Egypte : la voie du pire

Hosni Moubarak sort ses crocs et ses accros. Alors qu’on le voyait finir, tituber. Alors qu’on le croyait à bout de souffle, en bout de course. Alors qu’on l’attendait de l’autre côté de la porte de sortie. Il se révolte. Le Raïs égyptien appelle ses « partisans » à la rescousse. Ou tout au moins ceux qui veulent bien passer pour. Et ça dégénère. A coups de blocs de pierres, de couteaux et d’armes à feu, c’est la marche contre-révolutionnaire qui s’engage. Un bras de fer qui depuis quelques jours, rougit de sang la place forte de la contestation, la place Tahrir. Soubresauts d’agonie ou baroud vengeur ? Nous le saurons bien assez tôt. Quand ils ont atteint pour la première fois des millions dans les rues, les émeutiers de l’Egypte révolutionnaire ont marqué les esprits. En Egypte et en dehors de l’Egypte. La vague avait atteint son point culminant. Elle était désormais capable de submerger l’insubmersible. Les discours devinrent de moins en moins conciliants outre Méditerranée et outre Atlantique. Visiblement, les alliés n’étaient plus prêts à sacrifier leur réputation à la défense de l’impopularité au sommet de l’Etat. Barack Hussein Obama exige des réformes profondes. De toute évidence, le retrait d’Hosni Moubarak ne serait pas pour lui déplaire. L’Union Européenne regimbe aussi, Merkel, Sarkozy et Cameron en tête. Le silence gêné de la Chine et de la Russie ne vaut plus soutien. Et la marée révolutionnaire qui a déjà emporté Zine El-Abidine Ben Ali en Tunisie, qui s’amplifie au Yémen, en Jordanie et en Algérie, était en passe de faire son œuvre au pays des Pharaons.

Il fallait donc au Raïs reprendre la main. Réagir. Prouver à ses détracteurs et à ces lâcheurs de l’extérieur que lui aussi était capable de mobiliser. Encore. Des milliers, des dizaines de milliers de partisans. Au cœur des plus grandes villes. Et ils sont là ! En nombre, mais surtout en armes. Ils disent être opposés à un départ précipité du pouvoir de celui qu’ils considèrent comme le seul capable de présider à leurs destinées. En son nom, ils frappent. En son nom, ils blessent. En son nom, ils tuent. Au vu et au su d’une armée débordée. Délibérément débordée, mais qui commence enfin à  s’interposer. Le sang qui coule risquait de l’éclabousser. C’est la voie choisie par Hosni Moubarak pour dire qu’il a fini de faire ses dernières concessions. C’est vrai en tout cas qu’il ne lui reste plus grand-chose à céder. Rien d’autre que son fauteuil présidentiel. C’est ce que réclament ses adversaires. C’est ce que ses partisans sont venus défendre.

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Mais, ces « partisans », parlons-en. Certains en sont de véritables. Des Egyptiens du peuple qui ont toujours considéré Hosni Moubarak comme un président exceptionnel. Ceux-là, il ne les aurait pas choqué que le Raïs reste président à vie, ni même qu’il lègue le pouvoir à son fils Gamal au soir de son règne. D’autres sont des profiteurs du régime. Des thuriféraires et des partisans de thuriféraires. Pas plus que les premiers, ceux-là ne souhaiteraient la fin du système qui les a toujours nourris et blanchis. Il y a enfin les « marionnettes ». Ces meurt-de-faim à quatre sous que le pouvoir a payé pour aller gonfler les rangs des partisans et semer la zizanie place Tahrir au Caire. Arrêtés, nombre d’entre eux, en témoignent. C’est avec le concours de ces gens-là que Hosni Moubarak, au crépuscule de son temps a choisi la politique du pourrissement. Pas question pour lui de suivre la voie de Ben Ali. Pour finir comme un paria. C’est un militaire, lui. Qui ne quitte pas le théâtre des opérations parce que la situation se présente mal. Il veut lutter, rester, jusqu’au bout. Quel que puisse en être le prix.

Mais cette fois, ce qui se joue dans les rues d’Alexandrie, de Suez ou encore du Caire, dépasse le cadre formel d’une contestation révolutionnaire plus ou moins pacifique. C’est la survie d’un peuple face à un dictateur qui s’est enclenchée. Pour ceux qui ne l’avaient pas encore compris, ce régime montre bien qu’il est prêt au pire pour arriver à ses fins. Un gouvernement qui est prêt à instrumentaliser une partie de son peuple pour l’opposer à l’autre au mépris des vies sacrifiées, ne mérite pas de conserver la gestion des affaires publiques. L’armée égyptienne est interpelée. On la dit populaire. Il est vrai que les manifestants ne s’en prennent pas à elle et elle non plus à eux. On la dit républicaine. Elle s’est surtout montrée légaliste jusque là. On l’attend salvatrice. Le destin de l’Egypte est entre ses mains. Afin que ceux qui sont morts ne soient pas morts pour rien.

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