Entretien avec Dieudonné Lokossou, secrétaire général de la CSA-BENIN

«Aucun gouvernement issu de notre combat ne doit nous imposer la dictature»

Dans l’entretien qu’il a accordé à votre journal, Dieudonné Lokossou s’est prononcé sur plusieurs points, notamment la journée commémorative de la fête internationale du travail, son séjour au Brésil et les leçons qu’il a en tirées. Il s’est également prononcé sur les dernières élections présidentielles et législatives qui se sont déroulées au Bénin et surtout sur la rumeur d’une politisation à outrance des  confédérations syndicales et les griefs qui frappent la classe syndicale dont la plupart des dirigeants sont frappés par la retraite.  Ils commencent par expliquer pourquoi il a brillé par son absence aux commémorations de la fête internationale du travail, le 1er mai 2011.

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Dieudonné Lokossou: Merci Monsieur le Journaliste. Si votre constat est vrai parce que j’étais effectivement hors du territoire national avant la fête du 1er Mai, l’expression «vous avez brillé par votre absence» me paraît un peu excessive. Cela dit, je voudrais vous préciser que dans le cadre des relations de coopération qui existent depuis quelques années entre la Centrale Unique des Travailleurs du Brésil (CUT) et la Confédération des Syndicats Autonomes du Bénin (CSA-Bénin), les Responsables de cette grande centrale amie m’ont fait l’honneur de m’inviter à prendre part aux manifestations marquant le 125ème anniversaire de la  fête des Travailleurs à Sao-Paulo la plus grande métropole industrielle du Brésil. J’ai fait ce voyage avec le Secrétaire Général Georges Kakaï Glèlè dont la Confédération a été aussi invitée. Pour notre séjour de dix (10) jours, les syndicalistes brésiliens ont concocté au profit des syndicalistes venus de divers horizons d’Afrique et de l’Amérique Latine, un programme très alléchant. Enfin, contrairement à ce qui est avancé, mon absence n’a pas été tellement ressentie par les militants parce que, à la CSA-Bénin nous avons développé un esprit d’équipe et mes Adjoints ont pris le relai avec efficacité.

 

La Nouvelle Tribune: Quel est le contenu du programme de votre séjour et quelle est l’expérience brésilienne sur le plan syndical ?

L.D: Avant d’aller dans le détail du programme et parler de l’expérience brésilienne, il me plaît de souligner que, en dehors de la délégation du Bénin, les Responsables des autres centrales ou confédérations syndicales des pays ci-dessous ont été invités : Sénégal, Nigeria, Libéria, Cap-Vert, Guinée-Bissau, l’Afrique du Sud, le Togo, l’Angola, la Mozambique, la République Démocratique du Congo, la Tanzanie, le Ghana. S’agissant du contenu du programme, il a été marqué presque tous les jours par des conférences-débats sur les privatisations, le Régime d’Assurance Maladie Universelle (RAMU), des exposés sur le travail décent, des expériences de luttes syndicales menées et les résultats obtenus pour l’amélioration significative des conditions de vie des travailleurs dans chaque pays invité y compris le Brésil, des projections de films afro-brésiliens tous les jours. Ainsi, nous avons vu passer sur les écrans des films réalisés par de cinéastes aussi célèbres comme SEMBENE Ousmane du Sénégal, Joël Zito Araigo du Brésil, Mustapha Alassane du Nigeria, Zola Masseko d’Afrique du Sud, Viviane Ferreira du Brésil, pour ne citer que ceux-là. Et l’apothéose, c’est la visite guidée organisée pour les syndicalistes au Musée Afro-Brésilien où sont exposés des objets d’art variés qui rappellent ce douloureux passé esclavagiste des noirs qui laissent des souvenirs impérissables. Nous avons été remarquablement séduits par la présence dans cet espace muséal de riches photos symbolisant quelques scènes de vie des «vodounsi» du Dahomey, des bas reliefs, des «assin», des statuettes, etc. L’autre temps fort de notre séjour a été la rencontre historique que nous avons eue avec M. Luiz Inacio Lula da Sylva [l’ancien Chef de l’Etat brésilien] présent au Congrès du syndicat des Travailleurs du Metallo de Sao-Paulo dont il est issu des rangs. Malgré le poids de l’âge, il a fait une brillante intervention pour soutenir ces anciens collègues. Bien qu’ayant quitté depuis quelque moment le milieu syndical et la scène politique, il continue de jouir d’une forte popularité auprès de nombreux compatriotes. Et les témoignages élogieux faits chaque jour à son endroit forcent l’admiration. Enfin, le 1er Mai 2011 a été commémorée au siège de CUT toute la journée dans une ambiance conviviale, riche en couleur avec des cérémonies de libations conduites par d’éminents prêtres vaudouns. Ces différentes cérémonies entrecoupées par les hourras des adeptes de fétiches Ogou, Hêviosso, Sakpata, Sègbolissa, ont quelques similitudes frappantes avec les pratiques des cultes traditionnelles du Bénin.

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LNT: Quelles leçons avez-vous tirées de ce séjour au Brésil?

L.D: Je constate que les brésiliens ont beaucoup pardonné aux africains, car le problème de l’esclavage a créé un traumatisme profond chez eux. Je retiens de nos frères Afro-brésiliens, le courage dans la lutte,  une grande capacité d’analyse des problèmes socio-économique qui se posent aux travailleurs. Sur le plan purement syndical et par rapport aux injonctions du FMI et de la Banque Mondiale sur les questions de privatisation, ils (les dirigeants de CUT) ont combattu avec méthode et efficacité et mis même en déroute les concepteurs des politiques néolibérales. Ils ont œuvré dans un esprit de cohésion, de solidarité et de dialogue social fécond pour exiger un minimum de leur gouvernement en vue de l’amélioration qualitative et quantitative des conditions sociales et économiques des travailleurs brésiliens soumis à l’exploitation des tenants du capitalisme. Certes, la pauvreté n’est pas entièrement éradiquée, mais l’espoir est permis et seule, la lutte paie. Avec l’inertie que l’on observe ici chez nous, on ne peut en aucun cas envisager un changement des conditions sociales de vie des travailleurs. La Centrale Unique des Travailleurs du Brésil (CUT) qui a plus de 3472 syndicats affiliés est en campagne en permanence pour la hausse du salaire des travailleurs et pour la création de nouveaux emplois malgré la récession due à la faillite des banques des années 87 qu’ils ont vite jugulée pour instaurer ce qu’ils appellent au pays des descendants d’Afro-Brésiliens, une économie solidaire. C’est dans cet esprit que, quinze (15) millions de nouveaux emplois ont pu être créés en huit (08) années de gouvernance du Président Lula et un protocole d’accord a été signé entre les partenaires sociaux et qui permet aux travailleurs d’avancer tous les deux (02) ans. La Centrale Unique des Travailleurs du Brésil (CUT)  a obtenu beaucoup de choses au profit des travailleurs du Brésil sans discrimination aucune. La liste est tellement longue que dans le cadre de cette interview on ne saurait tout dresser. Les confédérations béninoises toutes tendances confondues doivent faire l’effort nécessaire pour s’inspirer des exemples des travailleurs brésiliens. J’ai apprécié à sa juste valeur ce type de coopération Sud-Sud sur le plan syndical car j’ai pu appréhender d’autres réalités que j’ignorais jusque-là. Au terme de notre séjour, les confédérations syndicales africaines invitées et la Centrale Unique des Travailleurs du Brésil (CUT) ont adopté ce qui est convenu d’appeler la déclaration de Sao-Paulo dont je vous laisse un exemplaire.

 

LNT: Quittons le Brésil pour le Bénin. Que pensez-vous des dernières élections Présidentielles et législatives qui se sont déroulées dans notre pays?

L.D: Je préfère ne pas donner mon opinion sur cette question pour ne pas être taxé à tort d’opposant par les thuriféraires du système qui sont rétifs à toutes contradictions.

 

LNT: Justement, les reproches qu’on vous fait, c’est «la politisation à outrance de certaines confédérations» dont la CSA-Bénin que vous dirigez. Les gens se fondent surtout sur votre adhésion au Front de Défense de la Démocratie (FDD). Quel commentaire cela vous inspire?

L.D: Je n’ai aucun état d’âme par rapport à cette question. D’abord, je suis un citoyen libre avant d’être Secrétaire Général d’une confédération comme la CSA-Bénin où nous défendons un certain nombre d’idées et de valeurs citoyennes. Pour moi, le mot «liberté» a un sens. Pouvez-vous me citer un seul article de notre Constitution qui n’autorise pas les syndicalistes à se prononcer sur les faits politiques lorsque l’on constate des dérives? Je me refuse de suivre des gens qui prônent ou veulent imposer pour des questions d’intérêt, la pensée unique à notre peuple qui a souffert des exactions du Régime du Prpb de triste mémoire. Souvenez-vous quand même de ceci: il y a quelques années, dans ce même pays, les Responsables syndicaux, la société civile saine et les politiciens de toutes tendances se sont retrouvés dans un autre front pour empêcher la révision de la Constitution, pour empêcher le refus imposé à travers des arguments bidon au Président de la Boad, le Dr Boni Yayi de se présenter à la magistrature suprême. C’est justement cette lutte qui a fait accoucher le régime du changement. Je ne conçois donc pas qu’un gouvernement issu de notre combat veuille instaurer la dictature. Il n’est pas normal que dans un même pays, les partisans du Chef de l’Etat s’offrent le luxe de marcher à tout moment et ce, souvent sans autorisation en violation des textes qui réglementent ces genres de manifestations et qu’on empêche ou qu’on réprime les marches d’autres qui ne partagent forcément pas les points de vue du gouvernement et qui ont obtenu régulièrement des autorisations. Comment justifiez-vous les bastonnades musclées des enseignants organisées par l’autorité préfectorale des départements du Zou-Collines ? Comment appréciez-vous l’encerclement pendant toute une journée de la Bourse du Travail par des policiers, gendarmes et militaires armés jusqu’aux dents avec le déploiement des chars d’assaut pour empêcher une marche autorisée dont ma Confédération n’est pas partie prenante ? La violation de la franchise de la Bourse du Travail par les agents de Sécurité sur ordre du gouvernement bloquant les activités syndicales pendant des jours est-elles démocratique ? Si c’est cela la politisation des confédérations alors je l’assume entièrement. Nous avons vu des Imams, des chefs de certains couvents fétichistes, des organisations de certaines sociétés dites «civiles» des autorités morales et tant d’autres machins appelés ouvertement à voter pour un candidat. Même certains Directeurs techniques ou de société d’Etat, des Directeurs de cabinets qui sont supposés des cadres neutres sont rentrés forcément dans la politique de peur d’être éjectés de leurs postes. Devons-nous couvrir une politique discriminatoire de deux poids deux mesures sans être jugés sévèrement demain par l’histoire ? Ce sont là des faits qui rattrapent toujours. Ce sont ces différents faits cités plus haut, et qui ne sont pas d’ailleurs limitatifs qui justifient à tous les égards, la naissance du Front pour la Défense de la Démocratie (FDD). C’est aussi là, une réponse spontanée à la provocation du régime en place. En tout cas, du côté de la CSA-Bénin, la parenthèse FDD est bien fermée mais peut être ouverte à tout moment si les mêmes causes devraient produire les mêmes effets.

 

LNT: L’un des griefs importants faits à la classe syndicale est que, les Confédérations ou Centrales syndicales sont coiffées par des dirigeants frappés par la retraite. Est-ce le cas à la CSA-Bénin?

Réponse : Heureusement non, pour ce qui concerne ma Confédération. Sur ce point précis, il y a beaucoup de spéculations, de manipulations politiques et aussi la jalousie. Cela dit, la CSA-Bénin a toujours donné le bon exemple en exigeant le renouvellement à bonne date des mandats arrivés à terme des Responsables des structures de base et des Dirigeants au sommet. Depuis sa création en 1991, quatre (04) Secrétaires Généraux se sont déjà succédés à la tête de la Confédération. Il s’agit des Camarades: Dossou Léopold, (paix à son âme), Ibrahima Zakari, Guillaume Attigbé et moi-même votre serviteur, Dieudonné Lokossou. Comme les gens de bonne foi peuvent s’en rendre compte, au niveau de notre Confédération, la démocratie et l’alternance font bon ménage. D’ailleurs, nous nous préparons activement pour notre 5ème congrès ordinaire qui se tiendra sans faute dans les mois à venir.

 

LNT: Est-ce qu’il y a des travailleurs admis à faire valoir leurs droits à la retraite qui continuent de diriger les Confédérations?

L.D: Je n’en sais rien absolument et je veux ne pas m’ingérer dans les affaires des autres centrales. Vous êtes des journalistes, faites vos investigations pour dénicher ceux qui s’accrochent. A la décharge quand même de ces gens, les textes nationaux qui règlementent l’activité syndicale et la convention 87 de l’OIT qui parle de la liberté syndicale n’empêchent pas le retraité d’exercer des charges syndicales. Toutefois, je dois ajouter que, pour des raisons d’éthique et morale, lorsque de façon formelle, vous êtes retraité, il faut rendre le tablier parce que vous devenez un général sans troupe. A mon avis, il n’est pas sain d’exiger l’alternance au niveau des hommes politiques qui dirigent nos Etats qui, parfois, aux termes de leurs mandats, refusent de partir et que nous, Secrétaires Généraux syndicaux, trouvions des alibis pour nous éterniser à la tête des organisations syndicales car comme l’a dit l’autre, «il faut savoir quitter les choses avant que les choses ne vous quittent».

Le Gouvernement qui formule ces griefs à notre endroit pour ternir notre image auprès des travailleurs doit aussi au pouvoir se débarrasser de certains qui sont retraités depuis des lustres mais qui s’agrippent, empêchant de ce fait les jeunes à intégrer le système. C’est pourquoi, je salue fortement l’épuration opérée par le Chef de l’Etat au niveau du Palais, et il doit aller au-delà.

 

LNT: Que dire pour conclure cet entretien?

L.D: je voudrais saisir l’opportunité que vous m’offrez à travers les colonnes de votre journal pour adresser mes très vifs et sincères remerciements aux Camarades Adi dos Santos Lima, Artur Henrique da Silva Santos et Joà Antonio Félicio, respectivement Président CUT Sao Paulo, CUT Brésil et Secrétaire aux relations internationales.

Mes profonds sentiments de gratitude vont également à notre compatriote Roger M. Sidokpohou, Ecrivain et homme d’affaires vivant au Brésil depuis plus de quinze (15) ans, qui nous a apporté tous les soins nécessaires pour rendre agréable notre séjour

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