Le placenta

« Aujourd’hui… Beaucoup de frères et sœurs restent soumis aux pressions des traditions ancestrales surtout aux moments critiques de leur vie. Nous devons pour cela aider nos communautés chrétiennes à créer en leur sein un climat de discernement tel que chaque fidèle se sente porté par une communauté de foi et ait à portée de main les éléments qui rendent compte de l’espérance qui l’habite. » A l’occasion du Jubilé des cent-cinquante ans d’évangélisation du Bénin je voudrais, par l’étude du rite du placenta, le vidɔkpo yεsu (enfant-pochette rite), rendre compte de mon espérance. Je le ferai en m’appuyant sur ma culture et ma langue, le fongbe ; car, comme Jean-Marc l’affirme à juste titre : « Nous ne savons pas ce que nous croyons, si nous ne le disons pas dans notre propre langage . » Je vais en livrer ici la quintessence qui sera accompagnée d’une interprétation sur la base de l’analogie et du symbolisme.

I-LE RITE DU PLACENTA

Le viɖɔkpo yεsu (enfant-pochette rite ou le rite du placenta) est le tout premier rite de naissance. Le viɖɔkpo est recueilli dans un petit canari à couvercle, en le tenant par le cordon, avec beaucoup de précautions et de respect. Puis il est présenté à la mère qui le touche du bout de la langue, deux fois de suite, en répétant alternativement après la tanyinɔn : « Vinu ɖe ɖu mi ! Vinu ɖe ɖu tun ! (Mange et avale quelque chose de l’enfant ! Mange et crache quelque chose de l’enfant !) » Après ce rituel, on met le couvercle pour inhumer le placenta, toujours dans le canari, en un lieu frais, humide et ombragé, en dehors de tout regard intrus.

Publicité

II- INTERPRETATION

1-Le rituel du «goûter» du placenta

Ici, c’est la formule consacrée qui est intéressante : « Vinu ɖe ɖu mi ! Vinu ɖe ɖu tun ! ». Tous les sages interrogés ont été unanimes pour affirmer qu’il s’agit ici du rappel d’un conseil pédagogique primordial : l’enfant ne doit pas être battu pour toutes les fautes qu’il commet ! Il a surtout besoin de l’amour et du pardon !…

2-Le canari muni de couvercle

Le canari est en argile qui a plein de vertus thérapeutiques et qui aide à la purification. En plus de tout cela, le fait de ne pas enterrer le vidɔkpo à même le sol est signe du respect de l’unicité et de la particularité de tout être humain.

3- Le lieu de l’inhumation

En milieu traditionnel, l’homme est considéré en toute circonstance, comme une intégrité dynamique où la partie est égale au tout, et le tout à la partie. Il n’est pas jusqu’aux cheveux, aux ongles, aux crachats, aux effluves spirituels, au parfum, aux habits, au nom qui ne soit le mε, la personne- même. C’est pourquoi aux obsèques, les ongles et les cheveux sont plus importants que l’agbaza, le corps. Par ailleurs, le verbe aimer se dit en fɔngbe : « wan nyi nu mε », le fait d’accepter le parfum d’un tiers.

L’inhumation se fait en dehors de tout regard intrus, de peur que de méchantes gens, des ennemis ne s’en saisissent pour nuire.

Publicité

Le vidɔkpo dans le canari, représente le bébé- même en contact avec la terre humide, fraîche et à l’ombre. Le canari comporte de petits trous qui le font imprégner davantage du milieu ambiant. Ainsi, l’enfant jouit de cette fraîcheur et de cette humidité (deux signes de paix, de fécondité, de succès, de félicité…) par télépathie.

Si le vidɔkpo, la pochette nourricière du fœtus déjà délaissée par le bébé peut lui procurer la félicité de par le milieu ambiant dans lequel il est enfoui, combien plus Jésus, le cep, ne communiquerait–il pas de la droite du Père, la Béatitude Eternelle à ses sarments ? Le Vrai Bonheur ne consiste-t-il pas à se coller à Dieu pour être utile au prochain et à toute la création ? Et si a contrario, un sarment se détachait du cep, combien sa déchéance ne serait-elle pas infernale ?

Le vidɔkpo yεsu se révèle ainsi comme un sensus fidei à exploiter pour approfondir la foi chrétienne, avec des repères, des signes, des symboles et des signifiants endogènes. Il est, comme le dirait le Père Jean Benoît GNAMBODE : « ce qui est présent en germe et qu’il reste à faire monter droit comme un palmier à la taille du Christ . »

4- Réflexions

Les rites ou yεsu font partie des éléments fondamentaux de toute culture. Les rejeter serait renoncer à cette dernière au risque de provoquer une crise d’identité. La Pologne de Jean-Paul II a été conquérante, puis conquise et même rayée du globe terrestre plus d’une fois. C’est grâce à sa culture et sa langue qu’elle s’est reconstituée, après la deuxième guerre mondiale. A cette ère de la globalisation, l’Afrique est déracinée, emportée par les flots ou figée, hors d’elle-même et rappelle l’une des plus tragiques images de la guerre du Libéria, l’une des plus touchantes, des plus bouleversantes qui saisissent jusqu’aux entrailles et qui, pour tout dire, fait la honte de l’humanité toute entière. Il s’agit d’une femme, hors d’elle-même, par suite des affres des conflits armés, des longues nuits sans lendemain, de l’insomnie, de la frayeur, de la soif, de la faim et qui n’a plus, pour tout signe de vie, que la force de rester tétanisée, figée, telle une statue et de s’agripper à un morceau de pain, sans plus savoir ce qu’on en fait…

Ainsi, les chrétiens catholiques africains ont été convaincus qu’ils n’ont hérité de Dieu que d’un sac de sable, chose vaine dont ils doivent se débarrasser. Alors, sous le soleil et la pluie, cet héritage s’étiole et se fond. Là-dessus, Aimé CESAIRE avertit : « Il y a deux manières de se perdre : par emmurement dans le particulier ou par dilution dans l’universel. » L’Afrique est donc menacée d’inexistence. En effet en ville, les citadins se font la gloire de tout ignorer de leur culture. Au village, on lui tourne de plus en plus dos, au nom de l’émancipation et par snobisme. Les quelques rares vieillards qui la défendent s’étouffent et ne tarderont pas à mourir.

Justice, Réconciliation et Paix ! Voilà le mot d’ordre à suivre ! Il faut que droit et justice soient rendus aux Noirs et ils leur sont déjà rendus par le vénéré Paul VI, à Kampala en 1969 ! Ils furent confirmés, à tour de rôle par tous les papes qui lui ont succédé. Le bienheureux Jean-Paul II, n’a de cesse d’inviter l’Eglise africaine à œuvrer pour l’inculturation. Dans Ecclésia in Africa, il a souligné que l’inculturation et l’Eglise-famille de Dieu sont les deux axes de la nouvelle évangélisation. Par respect pour chaque culture, il embrassait la terre, à chaque descente de l’avion, signe de son amour de Dieu qu’il portait sur tous les hommes.

Il reste que l’Afrique se réconcilie avec elle-même pour retrouver son identité. La tâche ne sera pas facile. Le cardinal MALOULA l’avait déjà perçu : « L’Afrique, a-t-il affirmé, a été évangélisé et l’Esprit du Seigneur était avec les missionnaires. Maintenant il faut africaniser le christianisme. L’accouchement sera difficile, mais l’enfant sera noir. » Ce devoir incombe donc aux Noirs, car : « Notre être, a décidé le cardinal ZOUNGRANA, ne peut nous être conféré de l’extérieur. » Aussi, qu’ils soient de la diaspora comme le Haïtien GUERIN Montilus qui s’était fait l’ami des adeptes du vodun, ou des autochtones de la poigne de Monseigneur ADOUKONOU, ou du Père BABATOUNDE ou encore des laïcs tels que : ADJASSOHO Gaston et AKANZAN Justin et tous les autres ténors du Sillon Noir, les auteurs de cette mission devraient-ils être des Africains, en priorité. Ils devraient avant tout gagner la confiance des couvents, les hunkpamε pour qu’ils leur présentent la calebasse du roi HOUEGBADJA, celle-là-même qui a été déjà ouverte par Jésus, sur la croix. Il faut d’autre part que l’Eglise toute entière quitte la Tour de Babel (Gn 11, 1-9) pour se réunir comme au jour de la Pentecôte,(Ac 2, 1-11), faire un seul corps avec Jésus-Christ, sans discrimination aucune et implorer la Miséricorde Divine pour toutes les fois qu’elle n’a pas su aimer véritablement et a été objet de division ou de scandale…

C’est à ces conditions, en communion avec Jésus que sa Paix, différente de celle du monde, règnera sur tous les cœurs. Alors L’Eglise chantera : « Joie au ciel ! Exulte la terre ! Que gronde la mer, et sa plénitude ! Que jubile la campagne, et tout son fruit, que tous les arbres des forêts crient de joie, à la face de Yahvé… » (ps 96, 11-13). Ainsi, la vraie Paix jaillira du sein de l’Eglise réconciliée, en communion avec le Rédempteur, pour se répandre sur tout le genre humain et toute la création. « Afrique debout ! Sois unie et digne ! Retrousse tes manches ! Creuse, fouille et laboure ton héritage pour y trouver les pépites d’or dont le monde entier a besoin ! Sois réconciliée avec toi-même, ô terre bénie de Simon, le Cyrénéen, pour te transformer en un immense « poumon spirituel » , dans l’intérêt de toute la création ! Après les autres nations, El Shaddaï t’attend, dans son respect habituel de la liberté d’autrui, pour accomplir, grâce à ton fiat, à l’instar de la Vierge Marie, la suite de l’Economie du Salut, celle de la Paix pour tout le genre humain, en présence de Dieu et en sa communion, à l’issue de l’Alliance conclue avec Abraham et promue en EMMANU-EL par le Ressuscité, JESUS-CHRIST. »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité