« La décision de la Cour constitutionnelle ne règle pas le problème posé » Me Djogbénou

On ne présente plus l’homme.Me Joseph Djogbénou est l’un des jeunes loups du barreau béninois qui font la fierté de notre jeune université. Agrégé de droit privé à 38 ans et major de sa promotion au concours d’agrégation du Cames en 2009, Joseph Djobénou porte avec beaucoup de bonheur sa triple casquette d’enseignant , d’avocat et de militant des droits de l’homme.

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C’est donc en cette  triple qualité qu’il s’est prêté  de bonne grâce à  nos questions  pour nous aider à décrypter la dernière décision de la Cour constitutionnelle. C’était vendredi dernier dans les bureaux cossus de  l’immeuble  de verre et de carreaux qui abrite son cabinet d’avocats.

La Nouvelle Tribune : Avez- vous l’impression Maître, que la Cour a pris une bonne décision?

Me Djogbénou: On ne peut apprécier la décision en la détachant des circonstances qui l’ont entourée. C’est d’une part la cessation d’activité de la plupart des fonctionnaires, et les pesanteurs économiques que cela implique, la pression manifeste des partenaires techniques et financiers, notamment la Banque mondiale et le Fond monétaire international (Fmi). Dans une relation ordinaire normale, lorsque vous exprimez votre volonté sur la base des pressions, on considère qu’il y a une forme de vice de consentement. Comparaison ne vaut pas raison certes, mais on a l’impression que la décision qui a été rendue l’a été sous une forme de pression. Et très fort curieusement, le recours a été introduit et a été examiné et quand on voit par rapport à la finalité, je ne m’attarde pas encore sur la qualité de la décision: elle est d’une qualité inspirée de celle des juges qui l’ont rendue. Mais quand on prend les circonstances, on ne peut pas ne pas dire que le contexte n’a pas assuré une pression certaine sur les juges qui ont rendu la décision.

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La Nouvelle Tribune: Pensez-vous que la Cour soit fondée à abandonner des dossiers en instruction pour délibérer sur celui-là, en cinq jours?

Le problème de la sélection des recours ne date pas d’aujourd’hui. La Cour donne l’impression d’avoir un instrument de mesure de l’opportunité des recours à examiner. S’agissant de la Liste électorale permanente informatisée (Lépi) des recours ont été introduits et n’ont connu de solution que assez tardivement et on peut énumérer beaucoup d’autres recours qui n’ont pas reçu autant de satisfaction, en ce qui concerne la réponse de la Cour constitutionnelle. Cela dit, ce qu’il faut craindre plutôt, c’est une Cour constitutionnelle qui a réponse à tout et qui est partout, une qui est un instrument de résolution des problèmes, à la fois pratiques et politiques. N’allons pas loin. On voit bien que ce que reprochent les syndicalistes, qui ont cessé leurs activités, c’est le fait que le gouvernement ait favorisé une partie des leurs et ils souhaiteraient eux-aussi en profiter, mais non pas d’anéantir les intérêts de ceux qui ont été favorisés. Et on voit bien que le gouvernement était dans une forme d’impasse et n’avait pas la solution. Lui-même ne pouvait pas revenir sur sa propre décision. Et voilà, la décision de la Cour constitutionnelle est intervenue comme une bouée de sauvetage.

Donc c’est une décision politique ou…

La Cour constitutionnelle est une juridiction, certes, au plan formelle et encore… mais à finalité politique. Donc, il y a un rapport de force politique, une idéologie au sein de la Cour. Ce n’est pas toujours négatif et n’a pas que des inconvénients. Mais cela dit, il ne faut pas que la Cour se banalise où se normalise. Le grand-père, dans une communauté, on le voit rarement.  On ne le  regarde pas dans le visage. Mais si le grand-père, à tous les carrefours, se mettait à deviser avec tout le monde, sourit avec tout le monde, se mêle de tous les problèmes dans tous les milieux, on pense bien que la Cour deviendrait une juridiction d’accès tellement facile que l’on réfléchirait par deux fois avant de s’adresser à elle.

La Cour aurait-elle compétence à agir alors que nous sommes en matière administrative?

La compétence de la Cour est attachée à l’objet de la demande: c’est le contrôle de constitutionnalité, du principe de non la discrimination; c’est dans la Constitution. Et de ce point de vue, la Cour est parfaitement compétente pour décider s’il y a discrimination où pas. La question qui mériterait éventuellement d’être posée est de savoir s’il y a réellement discrimination. Alors, qu’est-ce que l’on entend par non discrimination? On ne peut pas isoler les réponses des contextes non plus. Nous sommes tous des êtres humains, mais certains sont plus élancés que d’autres, certains sont de teint beaucoup plus noir que d’autre, et la Cour ne décidera pas qu’il y a discrimination. Je pense sans fournir la réponse qu’il faut savoir raison garder. Sur le plan du contrôle de la constitutionnalité, elle est parfaitement compétente. Sur la question de savoir s’il y a réellement discrimination, les chercheurs sont là et vont apporter la solution. Cela dit, la réponse doit être apportée par rapport au contexte, par rapport aux circonstances.

Mais, est ce que la Cour suprême aurait pu être saisie concomitamment?

La Cour suprême est dans le contrôle de la légalité. Bien entendu, toute juridiction est juridiction indirecte de contrôle de constitutionnalité. Il n’y a pas un seul juge qui ne rende sa décision sans se préoccuper de sa conformité à la Constitution. On part de cette présomption puisque la Constitution est la loi fondamentale. Donc, le principe de l’égalité des citoyens est un principe qui est discuté devant le juge administratif. Mais encore une fois, la question est de savoir si dans cette espèce il y a discrimination. Et à cet égard, il faut recourir éventuellement, à titre de comparaison, aux décisions du Conseil constitutionnel français qui n’établit pas dans tous les cas qu’il suffit de prendre à la superficie des considérations et de décider qu’il y a discrimination. Il faut faire du cas par cas. Il y a des discriminations apparentes qui ne le sont pas réellement, il y a des inégalités réelles mais qui ne le sont pas apparemment. Et de ce point de vue, le juge a l’obligation, quel que peu, d’aller au cas par cas et d’argumenter dans le sens d’isoler l’élément discriminatoire. Est-ce que la discrimination, c’est le fait simplement d’avoir à faire à des fonctionnaires et à, partir de ce moment tous les fonctionnaires ont les mêmes avantages. Est-ce que la discrimination, c’est le fait qu’ils sont des fonctionnaires des finances et en tant que tel, ils ne devraient pas ou ils devraient avoir des avantages. Donc, il y a des éléments d’appréciation qui sont des éléments de fait qu’il importe de préciser.

La loi elle-même a fait des discriminations en instituant des statuts particuliers pour certains agents… N’est-ce pas pourquoi, le décret peut être attaqué?

Même si la décision était manifestement conforme à la Constitution, est-ce qu’elle ne crée pas plus de problème qu’elle n’en résout? Je pense qu’au lieu d’appeler au secours la Cour constitutionnelle, on devrait préférer un règlement entre syndicat d’abord, et entre syndicat et gouvernement au lieu d’un règlement politicien. Je considère que la Cour est dans un environnement qui n’est pas le sien et le recours intempestif aux accords internationaux  n’est pas commode. Est-ce qu’on peut établir dans ce pays, la liste des accords internationaux? Est-ce qu’on s’en sortirait, chaque fois que le gouvernement -qui est appelé à appliquer les accords internationaux- est dans l’erreur, erreur qui aurait créé des droits acquis au profit des citoyens, lesquels la Cour viendrait remettre en cause? Je pense que se serait des troubles sociaux non maîtrisables qui seraient encouragés. De ce point de vue, il est plus recommandable que la Cour ne soit pas impliquée. Et le chef de l’Etat a bien fait de nommer un premier ministre qui s’occupe de ces questions. A-t-il fini de transiger, de régler ces questions pour que la Cour prenne sa décision. C’est quant à la finalité que la décision est attaquable fondamentalement. Sinon, quant à la compétence de la Cour elle est absolument compétente.

N’importe qui avait-il qualité d’introduire un recours devant la Cour sur la question ? Et si oui, le dossier était-il recevable sans mention d’adresse ni de qualité de son auteur?

D’abord au plan formel, les normes juridiques (la Constitution, la loi organique, le règlement intérieur de la Cour constitutionnelle) n’ont pas prescrit de conditions particulières pour agir devant la Cour, il suffit d’être un citoyen Béninois, sauf en matière électorale. C’est la voie de l’action.  Dans le cadre des élections, il y a un intérêt bien indiqué. En dehors de ces cas là, tout citoyen peut, par voie d’action ou par voie d’exception, saisir la Cour. Mais dans la réalité, ce dont il s’agit relève d’un mal propre à l’Afrique. Le mal de tous les Africains, c’est le contournement de l’esprit de la loi. Ce serait hypocrite de ma part, de ne pas reconnaitre qu’il y a des recours provoqués de personnes qui n’existent nulle part, des personnes fictives, des prête-noms. Ce qui ne doit pas exister d’abord dans un système démocratique, dans les institutions formelles. Nul n’enseignera à son enfant de se cacher pour agir et on ne doit pas enseigner ça. Je crois bien que l’identité des personnes doit être précisée, vérifiée. C’est un acte responsable, politique. On ne devait pas s’en cacher; au demeurant, les responsables des partis politiques devraient agir. Et en cela, la jurisprudence aurait été baptisée du nom de la personne qui l’a provoquée. Mais ne pas faire ainsi, c’est renforcer l’idée que, quelque part, dans un couloir on a voulu régler un problème qui aurait pu l’être autrement.

Quelle issue entrevoyez-vous pour le règlement du dossier?

Au sens formel,  une décision peut être sans recours. Mais au sens réel, il y a tellement de recours. Rien n’empêche le gouvernement et les syndicats de trouver un accord. C’est ce qui pourrait arriver. La crise n’est pas réglée, elle peut être différée parce qu’on n’en a pas encore tiré toutes les conséquences. Les agents du ministère des finances ont peut être déjà été payés sur la base du décret. Va-t-on leur prélever ce qu’on leur a déjà payé. Il y a des implications importantes. Soit il y a un règlement entre le gouvernement et les syndicats, soit la trêve sociale souhaitée serait différée. Mais la décision de la Cour constitutionnelle, loin de là, n’est pas la solution et n’a pas réglé le problème posé.

Peut on dire, selon vous que la Cour crée des conditions pour que ces décisions ne soient pas respectées ni appliquées?

De toutes les manières, dans l’immédiateté la décision est respectée. Le Conseil des ministres s’est réuni et a rapporté le décret. Le décret n’existe pas, la décision de la Cour a trouvé sa solution. Mais le problème n’a pas trouvé de solutions. Et de ce point de vue, ce n’est pas de ne pas respecter la décision de la Cour, qui est déjà respectée par hypothèse, que de prolonger la grève. Non, il y a une revendication, il y a une attente de solution et le gouvernement sait les couloirs qu’il emprunte pour régler ces problèmes là. A la veille des élections présidentielles, on a beaucoup donné. Il s’agit maintenant de gérer ce qu’on a donné. Et je pense que la même intelligence qui a consisté à beaucoup accorder, s’évertuera à gérer ce qui a été accordé.

Est-ce que sciemment le gouvernement n’aurait pas usé du dol?

Certains directeurs avaient été recrutés à la veille des élections et sont déjà remerciés. C’est souhaitable de voir que le chef de l’Etat présente une image d’austérité, de rigueur au plan international. C’est ce que l’on est en train d’exiger de nos gouvernants. Mais, il leur appartient de régler les problèmes qui se posent et le faire de sorte que le fondement de la décision de la Cour constitutionnelle soit apprécié de tous et partout. C’est-à-dire que le gouvernement et tous ses serviteurs ne se comportent pas de manière discriminatoire. Quand on me parle de la refondation, j’en attends des signes. Si on me dit, par exemple, qu’un homme d’affaire de l’opposition, fondamentalement, formellement et visiblement a gagné des marchés publics, je saurai qu’il y a refondation. Si on me dit que les dépenses publiques sont faites de manière opportune, je saurai qu’il y a refondation. Il y a beaucoup de choses qu’il faut remettre au bon endroit et qui donneront beaucoup d’espoir, me semble t-il. Les réactions des syndicats, c’est une forme d’expression, une forme de contestation par rapport à ce qui est observé, un peu partout dans le pays. Si l’on commence déjà par corriger les déséquilibres que l’on observe visiblement, si les mêmes obligations sont exigées de tous, et de tous vraiment, je pense que ce serait le début de la solution. Ce qui se passe au Sénégal devrait nous inspirer. La situation au Bénin ne doit pas donner l’apparence à certains qu’ils ont tous les pouvoirs et à d’autres qu’ils n’ont aucun pouvoir. Le citoyen a véritablement le pouvoir. Dans toutes sociétés, il y a un seuil de tolérance qu’il ne faut pas dépasser. Au Bénin, certainement, le seuil de tolérance n’est pas encore dépassé, mais il faut faire en sorte de ne pas dépasser ce seuil.

Interview conçue et réalisée par Emmanuel S. Tachin et Vincent Foly

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