Deuxième tour de la présidentielle en Haïti: dans la quadrature du cercle politique

Michel Martelly ou Mirlande Manigat? La noblesse ou la classe roturière? La professeure d’Université ou le chanteur populaire? Les Haïtiens ont fort à faire sur le choix qu’il leur revient d’opérer ce jour à l’occasion du second tour de l’élection présidentielle attendue depuis bien des mois déjà. Après les fraudes et les corrections de fraudes, après l’élimination et le repêchage de leur champion, après les tergiversations de diverses natures, voici arrivée l’heure du choix décisif. Qui pour succéder à René Préval, président sortant ayant étalé ses limites depuis le départ contraint en exil de son prédécesseur Jean-Bertrand Aristide en 2004? Qui pour soigner et guérir les maux immensurables dont Haïti la «damnée» souffre depuis son accession à la souveraineté internationale en 1804? Haïti est une société en crise. Pire, Haïti est un pays malade. Malade de sa guerre perpétuelle contre la nature. Malade de son peuple. Malade de ses dirigeants. Passés, présents et peut-être futurs. Malade de ses élites. Malade. Au point où à l’heure de confier son destin à celui ou celle qui aura la charge de relever les défis du futur, il a encore fallu qu’il passe par les étapes déplorables que nous avons évoquées. Et qu’il compte ses morts. Une goutte d’eau dans la mer, ceux-là, quand on pense aux centaines de milliers qui ont perdu la vie dans l’inoubliable séisme du 12 janvier 2010.

Les Haïtiens ont donc enfin l’occasion de renouveler leur classe dirigeante et n’eurent été les fraudes du premier tour et les remous qu’ils ont occasionnés, le verdict des urnes aurait été connu depuis quelques semaines déjà. Mirlande Manigat, ci-devant professeure de droit à l’Université, ancienne première dame et élue habituée du parlement serait peut-être devenue présidente de la république. A moins que le peuple souverain n’eût décidé de confier son avenir au très populaire chanteur Michel martelly qui semble bien partir avec les faveurs des pronostics. D’un côté donc, une Elen Johnson Sirleaf à la haïtienne, et de l’autre un George Manneh Oppong Weah. Décidés tous les eux à en découdre dans les urnes jusqu’au dernier bulletin du dépouillement. Pour peu que les circonstances du premier tour aient servi d’exemple aux structures organisatrices.

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Mais comment comprendre la qualification pour le second tour de la présidentielle d’un personnage comme martelly Michel, sans aucune expérience politique, sans aucun parti pour incarner et porter son programme, sans aucun soutien de taille dans la classe politique au moment où il décidait de tenter l’aventure. Les ressemblances avec le Libéria ne s’arrêtent pas en si bon chemin. Pour qu’un Etat en arrive là, capable de rejeter non seulement sa classe politique traditionnelle, mais aussi sa classe intellectuelle, sur le point de confier la gestion du pouvoir d’Etat à des gens qui en la matière n’ont aucune expérience, ni formation politique, il faut qu’il soit profondément sinistré comme pouvait l’être le Libéria après Charles Taylor en novembre 2005. Le peuple n’est alors plus dupe des promesses faites par ces « cols blancs » qui, une fois élus, sont comme frappés d’amnésie. Il préfère trouver en son sein, parmi ceux qui lui ressemblent le plus, les plus à même de comprendre sa situation et de le sortir de la misère ambiante.

C’est pour cette raison, que je pense, et je peux me tromper, que Mirlande Manigat, ne pèsera pas bien lourd face à Michel martelly lors de ce second tour tant attendu et enfin arrivé. Elle incarne, en tant qu’ancienne première dame tout au moins, l’échec de la classe politique haïtienne qui n’a pas su sortir le peuple de l’ornière. Mais il n’en demeure pas moins que, quand les défis sont aussi colossaux que ceux qu’Haïti doit relever pour amorcer son relèvement, la question se pose de savoir si c’est vraiment le moment de confier le pouvoir à un néophyte en politique. C’est la quadrature du cercle. Qui pourrait peut-être expliquer un éventuel retournement de tendance si jamais Madame Manigat finissait par l’emporter.

Haïti se prépare à offrir aux analystes sociologues politiques une occasion d’éprouver leurs théories sur « les dirigeants que méritent les peuples » et d‘en élaborer d‘autres sur le rejet démocratique des dirigeants politiques dans leur ensemble. Le plus important n’est pourtant pas là. Manigat ou martelly, auront fort à faire pour mériter la confiance que le peuple s’en va placer en l’un ou en l’autre. Je me demande bien, moi, si l’on m’avait offert de devenir sans même avoir à concourir, président d’Haïti par les temps qui courent, j’aurais eu le courage de l’accepter. Mais là, ce n’est que moi. Et vous l’avez sans doute remarqué, dans cette affaire, il ne s’agit à aucun moment de moi.

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