la construction de ces infrastructures.

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Concédons à nos compatriotes, ceux notamment qui vivent à Cotonou et environs, que leur calvaire annuel commence avec les pluies qui frappent à coups redoublés sur les toits de leurs maisons. Notre capitale économique, qui se veut la vitrine du Bénin, présente, depuis, un triste visage. C’est le reflet du deuil que portent déjà, dans plusieurs quartiers, les habitants chassés de chez eux par les eaux, persécutés par les moustiques, agressés par une kyrielle d’infections, coincés dans un face à face tragique avec la mort. Chaque année, les politiciens en bottes pour les besoins de la cause, viennent leur tenir les mêmes discours pour les mêmes espoirs déçus. Tant va la cruche à l’eau, dit le proverbe, qu’à la fin elle se casse.
Mais on reconnaîtra tout de même, qu’en dépit d’une telle situation déplorable, ont effectivement démarré les grands travaux destinés à arrêter l’érosion marine qui menace nos côtes. Des milliards de nos francs seront ainsi investis pour redonner de l’espoir à des milliers de Béninois.

Concédons à nos compatriotes que les travaux d’approche pour la confection de la Liste électorale permanente informatisée (Lépi), en son étape du recensement, se révèlent difficiles. Qui a dit que rien ne sert de courir et qu’il faut partir à point ? Lenteur, retard et précipitation auront été les vices qui ont plombé l’opération. On ne gère pas un Etat moderne hors des principes et des normes qui ont fait partout leur preuve. En cela, n’y a pas d’exception béninoise. Il reste qu’en dépit de cette pagaille que rien ni personne ne peut excuser, le Bénin, sans être l’Eldorado, n’est pas encore l’enfer. Prenons la peine de regarder autour de nous et de méditer cette idée force : « Je me plaignais de ne pas avoir de chaussures, quand j’ai vu quelqu’un qui n’a pas de pieds ».

Jérôme Carlos

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