Plus de dix jours après le scrutin présidentiel du 13 mars dernier et moins d’une semaine après la proclamation des résultats provisoires par le président de la Cour constitutionnelle, le pays tout entier semble pris dans une sorte de torpeur qui frise une attaque d’apoplexie. Les vainqueurs ont le triomphe modeste, pour la simple et bonne raison que tout triomphalisme paraitrait incongru et indécent. Dans un pays ou les régies financières sont en grève perlée depuis plus de six mois, toute célébration d’une victoire à la présidentielle serait perçue comme une provocation. Les vaincus eux, cherchent à se convaincre que rien n’est encore perdu. Dans la ville de Cotonou et ses cités dortoirs que sont Godomey et Abomey Calavi, pas le moindre signe de réjouissance. On ne se croirait pas vivre les lendemains d’une grande échéance électorale attendue de longue date et qui a suscité tant de polémique
C’est que les résultats de ce scrutin laisse un arrière de goût d’inachevé qui donne l’impression d’un énorme gâchis .Tout ça pour….. ça ? Tant de marches contre une Lépi taillée sur mesure, tant de sit-in, tant de vociférations, de tambourinages à l’hémicycle, de coups de poing manqués ou en plein dans le mille, de publication de mémorandum et autres brûlots sur les scandales qui ont émaillé le quinquennat….. Pour seulement ça ? UN Ko obtenu dans des conditions de grande opacité qui laisse tout le monde groggy. On se surprend à se déciller les yeux et à se demander : «mais qu’est-ce qui nous arrive ?» » Les séides et autres thuriféraires du régime du changement ont leur explication toute faite : le camouflet de 2006 joue les prolongations : «c’est le requiem de la vieille classe politique », affirme-t-on péremptoire. Les déçus du scrutin du 13 mars n’ont qu’un mot à la bouche : la fraude massive : Et l’on parle pêle mêle de bulletins pré estampillés de micro-crédits distribués jusqu’à la veille du scrutin, de votes massifs d’étrangers déversés par camions entiers vers les régions frontalières. Mais il manquera à tout ce tableau une chose essentielle pour faire invalider le scrutin : les preuves ? Et comme l’on sait notre Cour constitutionnelle très pointilleuse sur les textes, n’entreront en compte que les preuves qui ont été mentionnées dans les procès verbaux déjà envoyés à la Cour Il manquera aussi ce grand questionnement qui peine à trouver réponse : Mais où étions- nous quand tout cela se passait ?comment tout cela a pu se passer au nez et à la barbe de tout le monde pour ainsi dire ? Au nez et à la barbe des militants de la Rb initiateurs des premières brigades anti fraudes de ce pays ? Nous sommes en face d’un crime presque parfait où on l’on retrouve un cadavre mais pas de criminel.
La vérité est que notre pays a changé de repère depuis l’avènement du régime du changement ? Plus rien n’est plus comme avant où le Bénin notre pays pouvait s’enorgueillir d’un processus démocratique qui fonctionne mieux qu’ailleurs ; une presse relativement libre qui savait donner de la voix, des institutions de contre pouvoir qui fonctionnent plus ou moins harmonieusement. Mais aujourd’hui, tout est sens dessus -dessous. Les contre pouvoirs n’existent que de nom. La Haac est incapable de rappeler à l’ordre, oui à l’ordre républicain, les responsables de l’Ortb qui ont transformé la seule chaine de service public en un instrument de propagande politique au seul service du pouvoir du changement ? Aucun débat majeur d’intérêt public n’y est organisé et la seule émission de débat citoyen a subi toutes les lubies des responsables qui militent ouvertement dans le camp présidentiel .Et cette Cour constitutionnelle qui compte paradoxalement les deux meilleurs constitutionnalistes que notre pays a produits donne l’image affligeante d’une Cour partisane. Au total, un pays qui vit en coupe réglée au pas de danse du gourou du changement. Le mode opératoire de ce système prisé par les régimes honnis de Bozizé, d’Eyadéma père et fils et de Bongo père, c’est le noyautage de toutes les institutions de contre pouvoir. Et quand on sent de la résistance quelque part, on n’hésite pas à utiliser la ruse pour bloquer et le passage en force dès qu’il ya une brèche.
Nous qui croyons en avoir « vaincu la fatalité », nous qui croyons en avoir fini avec les méthodes autocratiques de gestion du pouvoir, nous prenons en plein visage la gifle du retour aux » technologies électorales » d’une autre époque. Nous reviendrons dans nos prochaines éditions sur les leviers du nouveau système qui s’installe sous nos yeux pour faire ressortir ses maîtres penseurs, ses séides et ses profiteurs. Pour l’heure, contentons-nous de dire que le Bénin avec la dernière présidentielle vient de tourner la page de la démocratie pluraliste. Ce n’est plus l’exception en Afrique où l’issue des élections est toujours incertaine. Il est devenu un pays normalisé où les résultats des élections sont connus d’avance annoncés et distillés à doses homéopathiques par une presse stipendiée. Il est devenu comme, le Tchad, la Centrafrique, le Togo et bien d’autres. A l’heure où les peuples en colère du Proche et du Moyen Orient soulèvent la Chappe de plomb qui les étouffait, le retour aux scrutins habilement traficotés est plutôt un mauvais signal.
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