Côte d’Ivoire et nouvel ordre mondial

Est-il néocolonialiste de souhaiter que le choix du peuple ivoirien soit respecté ? C’est la fable qu’aimerait bien raconter la télévision ivoirienne. Elle s’inquiète de voir l’ »influence étrangère » retirer la couronne que Laurent Gbagbo s’est lui-même mise sur la tête… au nom du droit à la « souveraineté ». On pourrait sourire si ces postures, faussement anti-impérialistes mais véritablement antidémocratiques, n’avaient pas si souvent servi à confisquer le choix des peuples africains. On pourrait se lasser, ne voir dans cette crise que l’énième feuilleton d’un récit afro-pessimiste. On aurait tort. Il se passe quelque chose d’inédit autour de l’élection volée.

Publicité

Un élan de réprobation sans frontières qui pourrait faire mentir tous les pessimistes, et même écrire une page nouvelle dans l’histoire des relations internationales.

Voilà trop longtemps que les Africains souffrent de tyrans dont s’accommodent les intérêts français. Très souvent, lorsque des opposants politiques africains réclament l’envoi d’observateurs indépendants pour surveiller des élections, comme en Algérie ou au Soudan, l’ONU les renvoie à l’Union africaine (UA). C’est-à-dire des observateurs soumis à la pression d’autres régimes africains, parfois peu démocratiques. Le résultat n’est jamais clair. Il a fallu bien des morts au Zimbabwe pour que la médiation africaine débouche sur un accord entre Mugabe et l’opposition, qu’il a eu le temps de décimer. En Côte d’Ivoire, coup de chance, Gbagbo était si sûr de sa victoire qu’il a accepté le principe d’observateurs indépendants. Résultat, personne n’a de doutes sur la victoire d’Alassane Ouattara. Pas même l’UA, qui demande à Gbagbo d’accepter sa défaite.

C’est un tournant. Qui intervient dans un monde où les Etats-Unis ont tiré leurs dernières cartouches en Irak, où l’Europe s’inquiète bien plus pour son avenir que pour celui de ses anciennes colonies, où la Françafrique n’est plus que l’ombre d’elle-même… Si la France devait agir du point de vue de ses intérêts et de son pré carré, son candidat s’appellerait Gbagbo et non Ouattara, vécu à tort ou à raison comme une chance d’étendre l’influence américaine au détriment de la France.

Publicité

Loin des idées reçues de l’après-11-Septembre, l’Amérique d’Obama ne soutient pas Gbagbo l’évangélique, mais bien Ouattara le musulman… Ce qui d’ailleurs ne le définit pas. Nous parlons d’un habitué des institutions internationales, notamment du Fonds monétaire international (FMI) où il a dirigé le département Afrique. Mais surtout d’un homme élu à 54, 1 % par les Ivoiriens ; en dépit de leur appartenance ethnique ou confessionnelle. Ce qui achève de faire tomber certains clichés sur l’Afrique.

Un seul obstacle empêche de conjurer l’afro-pessimisme : Laurent Gbagbo, qui a décidé de voler son peuple et de s’autoproclamer empereur. Les puissances ayant manoeuvré pour lui éviter des sanctions ne sont pas la France, mais la Russie et la Chine. Deux pays très attachés à la « souveraineté ». Entendez au droit de faire des affaires avec les pays africains sans s’embarrasser avec les droits de l’homme. Ce qui explique pourquoi l’UA marche si souvent comme un seul homme derrière la Chine aux Nations unies.

Pas cette fois. L’UA a su faire entendre une voix indépendante. Elle appelle au respect du vote des Ivoiriens. Grâce à cette parole claire, la communauté internationale se trouve soudée et légitime pour exiger des mesures de rétorsion économiques… Le seul point faible d’un Laurent Gbagbo, qui tient la télévision et l’armée. Grâce à cette pression, la Côte d’Ivoire peut encore renoncer à ses démons, et faire mentir tous les clichés sur l’Afrique.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité



Publicité