La Coalition des organisations syndicales de l’administration publique (Cosynap) n’entend pas démordre de si tôt, en dépit de la dernière décision de la Cour constitutionnelle et des nombreuses menaces du gouvernement. Modeste Toboula, secrétaire administratif de ladite Coalition annonce la poursuite du mouvement cette semaine avec d’autres actions comme des marches et sit-in dans tout le pays. Il évoque également plusieurs autres questions dans cet entretien.
Déjà deux semaines de grève, quel bilan peut-on faire?
Le bilan est positif, malgré les différentes intimidations du gouvernement et la mal compréhension de certaines franges de la population vis-à-vis des revendications de la Cosynap. Le mouvement jusqu’ici a été suivi à au moins 80% par les travailleurs. Preuve qu’ils savent faire le discernement entre les problèmes politiques et les problèmes sociaux.
D’aucuns estiment que la Cosynap n’a pas pourtant une base juridique?
En réalité, même si c’est pour régler les problèmes posés, la Cosynap a une base juridique. La preuve est que la Cour constitutionnelle vient de légitimer son existence en faisant recours à certaines de nos récentes actions dans sa dernière décision. Donc aujourd’hui, on ne peut plus dire que la Cosynap est une structure illégale. Mais à l’origine de cette inquiétude, je dois avouer qu’il n’est pas normal de mettre en porte-à-faux les citoyens d’un même pays. Puisque le Gouvernement lui-même a déjà donné la preuve qu’on peut négocier avec des groupes de travailleurs des organisations des travailleurs sans les centrales. En négociant avec le Front des syndicats des trois ordres de l’enseignement par exemple, le gouvernement a fait jurisprudence.
Rappelez les revendications que vous exigez et quelles en sont les motivations?
Il s’agit essentiellement de trois revendications qui ont pour cordon ombilical commun, la discrimination dans la fonction publique. Le premier point a trait à l’indice salarial, dans la mesure où le salaire est l’élément primordial dans les effets qui lient l’employeur à l’employé. On ne saurait rentrer dans la loi 86-013 pour donner des avantages différents à une catégorie d’agents régis par la même loi. Il est important que l’Etat puisse rectifier la chose de façon directe et responsable. A salaire égal, qualification égale; poste et emploi égaux. Ce principe est bafoué. Le second point est relatif à l’harmonisation des primes de la fonction publique. Ce n’est pas normal que dans une administration de la fonction publique où tout le monde est censé contribuer à l’intérêt général et la continuité du service public, des agents soient privilégiés dans le partage de la richesse et que d’autres subissent les affres de l’injustice sociale. La troisième revendication concerne la correction des disparités catégorielles, c’est-à-dire que, deux agents qui rentrent dans l’administration au même moment, qui ont le même niveau même diplôme et même qualification, leur carrière évolue différemment, de sorte que l’on peut atteindre le niveau le plus élevé et que l’autre peut être à moitié du cursus normal et tous deux vont à la retraite.
Que pensez-vous de la décision de la cour qui annule la revalorisation du point indiciaire accordée aux agents du Mfe?
La cour constitutionnelle est dans son rôle et les syndicats sont aussi dans le leur. Et, nous ne sommes d’ailleurs pas liés par cette institution. La preuve est que, les dispositifs de la décision ne nous ont pas été notifiés.Mais ce qui est important de constater, c’est que la cour non seulement s’est précipitée deux jours après la saisine de donner sa décision et que le gouvernement le jour suivant, s’est précipité aussi, d’annuler le décret. Cela ressemble un peu à un jeu politique, dans la mesure où nous savons très bien que, il y a énormément de dossiers pendants devant la cour qui sont restés insolubles, pendant que celle-ci se saisit du dernier dossier, et le règle en moins de soixante douze heures. Mais ce qui est objectif à retenir, est que, la cour n’a pas dit de ne pas accorder l’avantage. Elle a seulement instruit d’enlever la discrimination dans le partage. Dès lors, la voie la plus facile pour le gouvernement est de dire que la décision n’a plus d’effet de droit d’autant plus qu’elle est annulée, ni à l’avenir, ni précédemment. Mais cette option ne peut pas être envisagée dans la mesure où les financiers ont commencé déjà par percevoir le complément salarial à eux accordé. La théorie des droits acquis recommande ici que si le droit à l’origine était illégal devient légal. Ce qui se passe actuellement est une masturbation intellectuelle pour tromper le peuple, et nous ne pouvons jamais l’accepter.
Cette décision ne vous a pas empêché de poursuivre la grève?
La grève a été reconduite de la façon la plus vigoureuse, dans la mesure où ce n’était pas le seul point qui est sur notre plate forme revendicative. Le premier point n’est même pas réglé avec la décision de la cour. Il s’agira plutôt d’arrêter un modus operandi avec le gouvernement pour voir de manière plus concrète, comment la décision de la cour doit être décryptée dans les faits. Jusqu’ici, nous n’avons encore aucune solution à nos problèmes et on ne peut pas lever une motion de grève sans avoir obtenu quelque chose pour les travailleurs.
Etes-vous sûr que le gouvernement a aujourd’hui les moyens de satisfaire à ces revendications?
Le gouvernement nous a habitués à un système qui montre tous les jours, qu’il a des moyens de satisfaire aux problèmes des Béninois, sinon, il n’allait pas créer par exemple des institutions budgétivores. C’’est trop facile de dire que la masse salariale est de 40%et de 50%. D’abord sur quelle base on se fonde pour calculer cette masse salariale ? Quelle méthode de calcul les techniciens des finances utilisent et qui sont à la base de ces chiffres avancés ? Selon nos propres investigations, la masse salariale au Bénin ne dépasse pas 28%. Et nous attendons que le premier ministre amène ses données, pour que nous les confondions aux nôtres. C’est un faux débat, quand on dit qu’il n’y a pas les moyens.
Le gouvernement ne manque pas souvent évoquer le difficile contexte économique international actuel pour se justifier?
C’est vrai qu’il y a une situation de conjoncture internationale, qui a des impacts au niveau sous régional. Mais alors, lorsque vous avez des difficultés financières, vous assainissez beaucoup plus les charges liées au fonctionnement de l’Etat. Car, ce sont elles, qui grèvent sur les actions de développement. On doit chercher à savoir ce que font les gouvernants de l’argent du contribuable béninois, pour les remettre après sur le dos des travailleurs. Lorsqu’on compare l’évolution des salaires des ministres ces cinq dernières années avec ceux des agents permanents de l’Etat, on constate que les premiers ont bénéficié de plus de 400% d’augmentation tandis que les derniers n’ont obtenu que 12,7%. Au palais de la présidence par exemple, les primes octroyées aux collaborateurs du chef de l’Etat, sont largement supérieures à celles relatives aux motivations des APE. Ne parlons même pas de leurs salaires politiques. Les travailleurs ont aujourd’hui le sentiment qu’ils travaillent pour les politiciens. Notre pays est en proie à une crise identitaire.
La Cosynap a-t-elle été déjà rapprochée par le gouvernement depuis le déclenchement de la grève?
Le problème que le gouvernement aura à résoudre, c’est de se convaincre d’abord que nous sommes légaux avant d’entreprendre toute négociation avec lui. De toute façon, le pays nous appartient et chacun est dans son rôle. Nous n’allons pas nous laisser intimider par des menaces de défalcations. Ce sont de vieilles méthodes de gouvernance, et il faut les changer. Les gouvernants que nous avons doivent tirer leçon de ce qui se passe dans les pays arabes. Le gouvernement doit en tout cas aller au dialogue le plus rapidement possible et chercher à régler les problèmes qui de mon point de vue, relèvent d’une grande importance pour la vie sociale de notre pays.
La grève se poursuit-elle cette semaine?
Bien entendu, la grève non seulement va se poursuivre, mais il y aura d’autres actions fortes qui vont s’en mêler. Nous allons organiser des marches, des sit-in et même saisir l’Organisation internationale du travail. J’appelle tous les militants à rester sereins et à ne pas céder aux pressions morales et même physiques.