Opérations militaires en Libye : l’inconséquente condamnation de l’Union africaine

19 mars 2011 : le soir tombe sur la Libye. Le soulèvement du peuple dure déjà plus d’un mois. Avec 6.000 morts au moins à la clef. Les insurgés sont au bord de l’essoufflement. Quelques heures plus tôt, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a enfin voté la résolution devant permettre de mettre fin aux attaques contre les civils. Mais les troupes favorables au Guide Mouammar Kadhafi ont accéléré le pas. Benghazi est sur le point de tomber. Soudain, zébrant le ciel, une pluie de missiles s’abat. C’est l’aube de l’Odyssée tant attendue. Les troupes du Guide sont stoppées net et ses avions cloués au sol. Tout le monde respire. Tout le monde ? Non. Quelques condamnations fusent. Du Venezuela. De l’Inde. De la Chine. De la Russie. C’est normal, on n’en attendait pas moins de ces Etats. D’autres sont moins compréhensibles, moins rationnelles. Celles de l’Union africaine notamment. « Médecin après la mort. » A proposer encore en alternative une de ses « solutions africaines » dont la recette est tant éprouvée. Et ne fait plus recette.

Il y a au moins deux façons de lire la position de l’Union africaine sur la situation en Libye. Les condamnations formulées par les Chefs d’Etat et de gouvernement réunis en sommet à Nouakchott ressemblent à tout le moins à une position de principe. Pour une organisation régionale dont l’Acte constitutif promeut très clairement les idéaux de paix et de sécurité sur le continent, de même que la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats. De ce point de vue, l’on peut se borner à comprendre l’attitude tout en se disant qu’elle n’a d’autres buts que d’une part, rappeler l’attachement des Etats africains aux principes fondateurs de leur Union et d’autre part, faire montre au Colonel Kadhafi d’une certaine solidarité à l’heure de l’épreuve. A l’heure où il passe du rôle du chat à celui de la souris. Cette lecture des événements se trouve confortée par le vote positif des Etats africains actuellement membres du Conseil de sécurité de l’ONU à titre provisoire. Autant l’Afrique du Sud que le Nigeria, géants de l’Afrique subsaharienne s’il en est, ont approuvé l’idée de « prendre toutes les mesures nécessaires » afin que cessent les attaques contre les civils. Peut-être ont-ils été contraints suite à des pressions d’adopter cette position, mais rien ne le dit, ni ne le prouve.

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La seconde lecture que l’on peut faire des protestations de l’U.A. contre les frappes ciblées en Libye est beaucoup moins indulgente. Remarquez, ces condamnations sont intervenues moins de 24 heures après le début des frappes de la coalition internationale. Avez-vous seulement compté combien de jours ont attendu les dirigeants africains avant, non pas de condamner l’usage disproportionné de la force par le Guide, mais d’appeler à la retenue les protagonistes de la crise ? Alors même qu’aux premières heures du soulèvement, les insurgés et rebelles d’aujourd’hui n’étaient que des manifestants désarmés ! Avez-vous seulement compté le nombre de Chefs d’Etat africains ayant à titre individuel, protesté contre les bombardements aveugles de civils par des avions de combat ? N’a-t-il pas fallu que les hommes du Colonel Kadhafi soient en passe de récupérer les derniers bastions de l’opposition pour que l’Union africaine suggère finalement un panel de Chefs d’Etats chargés de négocier on ne sait trop quoi ?

L’U.A. ne rate pas la moindre occasion de redorer son manteau de syndicat des dirigeants africains. Pas même quand les signaux tendent à une fin inéluctable du dirigeant ainsi défendu. L’organisation panafricaine risque encore une fois de rater le coche de l’histoire. S’il devait arriver que le Guide soit destitué, l’Union africaine, à travers sa maladroite condamnation « sans réserves » des frappes contre ses troupes, aura choisi d’être dans la mauvaise posture historique. Les opinions publiques subsahariennes, mais aussi arabes et encore plus libyenne qui observent le cours des événements, lisent d’un mauvais œil cette diplomatie pusillanime à l’africaine.

Les positions de l’U.A. sont incongrues. Elles traduisent le mal-être d‘une organisation panafricaine en perte de repères. Des repères qui sont pourtant bien soulignés dans son Acte constitutif et qui ont nom respect des droits de l’homme, bonne gouvernance, etc. Ce n’est pas seulement quand les relents d’ingérence dans les affaires intérieures des Etats apparaissent qu’il convient d’agir. Pour être crédible, l’U.A. doit et se doit de se prononcer chaque fois que ses autres principes fondateurs sont mis en péril par l’action de l’un quelconque de ses membres. Aussi puissant puisse-t-il être. A ce prix-là seulement, elle passera pour l’institution crédible qui demain méritera de réunir les Etats africains sous la bannière de l’unité qui va au-delà des mots. Et qui ambitionne de soigner les maux.

En attendant, ne rêvons que modérément. L’U.A. est consciente de la futilité de ses protestations. Mais elle prend ainsi date pour prendre une part active dans d’éventuelles négociations futures. Pour que la marginalisation dont l’Afrique a fait l’objet dans le processus décisionnel ayant abouti aux frappes sur la Lybie ne se produise plus. Pour que l’Afrique compte désormais dans les relations internationales.

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