Cour pénale internationale : A défaut de Kadhafi, Gbagbo… pour la bonne cause

La cour pénale internationale a son premier gros « client ». La qualité d’ancien président de la République de Côte d’Ivoire n’a pas pesé bien lourd dans la décision du régime Ouattara de livrer à la justice internationale celui qui durant dix années a été Chef de l’Etat ivoirien. Inculpé aussi vite qu’il a été livré, le principal bénéficiaire de tous les coups fourrés, des exactions et des manœuvres qui ont ensanglanté la Côte d’Ivoire la décennie écoulée aura désormais à répondre de ce qui lui est reproché devant la Cour pénale internationale. Avancée du droit à la justice ? Recul politique pour un Etat en quête d’affirmation de sa souveraineté ? Victoire médiatique pour le non moins médiatique Luis Moreno Ocampo, procureur de la CPI ? La tournure que prend le sort de Laurent Koudou Gbagbo va encore alimenter les commentaires.

C’est la première fois qu’un ancien Chef d’Etat est mis aux arrêts et en instance de jugement par la Cour pénale internationale. Les anciens présidents yougoslave Slobodan Milosevic et libérien Charles Taylor ont été présentés pour leur part à des tribunaux internationaux ad hoc chargés dans chaque cas de connaitre des crimes commis dans des situations de conflit bien spécifiques et de rendre justice aux victimes. Mais depuis que la Cour pénale internationale est entrée en exercice, il lui manquait un gros poisson, un chef d’Etat ou un ancien chef d’Etat afin qu’elle démontre que le défaut de qualité officielle inscrit dans son statut n’est pas un vain mot. Omar Hassan El-Béchir, président du Soudan aurait pu être le premier de ses clients. Il aurait même dû. Mais, encore fallait-il que ses pairs africains le lâchent et que l’un d’eux s’enhardisse à l’arrêter et le livrer à la Cour. Ensuite, c’eut pu être le libyen Mouammar Kadhafi. Là encore, peine perdue. Les combattants insurgés libyens qui ont mis la main sur le Guide se sont bien dépêchés de l’occire dans des conditions ignobles, privant du coup Luis Moreno Ocampo d’une recrue qui aurait sans doute achevé de faire sa célébrité. Restait donc Laurent Koudou Gbagbo. Et semble-t-il, les juges de la CPI ont décidé qu’il possédait parfaitement le profil de l’emploi.

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Chacun aura remarqué que les personnes visées par la Cour pénale internationale sont pour une large part des Africains. Et moult débats sur cette sélectivité de la justice pénale internationale se poursuivent et vont d’ailleurs resurgir de plus belle avec cette inculpation et ce transfert dans la foulée du Président Laurent Gbagbo. Il est tout de même curieux que dans ce monde où les dictateurs les plus sordides, les assassins les plus audacieux ne sont pas seulement issus des Etats africains, c’est toujours le continent qui a droit à l’attention de Luis Moreno Ocampo et des juges qui lui donnent mandat pour agir. Par ailleurs, la célérité de la procédure qui a abouti au transfert de l’ancien président ivoirien à La Haye a de quoi laisser perplexe. Pour un homme qui se trouvait déjà en détention et dont les capacités de nuisance avaient, semble-t-il, été réduites à néant, il y a lieu de se demander à quoi rimait tout le secret qui a présidé à l’inculpation et l’empressement dans le transfèrement.

Mais, aussi légitimes que puissent être ces protestations, elles ne doivent pas, sous des allants de nationalisme africaniste, effacer de la mémoire des citoyens ivoiriens les images atroces qui ont marqué la crise en Côte d’Ivoire de l’an 2000 (depuis le charnier de Yopougon) à 2011 (le bombardement du marché d’Adjamé) par les partisans de Laurent et Simone Gbagbo. Il serait injuste d’oublier ces morts qui crient vengeance (voir chronique du 14 avril 2011). Ces jeunes gens brûlés vifs à Yopougon parce qu’ils étaient soupçonnés de sympathies rebelles. Ces femmes qui ont été violées et éventrées parce qu’elles avaient des patronymes à consonance du nord. Ces enfants qui ont été tués pour que ne perdurent leurs ethnies. Ces journalistes assassinés parce qu’ils faisaient leur travail… Pour tous ceux-là, il fallait faire justice.

Certes, il n’est pas dit que Laurent Koudou Gbagbo est forcément le commanditaire de tous ces crimes, cela est d’ailleurs impossible. Mais certains ont été commis en son nom. Et il revient désormais à la CPI de déterminer son degré d’implication dans ces exactions. Dans le contexte qui est celui de la Côte d’Ivoire aujourd’hui, il est d’ailleurs plus équitable qu’un tribunal international puisse connaitre du cas de l’ex-président plutôt qu’une justice ivoirienne que certains ne manqueraient pas d’accuser d’agir sur ordre.

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La justice suit donc sons cours en Côte d’Ivoire. Probable que le transfert de Laurent Gbagbo n’ait pas été effectué dans la sérénité et l’ordre qui conviennent à ce genre de situation. Il n’en demeure pas moins que la justice suit son cours. Reste que cette justice se doit d’être tout aussi équitable qu’exhaustive. En dix années de conflit larvé, le camp Gbagbo n’a certainement pas eu le monopole de la violence. Le procureur de la CPI a annoncé que l’inculpation de l’ex-président ne sera pas la dernière. Mais, encore faudrait-il que les prochaines ratissent dans les rangs des nouveaux dirigeants parmi lesquels se tapissent probablement certains auteurs des tueries de Guiglo, Douékoué, Man… La justice doit passer. Pour tous.

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