Abidjan : dans les convulsions de la guerre

La Côte d’Ivoire vit des heures de braise. La « bataille finale » tarde à prendre fin à Abidjan. Cela fait bientôt deux semaines que les Forces républicaines, dévouées au Président élu et reconnu comme tel, Alassane Ouattara, ont fait leur entrée dans la capitale économique ivoirienne avec pour objectif annoncé de déloger Laurent Gbagbo et d’installer son successeur dans ses fonctions officielles. La défection de prime abord de généraux comme Philippe Mangou et d’autres a donné l’illusion d’un délitement du camp d’en face. La victoire paraissait toute proche et ne pas devoir provoquer d’effusion dramatique de sang. Vains espoirs et peine perdue. La bataille du pouvoir à Abidjan ne faisait que commencer.

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Il faut avoir vécu l’horreur du phénomène de la guerre pour se rendre à l’évidence de ce qu’elle est. Les destructions massives, les tueries aveugles, les pillages systématiques… Abidjan n’avait jamais encore rien subi d’une telle ampleur. Il est même certain que nombreux sont les partisans des deux camps rivaux, surtout ceux de Laurent Gbagbo qui souhaitaient finalement une bataille brève, et peut-être même une défaite de leur camp afin d’écourter les souffrances des habitants des quartiers sous les feux des belligérants. De fait, cela fait déjà près d’un mois que l’offensive des Forces pro-Ouattara s’est déclenchée et a privé le Président sortant de l’essentiel de ce qui lui restait comme leviers d’effectivité du pouvoir. Mais force est de constater qu’il faudra compter encore une fois plus qu’avec longueur de temps qu’avec force ni qu’avec rage. Pendant que le front se déplace sans cesse entre le Palais présidentiel d’Abidjan Cocody et les abords de l’Hôtel du Golf, quartier général d’Alassane Ouattara et de son gouvernement, Abidjan ne « coupe » plus, ni ne « décale ».

 

En cause dans cette guerre sans fin, on  l’a assez dit, l’entêtement de Laurent Koudou Gbagbo qui refuse d’admettre sa défaite tant politique que militaire. Obstination doublée d’un formidable sens de la sérénité qu’exhibent avec beaucoup d’aisance ses partisans comme Charles Blé Goudé, Alain Toussaint, Awa Don Mello. Cette imperturbabilité qui ne peut avoir d’autre fonction que de renforcer ses combattants dans la conviction qu’ils ont de se battre, non pour un homme fini, mais pour un régime qui compte encore sur les forces qui lui restent pour renverser le cours de l’histoire. Même si en réalité, cela ressort désormais de l’irrationnel. Cette stratégie de communication entretenue par une Radiotélévision ivoirienne constamment prise et reprise par les combattants des deux camps, se trouve aidée bien malgré elles par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire qui, trop sûres de leurs appuis ont manqué à plusieurs reprises de réduire la RTI au silence, privant par la même occasion le camp Gbagbo d’un précieux instrument de propagande.

Pendant ce temps, l’Abidjanais lambda ne peut plus vaquer tranquillement à ses occupations favorites. Outre qu’il est de plus en plus compliqué de se procurer de la nourriture, de l’eau et des médicaments, les rues de la capitale économique ivoirienne reflètent un vide désespérant. Les nombreux bars et maquis de la fameuse Rue Princesse résonnent d’un silence plus qu’assourdissant. Un silence qui résonne du plus lointain de l’histoire de la Côte d’Ivoire. Cet état de choses est pour certains encore plus pénible à endurer que le bruit sourd des tirs de mortiers et de blindés en usage dans l’affrontement entre les deux camps. L’espoir d’une guerre courte, une fois la guerre devenue inévitable, était nourri par ces gens-là. Par ces Abidjanais que l’on connaît plus d’ordinaire fêtards que guerroyeurs. Plus que jamais, ils en veulent à Laurent Gbagbo et à Alassane Dramane Ouattara de les avoir entraînés jusque-là. Pour eux comme pour la plupart des Ivoiriens, plus tôt on en finira, quel que soit le vainqueur final, mieux ça vaudra. Pour tous. Il sera toujours temps plus tard de ressortir les discours politiques et les plaidoyers en faveur d’un tel ou d’un tel autre. Tout le monde sait que le temps des discours, quel que puisse en être la violence, on peut toujours continuer à chanter, danser, « couper », « décaler » et tchatcher dans les rues chaudes d’Abidjan.

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Ces temps-là, par les temps qui courent, manquent à la Côte d’Ivoire.

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