Déclaration du mouvement «chrétiens pour changer le monde» a l’occasion de la visite du pape benoît xvi au Benin en novembre 2011

A l’appel de Jésus-Christ, convertissons-nous, changeons de comportement, changeons de pratique sociale et pas forcement de religion

A « Chrétiens pour changer le monde », nous affirmons parfois que l’Occident n’est pas chrétien. Et pourtant nous connaissons bien tous les apports de la chrétienté à l’Europe. « Pendant tout le moyen âge, les rois ne pouvaient compter que sur les clercs pour exercer les plus petites fonctions administratives de l’Etat. (…) Ainsi, les évêques étaient les piliers de l’Etat . »

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« Pendant longtemps la politique fut considérée comme un domaine approprié aux talents du clergé . » En Angleterre, par exemple, bien avant la Réforme du XVIe siècle, les évêques « étaient l’élément le plus important du Conseil du Roi (…) et remplissaient individuellement des fonctions telles que celles de Chancelier ou de Trésorier, ou encore ils s’occupaient des affaires de l’Echiquier ». Les conciles, arbitrés dès 325 par l’empereur romain, ont été les premiers essais de la vie parlementaire. Le droit canon a servi de modèle pour le code civil. C’est sous l’égide de l’Eglise que l’instruction s’est développée en Europe, que l’agriculture a connu des progrès. Le secours aux malades et aux pauvres a été assuré par des moines, des frères, des religieuses.

 

En réalité, il ne s’agit pas là d’un mérite spécifique du christianisme. Les musulmans en font autant au Liban, à Gaza et en Egypte. « Hobbes disait au XVIIe siècle : Si l’on considère attentivement l’archétype de cette forte puissance ecclésiastique, on découvre aisément que la papauté n’est autre chose que l’ombre de l’Empire romain, assise, couronne en tête, sur son tombeau . » L’Eglise était tombée ainsi dans le piège de la troisième tentation rencontrée par Jésus au désert : les puissances et les dominations de ce monde. Et ce qui devait arriver arriva :

1- conflit avec les pouvoirs temporels d’Europe, royaumes et empires, désireux d’exercer leur pleine souveraineté ;

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2- abus de pouvoir, superstition (la querelle des indulgences, sous le pape Léon X au début du XVIe siècle), exclusions (saccage des autres religions, persécution des juifs pendant de longs siècles et jusqu’à la Shoah, guerres de religions et autres guerres, inquisition…), richesses, mondanités, fastes, matérialisme, avidité, corruption des mœurs des dignitaires, rapacité, « insuffisance religieuse et morale du clergé »

Les Etats européens avaient à se construire sur les cendres de l’empire romain, et se sont construits. Ils se seraient construits de toute façon, comme le Japon ou la Chine, avec ou sans les clercs chrétiens. Comme l’Afrique, si on l’avait laissée libre de continuer à inventer son propre chemin. Et les résultats auraient été les mêmes : pouvoir, argent, corruption, mondanités, machiavélisme, massacres… mais pas l’Evangile, Dieu, les valeurs de service, de pardon, de miséricorde, d’amour du prochain, de partage. Les exceptions comme François d’Assise, Thérèse de Lisieux, sont des arbres qu’on porte aux nues (canonisation) pour cacher la forêt antichrétienne des systèmes esclavagiste, féodal, capitaliste, raciste… qui prévalent. L’Eglise puissante et triomphante hier a dirigé l’Occident vers Mammon. L’Eglise affaiblie aujourd’hui lui sert de caution, de faire-valoir. Nous en savons quelque chose en Afrique.

Cette trahison de l’Evangile , cette dérive de la chrétienté a entraîné dans l’histoire des réactions aussi bien individuelles que collectives : naissance du monachisme dès le IVe siècle ; saint François d’Assise (1182-1226) ; Savanarole (1452-1498) contre les abus d’Alexandre VI ; la Réforme protestante et anglicane au XVIe siècle ; la fondation du méthodisme en Angleterre par John Wesley (1703-1791) ; l’abbé Félicité de Lamenais et le père Hyacinthe Loyson au XIXe siècle ; Marcel Légaut et Jean Sulivan au XXe siècle, pour ne citer que ces exemples.

L’erreur originelle, c’est de n’avoir pas distingué la religion de la bonne nouvelle de Jésus-Christ. A moins que, dans le plan de Dieu, cela ait été le seul moyen d’apporter l’Evangile jusqu’à nous. Beaucoup de chrétiennes et de chrétiens étaient, comme saint Augustin, des gens sérieux qui croyaient profondément que la religion chrétienne était la vraie religion, la meilleure des religions. En fait, il n’y a pas de vraie religion : toutes sont vraies et peuvent être bonnes, c’est-à-dire contribuer à la montée humaine. Par ailleurs, c’est à tort que nous tenons souvent Jésus pour le « fondateur du christianisme », « à tort, en rigueur de termes, car jamais Jésus ne voulut fonder une nouvelle religion qui supplantât le judaïsme ». Et force est aujourd’hui de constater que le levain n’a pas levé la pâte : il est devenu la pâte, par cette voie de la religion au sens traditionnel. Le monde a instrumentalisé le christianisme à son profit et a suivi son cours le plus normal, passant d’un mode de production à l’autre, selon les lois de l’histoire et de Mammon, et non selon la voie tracée par l’Evangile. Le monde n’a pas été transformé, converti, même si Jésus est resté d’actualité et que peu de gens aujourd’hui parlent de Mithra, du mazdéisme ou du platonisme. Le fait s’impose que nous avons eu tort d’avoir essayé de détruire la diversité culturelle et religieuse du monde. Nous avons eu tort de ne nous en être pas tenus à l’exemple fondateur de Jésus : sa résistance aux tentations du monde, sa naissance ailleurs que dans un palais, son choix d’un mode de vie humble (ni roi, ni grand prêtre, ni empereur), la mise en garde qu’il nous a laissée contre Mammon. Nous avons eu tort d’avoir oublié, jugé définitivement impraticable, l’exemple fondateur des premiers chrétiens qui mettaient tout en commun et s’évertuaient à donner à chacun selon ses besoins. Cela a donné en Afrique un christianisme aliénant, égoïste, de clocher, au service de Mammon, un christianisme qui exclut et s’enferme sur lui-même au lieu d’avoir une parole pour toutes les nations et pour tous les hommes, dans le respect de leur humanité, de leurs cultures, de leur histoire et de leurs religions. L’état actuel de l’Afrique n’est-il pas, pour une bonne part, le résultat du christianisme reçu et vécu?

 

«Chrétiens pour changer le monde », depuis quatorze ans, s’inscrit, sans aucun complexe, dans la longue lignée de ceux qui quêtent la vérité de l’Evangile, en priant que ce troisième millénaire de l’ère chrétienne soit enfin celui où, par nous les chrétiens, Jésus parvient à « convertir la religion », à changer le cœur de l’homme. A notre avis, pour nous convertir, il nous faut :

a) renoncer à notre prétention ridicule, et qui nous remplit tellement d’orgueil, d’avoir la vraie religion ; heureusement qu’il y a d’autres religions sur la terre qui nourrissent cette même prétention que nous : l’Islam, par exemple ; heureusement qu’il y a des religions fortes qui rendent quasiment impossible à réaliser notre rêve de convertir l’humanité entière à notre seule religion chrétienne !

b) reconnaître les autres religions, toutes les autres religions d’hier et d’aujourd’hui, comme de vraies religions ayant le même fond anthropologique que la nôtre : sacrifices et sacrificateurs, sacré vs profane, relation avec la Transcendance, pouvoir occulte, argent, exclusions…

c) annoncer véritablement la bonne nouvelle en faisant comme Jésus.

Dans cette perspective, il s’agira de prêcher, par l’exemple de nos vies – et non, seulement, par la parole et les rites -, la bonne nouvelle de miséricorde à tous les hommes quelles que soient leurs cultures, leurs langues et leurs religions. La miséricorde, c’est le pardon, le partage, l’amour effectif et pas forcément affectif. Voir Thérèse de Lisieux et Etty Hillesum . Notre monde a un si grand besoin de ce message aujourd’hui ! Il s’agira de mettre à distance tous les pouvoirs y compris religieux, et d’être dans le monde comme Jésus : sans être du monde, afin de le convertir justement, de l’amener du pôle de Mammon à celui de Dieu dès ici-bas et pour son bonheur, son intérêt bien compris. Il s’agira d’en finir avec notre trop lourde insistance sur la vie éternelle, sur le ciel notre vraie patrie dont nous ne savons pas grand-chose. Cette trop lourde insistance n’est d’ailleurs pas chrétienne (où l’avons-nous trouvé dans l’Evangile ?) mais platonicienne avec tout ce qui va avec : mépris de notre propre corps et de la vie sur terre ! Ce mépris, souvent prêché aux autres, a trop servi d’alibi à des rapaces qui accaparent tout, en promettant le ciel aux autres, aux vrais pauvres, eux se contentant d’être pauvres en esprit. L’Incarnation vise à ramener nos regards sur terre : « Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25, v 40). Ce que l’Evangile nous demande, c’est d’opérer pour notre bonheur le choix entre Dieu et Mammon. Dieu, c’est le souci de l’autre jusqu’au sacrifice de soi si nécessaire. Mammon, c’est le souci de soi jusqu’à la mort des autres (on s’en fout !) si nécessaire. Dieu et Mammon sont en interaction en chacun de nous. Mais Jésus est venu nous dire que pour être plus heureux ici-bas et bienheureux dans l’au-delà, c’est Dieu qu’il nous faut servir.

NOTE

1 Mgr Bell, L’Anglicanisme, Paris, PUF, 1939, p. 46.

2 Idem, p. 48.

3 Idem, p. 46.

4 Idem, p. 17.

5 Idem, p. 29.

6 Cf. « Le Grand Inquisiteur » in Dostoïevsky, Les frères Karamazov, t.2., Ed. François Beauval , 1970.

7 Félicité de Lamenais, Paroles d’un croyant, (1834), Paris, Ed. Pocket, 1996. Dans le Livre du peuple (1838), traité de morale sociale, le christianisme est évoqué comme une forme passagère de la religion.

8 Paul Mattei, Le christianisme antique (1er-VIe siècle), Paris, Ellipses, 2003.

9 Jean Grosjean, Lecture de l’Apocalypse, Paris, Gallimard, 1994, p. 10.

10 «Thérèse a peu à peu appris (…) à distinguer l’amour affectif et l’amour effectif : même si elle n’éprouvait guère d’amour affectif envers une sœur Saint-Pierre, l’infirme jamais contente, elle avait envers elle un amour effectif, … » (Jean-François Six, Vie de Thérèse de Lisieux, Paris, Seuil, 1975, pp.245-246.)

11«Pour ma part, je ne cesse de faire cette expérience intérieure : il n’existe aucun lien de causalité entre le comportement des gens et l’amour que l’on éprouve pour eux. L’amour du prochain est comme une prière élémentaire qui vous aide à vivre. La personne même de ce « prochain » ne fait pas grand-chose à l’affaire. » (Etty Hillesum, Une vie bouleversée suivi de Lettres de Westerbork, Paris, Seuil, p. 308.)

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