Il est important de savoir que le handicap est plus une notion sociale que médicale. Il exprime une déficience vis-à-vis d’un environnement, la limitation des possibilités d’interaction d’un individu avec son environnement, causée par une déficience source d’une incapacité, permanente ou non, menant à des difficultés sociales, physiques, morales ou intellectuelles.
Lorsqu’on aborde le dossier des handicapés, il vient à l’esprit l’un des spectacles les plus tristes de la ville de Cotonou auquel nous avons hélas fini par nous habituer : le nombre sans cesse croissant de personnes handicapées qui nous assaillent aux feux de la circulation, ou devant les églises et les mosquées, pour tendre la main et quémander quelques pièces.
A force de donner une pièce d’aumône de temps à autre pour soulager notre bonne conscience, nous avons oublié la réalité sociale et humaine de ce flot grossissant de personnes handicapées condamnées à vivre de l’aumône et donc de précarité sociale.
A y regarder de près, ces personnes handicapées physiques, mentales ou autres que nous voyons, ne sont pas toujours, contrairement aux idées reçues, les produits de la pauvreté, de quelques crimes, châtiments, ou drames extraordinaires, ou encore des victimes des guerres récentes dans les pays voisins, comme certains le disent bien vite pour se détourner de l’examen minutieux de la situation et de ses causes et origines.
Le contrat social que je propose à notre pays veut une société de partage, une société d’égalité et une société de solidarité. Notre Constitution énonce en son article 26 : « L’Etat assure à tous, l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion, de position sociale…… il veille sur les handicapés et les personnes âgées ».
La compréhension que je me fais de cette prescription de la loi fondamentale, est qu’il est du devoir de l’Etat, et donc du Président de la République, de prendre des mesures appropriées qui permettent à toutes les catégories de citoyens de jouir des mêmes chances, d’agir pour que chacun soit et se sente pris en compte par ses actions.
J’ai pris l’engagement, le 4 Janvier dernier que « mon mandat mettra les moyens qu’il faut pour lutter contre les handicaps et favoriser la réinsertion des personnes handicapées dans notre société, car c’est aussi la marque et la caractéristique d’une société plus juste et plus solidaire ». Je le confirme. Je ne
considère pas qu’il s’agit d’une action sociale que dicte la compassion, mais d’une obligation du type de société que promeut la Constitution.
Dans cet objectif, il faudra définir, de manière précise et par des textes de lois ou règlementaires adaptés à nos réalités et nos cultures, les différentes formes de handicaps et les besoins de chaque catégorie pour une égalité des chances d’insertion.
Ma conviction est, au nom du principe d’égalité, de reconnaître que le droit à la compensation du handicap résulte d’un devoir sociétal, et non d’une quelconque logique de « commisération voire de charité ». Autrement dit il s’agit de rétablir une certaine « égalité des chances ».
Aujourd’hui, la précarité et l’exclusion livrent nos enfants, nos frères et sœurs handicapés physiques, mentaux ou autres à la rue et ses maltraitances de toute nature, faute de politique et de cadre approprié pour promouvoir leur intégration dans la société. Le cas des femmes et des jeunes filles est le plus pathétique.
Pour prendre toute la mesure du mal, il faut rappeler que ces personnes souffrant d’un handicap mental, physique ou autres, représentent en moyenne 5% à 10%de la population en Afrique. Les personnes souffrant d’un handicap physique ou mental ne sont donc pas un phénomène marginal dans nos sociétés. Le dernier recensement général de la population béninoise indique que 2,6% de la population au Bénin est formée de personnes handicapées et elles sont pour la plupart des mal voyantes et des paralytiques des membres inférieurs, soit 172 870 personnes vivant essentiellement dans les grandes villes de notre pays, et souvent peu scolarisées. En effet, parmi les personnes handicapées 19,2% seulement ont le niveau d’études primaires, 8,2% ont fait des études secondaires et moins de 0,8% ont fait des études supérieures.
Il est évident que l’une des premières conditions de l’intégration des personnes handicapées est celle de l’accessibilité : accessibilité du cadre bâti, des lieux publics et des transports, mais aussi accessibilité numérique.
L’accessibilité aux personnes handicapées est la possibilité pour elles d’accéder à un lieu physique ou à des informations
Une définition acceptée est : « L’accessibilité permet l’autonomie et la participation des personnes ayant un handicap, en réduisant, voire supprimant, les discordances entre les capacités, les besoins et les souhaits d’une part, et les différentes composantes physiques, organisationnelles et culturelles de leur environnement d’autre part. L’accessibilité requiert la mise en œuvre des éléments complémentaires, nécessaires à toute personne en incapacité permanente ou temporaire pour se déplacer et accéder librement et en sécurité au cadre de vie ainsi qu’à tous les lieux, services, produits et activités. La société, en s’inscrivant dans cette démarche d’accessibilité, fait progresser également la qualité de vie de tous ses membres ».[
J’ai donc, des mesures en faveur des personnes en handicap, une vision globale qui projette une série de dispositions qui reviennent aux pouvoirs publics afin de leur offrir les meilleures chances d’intégration. La reconnaissance de la lourdeur du handicap en pratique s’impose.
Mais, au-delà de cette approche générale de ma vision du handicap et des mesures envisagées, je constate qu’au delà de la pauvreté, de l’ignorance ou de la génétique qui ont leur part dans nombre de malformations à la naissance, nombreux sont les handicaps qui naissent de gestes les plus simples et les moins signifiants de la vie quotidienne de nos populations.
Ainsi telle maladie courante mal soignée dégénère rapidement en drame familiale comme pour Jean, cet enfant qui contracta une méningite que ses parents soignèrent pour du paludisme pendant quelques semaines, le temps pour le mal de réduire un jeune et brillant garçon, plein d’avenir, en simple « légume » avec une totale paralysie.
C’est encore le cas de Malik, cet autre enfant dont le paludisme, bien réel cette fois, mais soigné par de faux médicaments achetés au marché, devint simplement sourd en quelques semaines. Prise de nivaquine dit-on dans la famille.
Il faut ajouter le lot des accidents domestiques ou professionnels. La période de fêtes de fin d’année favorise d’ailleurs nombre de ces accidents domestiques ou sociaux avec les pétards mal manipulés qui explosent dans les mains des jeunes gens déchiquetant mains et visages. Amina à Parakou et Pascaline à Avrankou en ont récemment été victimes. C’est encore le cas de ces jouets de mauvaise fabrication vendus à bas prix pour faire la joie du plus grand nombre mais qui deviennent des machines infernales électrocutant ou éborgnant jeunes et enfants.
Que dire des accidents de la circulation, de plus en plus nombreux sur nos routes délabrées et qui livrent chaque jour leur cortège de blessés graves dont la plupart restent handicapés à vie.
Voila comment, aux handicaps de la naissance s’ajoutent, de jours en jours, ceux que fabrique notre société, avec ses déficits de régulation et de sécurité, sans qu’elle puisse offrir à nos concitoyens et leurs familles d’autres choix que la mendicité, la précarité et l’exclusion sociale.
L’une et l’autre sont d’autant plus durement vécues aujourd’hui que notre société a tout perdu de la cohésion qui lui permettait naguère d’assurer une prise en charge collective de la personne handicapée. Dans nos villages encore, c’est dans la collectivité que l’on prend en charge tel sourd ou muet de naissance ou tel autre enfant victime d’un mauvais coup du sort. Il peut alors évoluer avec la bienveillante assistance de tous. Ainsi, la personne handicapée n’est pas exclue, elle est intégrée et a bien souvent une vie « normale » comme les autres.
Il y a donc des mesures préventives qui sont à notre portée. Elles font appel à l’information, à la sensibilisation des citoyens, à la conscientisation des professionnels de la santé, à un suivi responsable de l’Etat des pratiques dangereuses qui ont cours dans nos villes et villages.
Les responsabilités d’un Chef de l’Etat doivent l’amener à ouvrir et entretenir le chantier des mesures pour une égalité accrue des chances des personnes en handicap.
C’est pourquoi je prends dix engagements vis-à-vis de nos compatriotes souffrant d’un handicap physique, mental ou autre.
Ces engagements ont pour ambition d’améliorer sensiblement, avec le soutien de l’ensemble des béninois, des partenaires sociaux et des entreprises, le quotidien des plus fragiles parmi nous.
Nos sœurs et nos frères qui souffrent d’un handicap physique, mental ou autres, ont aussi bien souvent de nombreux autres talents. Mon ambition est de leur permettre d’exprimer pleinement leurs talents dans une société béninoise plus juste plus solidaire plus inclusive pour tous nos concitoyens.
Ensemble, nous le devons et nous le pouvons.
Les dix engagements du contrat social De Abdoulaye BIO TCHANE *
- Faire adopter et diffuser une loi sur l’invalidité pour promouvoir l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées au Bénin. Un Conseil National des personnes Handicapées au Bénin. Le conseil National des personnes Handicapées sera chargé de veiller à l’application de cette loi sur l’invalidité et proposer périodiquement des adaptations éventuelles ;
- Promouvoir une véritable politique d’intégration scolaire, universitaire et professionnelle des personnes handicapées, en coopération avec l’éducation nationale et les parents d’élèves pour organiser une scolarité sans discontinuité des personnes handicapées, de la maternelle à l’enseignement supérieur, avec des réponses pédagogiques adaptées. Des instituts spécialisés pourront être crées dans chaque département de notre pays, à cet effet.
- Promouvoir une nouvelle relation entre les entreprises et les personnes handicapées afin que les entreprises leur ouvrent leurs portes.
- Promouvoir un fonds d’aide à la création d’entreprises pour les personnes handicapées avec des dispositions fiscales incitatives en faveur des entreprises qui sous traiteront leurs services avec les structures crées par les personnes handicapées ;
- Promouvoir l’accessibilité aux bâtiments publics des personnes handicapées et inciter toutes les grandes entreprises de notre pays à rendre leurs locaux accessibles aux personnes à mobilité réduite ;
- Tenir compte des personnes handicapées dans l’organisation de tous les concours et examens de recrutement dans la fonction publique nationale
- Assurer la prise en compte de la personne handicapée dans les activités de tous les Ministères, en faire une direction du ministère de la famille et des affaires sociales ;
- Garantir la prise en compte de la politique nationale en faveur des personnes handicapées et son financement, en accord avec les engagements internationaux du Bénin, dans les choix budgétaires annuels du gouvernement ;
- Célébrer chaque année au Bénin la Journée Internationale des Personnes Handicapées avec la participation des entreprises, des associations et des partenaires au développement.
- Faire chaque année le bilan de notre politique nationale en faveur de l’intégration des personnes handicapées.