Affaire ICC-Services : « l’éthique voudrait que l’Exécutif prenne ses distances … » Me DJOGBENOU

Dans une interview accordée à La Nouvelle Tribune, l’avocat au barreau du Bénin, et désormais professeur agrégé en droit privé, Joseph Djogbénou, a abordé plusieurs sujets d’intérêt national. Sous son manteau de président du Conseil d’administration du Front des organisations de la société civile pour des élections libres et transparentes (Fors-Elections), il s’est prononcé sur le processus électoral pour 2011 et sur la liste électorale permanente informatisée.

Dans cette première partie de l’interview qui traite de l’affaire ICC-services, Me Djogbénou explique ce qui a pu occasionner le scandale et apporte, au regard du droit, sa critique à la gestion qu’en fait le Gouvernement.

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LNT : Quel commentaire vous inspire l’affaire ICC Services ?

Me Djogbénou : L’affaire Icc à mon sens, c’est le produit d’une série de déchéances, d’une série de dérives que l’on connait déjà qui ne devraient pas surprendre.
Quand vous suivez la télévision nationale, vous mesurez combien les chiffres parlent : des milliards. Au Bénin, il n’ya que ça. Regardez les sociétés commerciales, regardez la publicité, tout est fait pour gagner de l’argent, avoir de l’argent. Vous observez la communication … sous le haut parrainage, le haut patronage ; vous observez des déplacements … C’est toujours de l’argent. Quel enseignement cela inspire ? Cela inspire que l’on considère que l’on est à sa place ou que l’on ne peut atteindre une place que par l’argent. Vous voyez, on construit un bâtiment pour l’école ou la santé, on construit des routes, on n’est pas capable de dire, ce sont les ressources que vous avez mises à notre disposition qui servent à le faire. On est capable de dire, c’est telle personne qui vous offre ça. Voilà, c’est l’argent. C’est une dérive. Et on n’est pas surpris.
En second lieu, eh bien, cela ne peut conduire qu’à des complicités. Nous avons fait un état des lieux qui le dit. Nous avons touché le fond. Ça ne peut que rejaillir sur la gouvernance administrative, la gouvernance politique, sur la gouvernance simplement. Le rapport que nous avons avec l’argent a des impacts importants sur la société. Qu’est-ce qui peut amener une autorité publique à refuser de considérer son supérieur hiérarchique ? Si ne n’est que parce qu’on à des liens plus poussés avec la tutelle du supérieur hiérarchique. La conséquence est là les effets sont là. Un ministre n’a pas de pouvoir dans ce pays. Un planton a de pouvoir ; un responsable de société a plus de pouvoir que son ministre de tutelle. Pourquoi ? Parce qu’il y a des relations. C’est une série de dérives que nous sommes en train de constater et dont l’un des produits est l’affaire Icc-Services.  

Mais le Gouvernement s’est quand même saisi de l’affaire et gère la crise !

Non. Je parle en tant que citoyen et je crois qu’il y a des décisions suspectes. Une affaire quasiment de flagrance, où on réalise que nous sommes dans le mal, que nous sommes dans le vilain, dans un état de droit on confie tout à la justice. On saisit très rapidement la justice. L’étudiant en deuxième année de droit sait les mots, le mécanisme par lequel on saisit la justice. Ce qui est plus grave, c’est que les autorités publiques savent qu’elles sont suspectées. Je ne dis pas qu’elles sont suspectes. Dans ce cas, l’éthique voudrait qu’elles prennent une distance par rapport à la gestion de l’enquête et par rapport à l’instruction. Et quand on prend l’une et l’autre des situations, on a arrive à la même conclusion : où sont les juges ?

Pensez-vous que les juges pouvaient s’autosaisir du dossier ?

L’une des fonctions du parquet, du ministère public, c’est d’être informé, c’est de s’informer, c’est de fouiller, c’est de détecter les infractions et de les poursuivre devant les juridictions. On n’a pas besoin de gros moyens. Et vous avez la preuve que le parquet est informé puisque le premier substitut du tribunal de première instance de Cotonou est dans les commissions par ci par là … Le juge ne joue pas son rôle. L’administration est dans une démarche en principe préventive. Nous avons des suspicions vagues. Mettons sur pied une commission administrative. Ici les suspicions ne sont pas vagues, elles sont réelles, elles sont colossales et elles impliquent jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. Dans l’intérêt des autorités publiques, il y a lieu de confier ça à la justice. Je désapprouve le fait que malgré une instruction en cours d’un certain pan de l’affaire devant le tribunal, elle soit ainsi gérée. En présence de la saisine d’une juridiction d’instruction, c’est ce que le code de procédure pénal nous dit, il n’y a plus d’enquête administrative possible. Toutes les décisions de l’on est en train de prendre on peut, on devrait fait prendre ces décisions par le juge d’instruction si celui-ci ou celle là estime qu’il y a eu de prendre ces décisions. Alors, comment saisir dans un Etat de droit des biens de manière administrative ? Comment dire aux citoyens que l’on va vendre des biens ? C’est au juge de prendre une décision de vendre. On est allé jusqu’à dire, bientôt en octobre on va commencer par payer. Sur la base de quoi ? Vous pouvez suspecter les gens de tout ce que vous voulez mais vous n’avez pas autorité de vendre leur bien. Vous êtes le pourvoir exécutif. Le pourvoir exécutif ne vend pas, il exécute. Quoi ? Soit la loi, soit la décision de justice.

Voulez-vous dire que ce qui se fait là est encore attaquable devant la Justice ?

Je crains que ces actions soient entachées d’irrégularités si nous étions dans un état  de droit et de justice. Alors, je ne serai pas surpris que ce ne soit déclaré nul, parce que nous ne sommes pas encore dans un Etat de droit. Si nous étions dans un état de droit, on aurait fait les choses dans les normes.

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Quelle sera l’issue de cette affaire selon vous ?

Je pense qu’il faut fixer ceux qui sont allés mettre leur argent sur un point et cesser de les nourrir d’illusion. Peu parmi eux seront payés. D’une part, l’Etat ne souffrira pas de puiser dans ses ressources pour payer cela. Nous avons l’obligation de nous considérer comme des personnes responsables et non de considérer les autres comme des enfants. Ils ont fait une opération, ils ont échoué. D’accord mais il faut déjà leur dire, dans la douleur certes, avec la souffrance certes, qu’il sera difficile de les payer. Il faut déjà leur dire qu’il leur appartient d’être présent dans les procédures judiciaires. L’Etat ne peut pas les représenter devant le juge. Il leur appartient de s’organiser sur le plan juridique et judiciaire de telle sorte même à impliquer l’Etat béninois. C’est plus sûr que de confier son sort à une décision, à une situation administrative et d’avoir encore à payer pour se faire enregistrer. Lorsque l’on a un titre, il faut faire valoir ce titre-là. Je pense qu’il faut responsabiliser les seuls et ceux qui se sont impliqués. Et par ailleurs, il faut activer la justice.
La Justice à ce qu’il paraît n’a pas les moyens de gérer ce dossier là !
Ce que l’Etat devrait faire, c’est de donner les moyens suffisants à la Justice. Nous avons près d’une trentaine de magistrats qui sont dans les couloirs, qui ne sont pas intégrés, qui ont été formés et l’Etat a payé pour les recruter, pour les former. Ils sont à la disposition depuis plus d’un an et ils n’ont pas été intégrés. Et pourtant on a besoin d’eux. On a besoin d’eux d’une part pour traiter ces questions, d’autres part pour qu’ils apportent leur intelligence à la justice.

N’est-ce pas parce que l’Etat considère les épargnants comme complices qu’il ne les laisse pas pourvoir en justice ? 

Pensez-vous qu’une autre personne autre que le juge a le droit de décider que quelqu’un est coupable ou pas d’une action. Personne. Tout le monde est présumé innocent, d’une part. Et d’autre part, pensez-vous que ceux qui le disent sont qualifiés pour le dire ? Et ceux qui ont la qualification nécessaire se taisent. Ce qui n’est pas normal. Et on entend des choses. Celui qui a épargné parce que la photo du Chef de l’Etat dans un bureau, parce que le Chef de l’Etat est dans telle ou telle manifestation, parce qu’à côté de lui cela prospère, celui-là est naïf et la naïveté n’est pas la complicité. Si la naïveté était la complicité, on dirait que si on désigne un Chef d’Etat qui conduit mal le pays, eh bien, on va poursuivre devant la justice, tous les citoyens. Ce n’est pas ça. La naïveté n’est pas la complicité. Je considère qu’ils sont naïfs. La preuve, moi je ne l’ai pas fait. Mais si je l’avais fait, ce ne serait pas parce que je suis un complice, ce n’est pas possible. Vous pensez que si vous venez me confier un dossier, et que demain je suis poursuivi, alors on va vous poursuivre parce que vous êtres venu me voir ; vous ne m‘avez pas confié votre dossier parce que vous êtres sensé savoir ce que moi je fais dans l’ombre ? Ce n’est pas possible.

Si nous vous suivons bien, dira-t-on aussi que ceux qui parlent d’escroquerie sont aussi mal placés pour le dire ?

Simplifions les choses. Pour déterminer les responsabilités, les juridictions doivent êtres saisies. Nous avons l’impression qu’il y a une sorte de soutien réciproque entre gens mafieux. C’est-à-dire que l’on dit : voilà on vous a admis dans l’illégalité, vous avez fait tout ce que vous voulez, maintenant on veut vous poursuivre, mais on va dire que tous les autres aussi sont des coupables, on veut établir une sorte d’équilibre des complices et des coupables pour neutraliser les actions. Ce n’est pas possible. Je pense, nous avons dit quelque part, lorsque vous avez un immeuble, un appartement quelque part et vous êtres allé le soir, votre gardien, vous le surprenez en train de dormir, vous êtres soulagé quand il vous dit, écoutez, j’ai été surpris par la fatigue. Mais quand il vous dit, revenant d’un sommeil profond, que jamais lui il n’a dormi, il se moque de vous …

Parlons de l’activité en elle-même. Selon des responsables des structures mises en cause, le placement dont il s’agit échapperait à la législation nationale parce qu’il se ferait en ligne et sur les marché des devises. Qu’en dites-vous ?

Il n’y a pas d’activité qui échappe au droit. Il n’y en a pas. Notamment en droit privé. Le concept de vide juridique n’existe pas. Vous voulez collecter l’épargne, il y a des dispositions du droit bancaire. Il y a la loi bancaire. Il y les dispositions de l’Uemoa, il y a les  instructions de la Beceao. Dans notre pays, vous ne pouvez pas exercer une activité bancaire en forme de société sans prendre la forme de société anonyme. Et de société anonyme faisant appel public à l’Etat, le capital social le plus élevé. Et quand vous exercez comme une banque aujourd’hui, on est en train d’élever le capital social à près de  dix milliards. Dix milliards c’est quoi. C’est la garantie de ceux qui mettent leur argent dedans. Le capital social d’une société, c’est la confiance que les associés ont faite eux-mêmes en cette société. Et c’est ça qui est la garantie des autres. Si je crée une société et je mets capital social un million, je ne peux vous demander de faire confiance à ma société pour plus d’un million puisque moi-même je n’y ai mis que un million. Voilà. Mais vous avez admis qu’on puisse se constituer en association donc sans capital social et collecter de l’argent. Vous parlez de placement mais parlez d’abord de la collecte des fonds. La collecte des fonds, ce n’est pas possible. Vous savez, là où je suis, je ne peux pas procéder à un virement de dix millions pour le compte de mes clients à l’étranger sans avoir eu l’autorisation du ministère des finances. Je suis avocat. Je ne peux pas le faire. Déjà au-delà de cinq millions, la banque doit avoir une justification, l’autorisation du ministère des finances …

Autrement, ce n’est pas une activité illégale mais une activité exercée illégalement.

Exactement. Vous avez bien vu. C’est une activité qui est exercée illégalement et cette fois-ci, il faut bien parler de la complicité ; c’est la complicité de celles et ceux qui ont reçu le pouvoir d’assurer cette prévention, ce contrôle-là.

Dans cette affaire, un ministre a été démis, un procureur de la République a été relevé de ses fonctions. Les raisons officiellement évoquées suffissent-elles pour ces sanctions ?

D’une manière générale, lorsque il y a un manquement quelque part, l’autorité administrative à l’obligation de sanctionner. C’est un principe qu’il faut chercher à rendre effectif. Mais en plus, il faut le faire dans le respect des droits humains. Quand la folie gagne la république, tout est à l’envers. La folie ne doit pas gagner la république et la gestion de la chose publique. Et donc, c’est vrai que si l’on estime qu’il y a des manquements d’ordre administratif, qu’il y a des manquements dans la gestion politique par ailleurs, il faut, et personne ne vous en fera le reproche, administrer les sanctions appropriées conformément à la loi. Mais si cela devrait déboucher sur une procédure judiciaire, il faut aussi respecter la forme, la procédure et les dispositions de la loi. Moi, je ne peux qu’être soulagé par rapport au fait que finalement on est recouru à la procédure qui concerne les ministres ou les personnes dans cette situation, lorsqu’ils commettent des actes comme vous et moi. En somme, il faut sanctionner mais il ne faut pas que la sanction soit non plus sélective. Il faut sanctionner dans la justice et dans l’équité.

La suite dans notre parution de demain …

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