La crise de succession qui perdure en Côte-d’Ivoire rend la vie dure à Alassane Ouattara, le candidat élu du deuxième tour de la présidentielle du 28 novembre 2010. Claironné en sa faveur par les puissances du monde, le soutien unanime dont il bénéficie se révèle être un frein, ne serait-ce temporaire, à la détermination affichée d’en finir avec l’usurpateur Gbagbo. Partira ou partira pas? Laurent Gbagbo s’accroche toujours à ce qui reste du pays réel dont il détient les commandes. Prises dans l’engrenage de la peur d’une violence qui embrase la sous-région et le besoin stratégique de préparer les opinions à un assaut militaire éventuel contre le QG de Laurent Gbagbo, les instances africaines et européennes lui permettent de gagner du temps. Sur le mandat d’Alassane Dramane Ouattara (ADO). Mais de réfléchir pour ensuite souverainement choisir d’être maitre du sort qu’il veut être le sien à sa descente du pouvoir.
Reconnu vainqueur de la dernière élection présidentielle ivoirienne par la quasi totalité des pays de la planète, soutenu par la communauté internationale, l’ancien directeur général adjoint du FMI attend, que l’effectivité de son pouvoir soit rendue réelle par le départ de la tête du pays de son adversaire et mauvais perdant, Laurent Gbagbo. Tous les protagonistes de la crise aussi doivent attendre désespérément qu’il plaise à ce dernier de céder le fauteuil en temps utile. Usant de moyens dilatoires, les uns plus farfelues que les autres, l’homme gagne chaque jour un peu plus du temps rogné sur le mandat de son challenger. Sachant manipuler avec virtuosité le «noutchi» -la langue de la rue en Cote d’Ivoire- et populiste jusqu’au bout des ongles, l’homme a l’art de promettre une chose et de la nier le jour suivant ou des qu’on lui tourne le dos. C’est que Gbagbo sait instrumentaliser la jeunesse et agiter le spectre de la guerre civile avec l’annonce d’un supposé risque d’embrasement de la sous-région.
L’imbroglio dure déjà depuis plus d’un mois. Au point où des démocrates du continent et, à travers le monde, brûlent d’impatience de voir la légalité s’imposer. Au Besoin par la force armée. La CEDEAO n’avait-elle pas, mille et une fois, réitéré sa menace d’attaquer militairement l’usurpateur dans son bastion, à Abidjan? Au risque de se voir désavouée en l’absence d’une prompte action de sa part pour rétablir le droit manifestement mis en difficulté.
Les sanctions à appliquer au régime en place afin de le pousser vers la sortie sont clairement définies et, pour certaines, déjà mises en œuvre: suspension de la Côte-d’Ivoire des instances africaines et de l’Onu, reconnaissance de la validité de la signature de Ouattara sur les comptes ivoiriens à la Bceao et ailleurs, gel des avoirs bancaires des leaders du camp d’en-face, refus de visas européens et américain aux principaux dignitaires du clan Gbagbo et que sais-je encore… Il reste à passer à la vitesse supérieure en osant dépêcher sur le terrain des troupes militaires. Au nom du droit d’ingérence légitimé par l’implication des Nations Unies, l’Union africaine, la Cedeao… droit d’ingérence admis, il faut le rappeler, décidé par les différents accords de paix passés entre les protagonistes de la crise. Dans le souci de soutenir l’effort de résolution du conflit ivoiro-ivoirien auquel l’entêtement des uns et des autres a abouti, ces institutions se sont engagées à investir des millions de dollars dans l’organisation des deux tours du scrutin de la présidentielle. En commençant par la pacification du pays, avec pour point d’orgue le désarmement des rebelles, organisés plus tard sous la bannière des Forces nouvelles favorables ou proche de Alassane Ouattara. La mise en place d’un gouvernement d’union nationale était aussi requise et la communauté internationale y a veillé avec succès.
En dix années de deux mandats sans légitimité avérée, Laurent Gbagbo a réussi à tourner en bourrique tous les acteurs de la crise ivoirienne, prenant en otage les populations qui, elles, au soir du 29 novembre 2010, croyaient tourner la page des atermoiements, en votant Alassane Dramane Ouattara. Mais c’est sans compter avec le jusqu’auboutisme suicidaire de l’homme. Les derniers développements de la situation dans le pays montrent à suffisance, si on s’en tient au respect de la légalité républicaine, qu’il n’y a pas mille solutions à la sortie de crise. Plus d’un mois après le déroulement de la présidentielle, on doit pouvoir conclure que Laurent Gbagbo tergiverse et, sans jouer les Cassandres, demander à le faire partir… par la force. Beaucoup d’analystes et de stratèges en conviennent. Peu sont prêts à sauter le pas. Mais, que coûterait un débarquement militaire de la Cedeao appuyé par les Casques bleus de l’Onu déjà sur le terrain? Non pas en termes d’argent ni de moyens logistiques -il est d’évidence que c’est ce qui manquerait le moins aux forces coalisées pour venir a bout de Gbagbo- mais plutôt en vies humaines. Comme on ne l’a pas assez vu dans le cas tunisien, quelques dizaines de personnes (une centaine au plus) mortes, les armes à la main au nom du peuple dans sa rage de vaincre ont suffi, à faire fuir le tyran nommé Zine El Abidine Ben Ali. C’est le principe de l’état de nécessité admis en droit international. Aucun mort n’est jamais de trop lorsqu’il s’agit de la vie de tout un peuple. Car, selon ce principe, mieux vaut sacrifier –hélas quelques citoyens- pour sauver le plus grand nombre et faire en sorte de ne plus retomber dans les errements qui noierait la majorité. La formule devrait être appliquée à la Côte-d’Ivoire où, on n’est pas sûr que Gbagbo ait la totale confiance de tous les responsables de l’armée. Il n’y a qu’à voir la gradation des sanctions prises par l’Union européenne d’un côté et les Etats Unis de l’autre. En ayant d’abord visé le premier cercle de Gbagbo, elles vont s’élargir ensuite à tout le clan. Le Chef d’Etat Major de l’Armée, le général Mangou, qui à l’origine n’était un homme du clan, peu proche qu’il est de Gbagbo, n’a été ciblé que plus tard. Porte lui avait été laissée ouverte pour déclencher une sorte de révolution de palais qui ne viendrait plus de lui. Peut-être. Précisément parce que les menaces de guerre de la communauté internationale qui auraient servi de prétextes sont justes virtuelles et n’offrent pas l’occasion aux indécis de passer à l’acte contre le groupe qui semble uni.
Sans intervention armée, on déplore quotidiennement des morts dans des localités réputées fiefs d’ADO. On parle d’exactions massives pour lesquelles des enquêtes sur l’existence d’éventuels charniers sont envisagées. Il y en avait eu, ici et la, à Yopougon par le passé. Dans la même vaine des actes de violence, les troupes de l’Onuci (Nations Unies) en Côte-d’Ivoire sont la cible des hommes de Gbagbo, perdant du matériel et enregistrant des blessés dans leurs rangs.
En définitive, la position attentiste qui consiste à envoyer des émissaires et à promettre une intervention armée sans pouvoir traduire ces menaces en actes n’est que de l’eau versée sur le dos du canard. En cela, on imagine le casse-cou de Blé Goudé en train de pavoiser dans les rues d’Abidjan, se bombant la poitrine et répétant à tue-tête: «c’est l’homme qui a peur, sinon il n’y a rien».
Laisser un commentaire