Longtemps doigtée comme modèle en Afrique, la démocratie béninoise balbutie et l’élection présidentielle du 13 mars lève le voile sur les tentacules de l’ivraie qui, depuis avril 2006, poussait autour du bon grain mis en terre à la Conférence Nationale de février 1990. Jusque-là, il n’y avait pas danger aux yeux de la communauté internationale. La dégringolade du pays dans les classements mondiaux aux plans des libertés fondamentales, les violations des droits de l’homme et des droits syndicaux ne portaient pas encore d’ingrédients de nature à émouvoir les instances internationales. Tant qu’on n’a pas entendu des tirs à l’arme lourde à Cotonou ou à Porto-Novo, tant qu’aucun charnier n’est découvert en banlieue à Abomey-Calavi ou à Sèmè, tout va pour le mieux ! De plus, le Président Boni Yayi allait pour un second mandat.
Il n’a pas manipulé la Constitution pour se faire réélire. Donc, tout allait bien ! Le Bénin n’est pas à l’étape d’une prise de position de la communauté internationale contre le pouvoir en place, ni dans le scénario des interventions, qui s’annonceraient d’ailleurs porteuses, en Libye et en Côte d’Ivoire.
Seulement, l’élection du 13 mars 2011 et ses résultats stupéfiants font river les yeux sur le pays. Parce que la guerre naît précisément de l’accumulation des « petites » crises, il est toujours préférable de prévenir plutôt que de jouer aux médecins après la mort !
L’intelligentsia béninoise tournée en bourrique
La victoire de Boni Yayi était trop belle pour être authentique ! Elle surprend les hommes de science et de culture. Elle étonne les démocrates, les personnes éprises de paix et de dignité et même les économistes. Contrairement à la propagande pompeusement financée par le régime, le Bénin a stagné et a même reculé à maints égards au cours de ces 5 dernières années, à tous les niveaux et le président s’est mis à dos la quasi-totalité des forces politiques du pays. En principe les réalisations qu’on vante et l’ampleur de la micro finance pour les femmes devraient induire des tendances haussières au plan du développement humain. Compilés, les rapports des 5 dernières années prouvent le contraire et le pays a même reculé sur le chemin de la bonne gouvernance. En 2010, le taux de croissance économique du Bénin était parmi les plus bas de la sous-région, à 2,8%. En ajoutant les dernières inondations, on constate aisément que les Béninois ont connu beaucoup de misères sous le Président Boni Yayi. Comment justifier dans ces circonstances une victoire de telle ampleur que la culture démocratique en terre béninoise n’a jamais offert à un dirigeant ?
Que s’est-il passé réellement passé à l’occasion du scrutin du 13 mars ?
En évitant à dessein de parler de « fraudes massives », deux certitudes méritent néanmoins d’être consignées dans les annales de l’histoire.
1) De nombreux observateurs ont prédit que la Liste Electorale Permanente Informatisée (LEPI) serait l’instrument par lequel Boni Yayi réussirait sa réélection. Les Soglo déclaraient à quelques jours du scrutin, qu’au décryptage de la liste tel qu’elle était concoctée, Boni Yayi l’emporterait dès le premier tour avec 54% des voix. Les prédications se sont traduites dans les faits. Au-delà des péripéties, des pour ou contre, et même si elle émane d’une loi votée et promulguée, la LEPI était-elle prête pour servir à l’élection présidentielle de mars 2011 ? La réponse est assurément non ! Tout le confirme, à commencer par les deux reports de date. Le temps n’a pas suffit pour prendre en compte le maximum possible, finaliser, publier et épurer, comme l’exige la loi. Dès lors, la voix s’ouvre et justifie toutes les manigances : absence de liste électorale, le tiers de l’électorat privé du droit de vote ; les oubliés en majorité seraient dans les zones favorables à l’opposition ; montée en flèche du poids de l’électorat dans les zones favorables au Chef de l’Etat, etc. L’informatisation de la liste électorale avait pour objectif d’induire plus de transparence. C’était tout le contraire, hélas ! On voulait dit-on empêcher les morts de voter, on a plutôt privé des centaines de milliers de vivants du droit de vote !
2) Jusque-là, on croyait qu’au Bénin, l’attachement aux valeurs démocratiques l’emportait sur l’achat des consciences. Les méthodes Yayi ont introduit des « innovations » dans le système électoral. Elles ont réussi à trouver les voies et moyens de lier l’injection massive de billets de banque au sein de la population à l’obligation de résultats. Prenons l’exemple des bulletins pré cachetés que les femmes pouvaient facilement dissimuler dans leurs pagnes et remplacer dans l’isoloir. En ramenant le bulletin non cacheté elles donnaient la preuve d’avoir fait le « bon » choix et emportaient ainsi 10.000 F CFA (environ 20 dollars US) ou alors le montant initial des frais de micro finance. Grâce à cette technique, on pourrait s’acheter pour 15 milliards de F CFA (30 millions de dollars US) la majorité absolue de 1.500.000 voix !
Réélection achetée sur fonds publics
Jouant sur l’extrême pauvreté des populations, encore éprouvées par les dernières inondations, parmi lesquelles figurent celles qui ont perdu leurs maigres revenus dans l’affaire ICC Services et consorts, la stratégie de l’argent aura fonctionné. Les sorties du Président s’accompagnaient de distributions systématiques d’argent frais, au détriment de l’orthodoxie et des régies financières. On savait déjà pour les marcheurs qu’on pouvait mobiliser avec seulement 1000 F CFA (2 dollars US) par personne ! Diverses associations, élus locaux, partis politiques d’envergure plutôt caricaturale, des personnes qui avaient à peine de l’audience à l’intérieur de leurs propres familles, ont eu leurs différents quotas. Le nec plus ultra, ils avaient l’assurance d’apparaître à la télévision et donc de se faire passer pour les plus crédibles. Dans la foulée, les confessions religieuses, les royautés et chefferies traditionnelles étaient officiellement subventionnées.
Et voilà comment Boni Yayi a gagné ! Dans la confusion autour d’une liste électorale fallacieuse, dans l’exacerbation des considérations régionales, dans la corruption électorale. Le jeu manquait de franchise. Et tout le monde a vu ! Boni Yayi a gagné en plongeant le Bénin au bord de l’implosion, situation que confirme la télévision nationale avec la diffusion à profusion de chansons et messages appelant à la paix. Le Bénin continue de payer l’erreur de 2006, celle de l’homme nouveau, à qui on a favorisé la main mise sur les Institutions de l’Etat dont les plus importantes en termes de contre-pouvoir.
De ce fait, il semble qu’il n’y a aujourd’hui de choix que d’accepter les résultats proclamés par la Cour constitutionnelle, dans le respect des lois républicaines. Il faut à tout prix préserver la paix au Bénin. Néanmoins, les forces vives du pays gagneraient dès maintenant à s’organiser et à trouver les moyens les plus pacifiques et les plus légaux visant à contrebalancer les élans liberticides, poursuivre et parachever les inscriptions sur la liste électorale, et freiner la mauvaise gouvernance. Et là, les médias sont appelés à jouer le rôle de « watchdog », si crucial en matière de démocratie. Qu’on travaille donc à arrêter la propagande ! On ne sait où conduisent ces pratiques datant maintenant d’une autre époque. Plus que jamais, les Béninois ont besoin de rester vigilants!
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