Les jours – les heures probablement – de Laurent Gbagbo sont plus que jamais comptés à la tête de la Côte d’Ivoire. A l’heure où paraissent ces lignes, il négocierait même une reddition. Il aura donc fallu que Sarkozy, décidément très foudre de guerre, prenne place activement dans le combat aux côtés des forces pro-Ouattara pour enfin pousser Gbagbo à la rupture. Depuis hier 4 Avril 2011, Sarkozy a reçu l’autorisation par le Secrétaire Générale de l’ONU de bombarder le palais et la résidence personnelle de Laurent Gbagbo. Oui, c’est vrai, dans le jargon onusien, les choses ont été dites de manières bien plus feutrées.
La résolution 1975 du Conseil de Sécurité de l’ONU ne donne pourtant pas directement à l’ONUCI, et encore moins à la Force Licorne, le mandat d’attaquer les positions de Laurent Gbagbo que sont le palais présidentiel et sa résidence personnelle. C’est pourtant ce que font depuis la nuit dernière la Force Licorne appuyée par l’ONUCI. L’article 6 de cette résolution semble pourtant clair. Le Conseil de Sécurité y déclare : « qu’il a autorisé l’ONUCI, dans le cadre de l’exécution impartiale de son mandat, à utiliser tous les moyens nécessaires pour s’acquitter de la tâche qui lui incombe de protéger les civils menacés d’actes de violence physique imminente, dans la limite de ses capacités et dans ses zones de déploiement, y compris pour empêcher l’utilisation d’armes lourdes contre la population civile ». Il apparaît dès lors que l’intervention franco onusienne dévie quelque peu de ce mandat.
L’offensive militaire lancée par la Force Licorne sous l’égide de l’ONUCI, rompt définitivement avec la pseudo impartialité qui prévalait jusque-là. En effet, il serait difficile de faire plus partial que de renforcer une des parties belligérantes et combattre à ses côtés. C’est exactement ce qu’ont choisi de faire la France et l’ONUCI aux côtés des forces pro-Ouattara pour permettre à celles-ci de gagner rapidement la bataille d’Abidjan.
Par ailleurs, est-ce réellement au palais présidentiel et dans la résidence personnelle de Gbagbo que des populations civiles seraient menacées d’actes de violence ? Les forces pro-Ouattara serait-elles considérées comme des civils ? Descendues du nord, elles avaient plutôt progressé rapidement, montrant une certaine aisance militaire en prenant facilement plusieurs villes, avant de caller à Abidjan. Pourtant, des civils menacés, il y en a dans tous les quartiers d’Abidjan, notamment à Abobo, où sévit le Commando Invisible. Des civils menacés, il y en a assurément encore à Duékoué, où l’ONU a découvert un charnier de plusieurs centaines de morts. En fait, selon différentes sources, un millier de personnes auraient été massacrées dans cette localité de l’ouest ivoirien. Human Rights Watch a dénoncé « des exactions qui s’apparentent à des crimes contre l’humanité ».
Enfin, le palais présidentiel de Laurent Gbagbo est certainement pourvu en armes lourdes ; chose somme toute normale. Sans même avoir le génie d’un chef de guerre, la logique aurait voulu que Gbagbo utilise ses armes pour défendre son palais contre les Forces Nouvelles ; c’est ce qu’il a fait avec apparemment une certaine réussite. Dans le cadre de cette bataille d’Abidjan, on pourrait à raison accuser Gbagbo de l’utilisation d’armes lourdes contre les Forces Nouvelles, mais pas contre des civils.
Pourquoi donc la France, de concert avec l’ONUCI, a-t-elle pris l’initiative d’attaquer directement Gbagbo alors que les Forces Nouvelles de Ouattara contrôlaient quasiment tout le pays et qu’elles venaient de lancer la bataille d’Abidjan qui devait être rapide, et leur permettrait d’installer enfin leur président? Tout simplement parce que la bataille d’Abidjan a été plus longue que prévue. Gbagbo a opposé beaucoup plus de résistance qu’escomptée. Et il aurait été inconcevable que Gbagbo ne tombât pas enfin : Sarkozy en avait fait une question personnelle.
La France a donc décidé de donner un coup de main aux forces de Ouattara : une fois détruite les meilleures défenses de Gbagbo, la tâche serait beaucoup plus facile pour les Forces Nouvelles. Ainsi, pendant que l’ONUCI pilonnait le camp d’Akouedo, les hélicoptères de la Force Licorne s’occupaient du camp d’Agban, avec pour mission de détruire toutes les armes lourdes de Gbagbo (chars, mortiers…). C’est chose faite et désormais, dans les rues d’Abidjan, les combats se déroulent désormais à la kalachnikov. Les Forces Nouvelles sont plutôt à l’aise avec ce type de combats et Gbagbo ne devrait plus tenir longtemps. Il négocierait même déjà sa reddition. Au final, Ouattara sera donc installé et peut-être que chacun pourra y trouver des satisfactions.
Nicolas Sarkozy aura enfin réussi son pari. Il n’a jamais caché son intention de vouloir ‘‘finir avec Gbagbo’’. Il y a quelques mois, au tout début de la crise post-électorale en Côte d’Ivoire, il avait déclaré, je cite : ‘‘ J’ai eu Laurent Gbagbo au téléphone et je lui ai dit qu’il a jusqu’à la fin de la semaine pour quitter le pouvoir’’. Nous étions alors en décembre 2010…Il aura quand même attendu de longs mois avant d’assouvir son ambition de bouter Gbagbo dehors.
Ouattara aura enfin la satisfaction d’être enfin Président. Et Dieu sait qu’il attend ce moment depuis longtemps.
Quant à Gbagbo, s’il s’en sort sain et sauf, il serait déjà bien heureux.
Mais pour la Côte d’Ivoire, quelle satisfaction il y aurait-il même si Ouattara prend enfin le pouvoir ? Et pour l’Afrique, que restera t-il de la gestion de cette crise, sachant que la CEDEAO n’a pas eu son mot à dire, alors qu’avec ECOMOG elle en avait les moyens militaires, si tant est-il que la solution fût militaire? Quelle est la crédibilité de la communauté internationale et l’ONU en particulier, si leur impartialité est si clairement mise à mal ? Ce sont autant d’interrogations qui peuvent, si elles ne sont pas correctement levées, servir de terreau au sentiment nationaliste sur lequel Gbagbo a jusqu’au bout essayé de surfer.
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