Entretien avec l’écrivain béninois Wilfried Ahanzin Crecel : «Il faut une politique d’incitation à la lecture»

Auteur du célèbre recueil de poème «Nègre sous la neige» et membre de l’Association des écrivains et gens de lettres du Benin, Wilfried Ahanzin Crecel, est parvenu, de par ses écrits, à s’octroyer une place dans le cercle des meilleurs écrivains de sa génération. Dans cet entretien, il revient sur la 18ème Journée internationale de l’écrivain africain célébrée le 07 novembre dernier. Il fait part aussi de son regard sur la littérature béninoise. Que signifie pour vous la Journée internationale de l’écrivain africain ?

Pour la petite histoire, cette journée est célébrée tous les 07 Novembre de chaque année depuis 1992. C’est l’Oua qui a décidé qu’un regard favorable soit jeté chaque année sur le sort de l’écrivain noir dont le pouvoir économique n’atteint en rien celui des écrivains occidentaux qui nous éditent parfois. Une proposition de l’association panafricaine des écrivains qui a son siège à Accra. Laquelle proposition a trouvé un écho favorable de nos jours dans beaucoup de pays Sub-sahariens, comme le Sénégal, la Côte d’ivoire, le Togo, la Tunisie…

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Qu’elle appréciation faites-vous de la manière dont cette journée est célébrée au Bénin ?

Ici à Cotonou, à peine les écrivains eux-mêmes se souviennent de la journée du 07 Novembre. La fête n’a pas atteint une très grande dimension au quartier Latin de l’Afrique. Peut-être que les ambitions politiques ont aveuglé les Béninois qui ne respirent que par elles. Tout le monde veut être le dauphin du président Boni Yayi à défaut d’être l’opposant d’un Homme qui a la recette des scores soviétiques. Dans d’autres pays où la littérature marche, en ces jours solennels de fête, comme les écrivains, les autorités politiques arrivent pour rivaliser en joute oratoire. J’ai même vu des autorités visiter dans leur pays à cette occasion, soit la Maison des écrivains, soit la Rue des écrivains. Mais dans mon pays, le Bénin, la réalité est tout autre ! Nous sommes encore à l’ère de l’oralité triomphante, la pure ! Excusez, les paroles se conservent de bouches à oreilles toujours. Toutefois, il y a quelques rares aînés de plumes comme l’écrivain Henri Dagbédji Hessou qui s’investissent encore pour cette cause qui semble d’avance perdue. Cette année, il a encore pris malgré lui, tout seul, le devant des initiatives nationales de la Journée internationale de l’écrivain africain.

Que dites-vous de la qualité de l’écriture au Bénin ?

Mon père m’a souvent répété qu’il n’y a pas de création là où il y a jouissance. Je comprends maintenant qu’il a raison. Le génie est le fruit de la souffrance. Or je ne pense pas que mes cadets aujourd’hui veuillent souffrir le martyr. Tout le monde veut vite grandir. Rouler dans de jolies carrosses et autres vernis m’as-tu vu. Avoir la plus belle Nana à traîner : cette vie est incompatible avec l’Art. L’écrivain béninois n’impressionne pas.

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Que préconisez-vous face à cela et au manque d’intérêt des Béninois pour la lecture ?

Je pense à des prix littéraires pour intéresser. Peut-être qu’on pourrait mettre en place une Commission permanente d’incitation à la lecture. Il y a une responsabilité qui incombe à notre système éducatif. Il serait intéressant que les auteurs africains soient enseignés dans les écoles. Il faut envisager assez de clubs de lecture. Mais il faut aussi que nos collègues enseignants eux-mêmes, lisent, en dehors des œuvres que nos professeurs de lettres comme Adrien Huannou, Gabriel Orou-Bagou, Guy Ossito Midiohouan, Gabriel Boko, Kakpo Mahougnon, sur les bancs de l’université, nous ont forcés à lire. Cela ne saurait suffire pour inciter autrui à la lecture. Avant de guérir quelqu’un d’un mal, il faut soi-même être bien portant ! Dans les pays où ça marche, la littérature, il s’observe un investissement personnel du président de la république, souvent grand lecteur, amoureux «des nourritures de l’esprit» comme dirait mon grand maître, le professeur des Universités du Cames, M. Gabriel Orou-Bagou. Il est grand temps qu’au Benin, nous pensions à une politique d’incitation à la lecture. Je souhaite que les miens découvrent davantage les délices de la lecture en devenant plus des militants de l’art que de la politique qui nous divise.

Propos recueillis par Blaise Ahouansè

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