Le clown, ses shows et la République

Il s’appelle Allassane Soumanou. Tous les week-end, si ce n’est tous les jours, il nous l’offre, son numéro – le même – infiniment renouvelé, diffusé et rediffusé en technicolor sur les écrans des télévisions béninoises. Si le décor reste toujours les espaces tristes et les champs de ruine des petites localités du nord, les personnages eux, ne sont pas tous pareils, même s’ils se ressemblent par la sainte galère qui a déformé leurs visages.

Quant aux cadeaux, ils ont un air de famille. Ici, l’inspiration reste la faiblesse du sieur Soumanou, puisque qu’il n’a dans sa gibecière que des vivres, des brouettes, des pelles et autres bricoles, susceptibles de séduire des gens peu habitués à voir du clownesque.

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Le DG de la SOBEMAP – Société Béninoise des Manutentions Portuaires – n’a pas inventé la poudre certes, mais ses shows ne manquent pas de piquant. Sur une scène improvisée ou parfois érigée, il se met en pointe, prend la parole, grimace des gestes comme un leader illuminé. Ici, on n’a pas besoin d’écouter ses paroles à la télévision pour deviner ce qu’il dit. Même si on en coupe le son, on lit facilement sur ses lèvres bruyantes les mêmes mots dont on nous matraque les oreilles depuis 2006 : « Yayi Boni, Yayi Boni, Yayi Boni, Yayi Boni ». Les populations directes à qui le show est servi applaudissent alors à tout rompre. Monsieur se sent violemment vaporisé par les ovations. Souriant jusqu’à la nuque, il lève les bras au ciel, fait le « V» de la victoire aux caméras, se laisse porter en triomphe sur les épaules. Le reportage finit ainsi en apothéose et le show man, heureux comme un pape, n’a qu’une hâte : reproduire un nouvel épisode du feuilleton.

Cela se passe au Bénin dans un pays dont on croyait que les hommes politiques connaissent la mesure, savent jusqu’où leurs bêtises ne peuvent pas aller. Cela se passe au Bénin dans un pays où on sait que l’intelligence d’un homme ne peut pas se résumer à la danse du ventre d’un parvenu soucieux de conserver son poste de DG. Cela se passe au Bénin dans un pays où la fatalité est censée avoir été vaincue et que la médiocrité est supposée ne jamais revenir dans le forum.

Quand je suis notre acteur à la télé, je ne vois derrière lui que celui qui l’a fait roi, le Président Yayi. Je le vois en train d’applaudir ces farces qui, au lieu de le rendre triste, le gonflent sans doute de plaisir. Car comment comprendre qu’un DG nommé au poste prestigieux et stratégique de la SOBEMAP peut abandonner ses activités à Cotonou pour aller à 500 kilomètres faire du racolage politique ? Comment accepter qu’un nouveau promu à la tête d’une société d’Etat – qui connaît des turbulences – laisse tout sur place pour aller faire du strip-tease ailleurs ? Et où trouve-t-il, le show man, tout cet argent pour distribuer ? Est-ce normal que personne, au sein de la mouvance présidentielle, ne réagisse ?

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A moins que le Chef de l’Etat estime que le sieur Soumanou lui est plus utile dans ses serpenteries politiques que dans la gestion de la SOBEMAP.  A moins que notre Yayi bien éclairé pense que cet homme à ce poste sera bien inspiré pour déshabiller la SOBEMAP et aller habiller Djougou. Cela, dans la tradition de ce que nous avons connu déjà dans le pays aux temps bénis de la Révolution et, où hurler des slogans, établit irrémédiablement la compétence du militant !

Alors que les caisses publiques sont passablement vides et que les opérateurs économiques grincent les dents du fait des impayés de leur principal partenaire qu’est l’Etat ; alors que les ménages s’écroulent sous les factures d’eau et d’électricité – seulement fournies à trente pour cent – alors que les méventes sur les étals des vendeuses au marché ont atteint leurs points culminants, Allassane Soumanou n’a trouvé rien de mieux que de nous servir ces bouffonneries. En cela, j’ai la faiblesse de croire qu’il n’a pas tort. Puisqu’il n’a fait que devancer son chef. Lequel l’a suivi quelque temps après à dos de zem, au volant de sa voiture ou en tournant la spatule dans la casserole d’une vendeuse de beignet. Quand on vous dit que c’est la République des amuseurs publics !
Florent Couao-Zotti

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