Justice en Côte d’Ivoire: Ces morts qui crient vengeance

Justice ou réconciliation ? Toutes les guerres, partout dans le monde, aussi loin que remonte l’histoire de l’humanité s’achèvent en posant cette équation cruciale. Quand on a fini de se tirer dessus les uns les autres, quand on a fini, les uns de violer les sœurs et les femmes des autres, et quand les autres ont fini de massacrer les familles des uns. Quand, après les plus indicibles exactions, on finit par se lasser de tuer et de mourir et qu’il faut de nouveau vivre ensemble. Quand revient la paix. Il est alors toujours question de choisir entre soif de justice et besoin de réconciliation. Certains ont trouvé la formule : « vérité et réconciliation ». D’autres n’y ont jamais réussi. La Côte d’ivoire devra, elle, chercher sa voie, loin dans l’histoire. Dans son histoire. La recherche de la vérité et de la justice rouvre des plaies et fragilise la paix retrouvée. Surtout dans des cas comme celui de la Côte d’Ivoire où, de toute évidence, c’est un camp qui a fini par l’emporter sur l’autre. Il n’en demeure pas moins que la mémoire de tous les morts du conflit doit pouvoir être honorée dignement. Les morts innocents. Toujours les plus nombreux puisque les plus vulnérables. C’est à eux que les voies de la justice doivent apporter la paix. Car, même si en certaines circonstances, le fait de traîner devant la justice des leaders charismatiques et de les condamner à des peines parfois infâmantes, peut réveiller des rancœurs, l’absence de justice est plus encore susceptible de générer des troubles. La justice a une fonction plus apaisante et pacificatrice, dans les conditions d’équité et d’égalité, que les plus beaux discours post-guerre. Et si, comme annoncé par les nouvelles autorités de la Côte d’Ivoire, c’est la voie de la paix par la justice qui est choisie, il faudra qu’elle aille chercher ses sujets non pas seulement parmi les morts de ces derniers mois, mais beaucoup plus loin. Une décennie plus loin.

L’histoire de ces morts qui demandent justice en Côte d’Ivoire commence à Yopougon. Ils sont une cinquantaine. Ils sont jeunes. Ils sont des partisans présumés d’Alassane Dramane Ouattara. En novembre 2000, suite à l’élection présidentielle remportée dans des conditions « calamiteuses » de son propre aveu par Laurent Koudou Gbagbo, c’est par centaines qu’ils envahissent les rues pour exiger l’organisation d’un nouveau scrutin, cette fois avec leur champion en lice. La gendarmerie qui a alors déjà fait allégeance à Laurent Gbagbo tire à balles réelles et sans sommation. Le procès qui eut lieu dans cette affaire en 2002 n’a laissé personne dupe. La justice reste à rendre.

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L’histoire de ces morts qui crie vengeance est aussi celle du Général Robert Guéi. L’ancien président ivoirien, le fameux « balayeur balayé », a eu le tort en 2002 de n’avoir pas su ce qui se préparait. Quand, aux premières heures de ce 19 septembre 2002, une partie des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire décide de renverser le Président Laurent Gbagbo alors absent, les regards se sont d’abord tournés vers Robert Guéi. Il l’avait déjà fait à Henri Konan Bédié. Il pouvait avoir remis ça. Les forces loyales au Président Gbagbo n’ont pas dû réfléchir autrement. Elles ont recherché et trouvé l’ancien général putschiste et l’ont abattu de plusieurs balles devant l’évêché d’Abidjan où il s’était réfugié. Son épouse, Rose Doudou et plusieurs de ses enfants ont subi sans ménagement le même sort. Pour ceux-là aussi, justice reste à rendre.

Il y a aussi ceux-là, dont le meurtre ou la disparition a eu un écho retentissant : Charles Dacoury Tabley. Médecin dentiste à Abidjan, enlevé dans son cabinet, torturé, exécuté et son corps profané parce que son frère aîné Louis Dacoury Tabley avait annoncé sa défection du FPI et son ralliement à la rébellion du MPCI. Jean Hélène. Journaliste français de renom, abattu par un gendarme ivoirien, pour avoir essayé de faire son travail. L’assassin ayant été porté en triomphe pour l’acte « anticolonialiste » par les Jeunes patriotes de Charles Blé Goudé lors d’un procès qui là encore n’a trompé personne. Guy-André Kieffer. Disparu sans laisser de traces. Parce que trop intéressé par les réseaux mafieux de la filière cacao. Justice reste à rendre.

On devra enfin rendre justice à la grande masse anonyme disséminée dans les eux camps et prise dans les représailles et contre-représailles des uns et des autres depuis 2000-2002. Les victimes des purges organisées par les rebelles au Nord au moment de leurs conquêtes. Les victimes collatérales des affrontements fratricides entre IB et Guillaume Soro. Les victimes des tristement célèbres escadrons de la mort qui ont sévi à Abidjan au plus fort de la crise. Les morts d’Abobo et d’Adjamé, tombés sous les balles et les obus des FDS. Les massacrés de Douékué, Guiglo, Bloléquin, etc. Et enfin les morts de la bataille finale à Abidjan. Et pas que les morts. Les blessés, les spoliés, les victimes de toutes ces exactions que l’on a du mal à croire qu’elles ont germé de la cervelle d’êtres humains et destinées à faire du tort à d’autres êtres humains.

Justice passe réconciliation. D’ailleurs, justice est mère de réconciliation. Et réconciliation est mère de paix. Justice reste à rendre en Côte d’Ivoire, mais reste encore à savoir si justice sera rendue.

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