L’Afrique a mal à ses élections. Parce que, sans nul doute, elle a mal à sa démocratie. Des élections vécues comme une mobilisation armée. Comme en République démocratique du Congo, avant la conflagration générale tant redoutée. Des élections qui s’étaient achevées non dans la paix des urnes, mais dans le sang et dans d’inqualifiables atrocités, comme en Côte d’Ivoire. Des élections qui ont fragmenté le peuple de la Guinée Conakry. Comme si celui-ci n’avait pas déjà assez souffert d’être réduit au silence depuis plusieurs décennies, sous la chape de plomb de régimes despotiques et autocratiques. C’est à croire que les expériences démocratiques en cours, ici et là en Afrique, seraient des succès, seulement si on les soulageait de leur charge risquée d’élections. Ce qui ferait de l’Afrique la patrie des démocraties sans élections. Ce qui ferait des Africains une race de démocrates qui accèdent au pouvoir et exercent le pouvoir sans l’aval de leur peuple. Une démocratie sans élections. Des démocrates sans l’onction du peuple. Qui accepterait de cautionner une telle absurdité ?
La quasi-totalité des élections qui s’organisent sur le continent africain, tous pays confondus et à quelques exceptions près, posent plus de problèmes qu’elles n’apportent de réponses à nos interrogations angoissées. L’Afrique serait-elle peuplée de gens à part ? L’Afrique n’aurait-elle pas pleine capacité pour s’inscrire dans un vrai processus démocratique ? Trois questions qui appellent trois réponses, aussi brutales que sincères, pour nous libérer de ce qui commence à prendre les allures d’une tare.
Pourquoi, les élections, dans nos pays, provoquent-elles une panne générale, une sorte de délestage qui met à mal le développement, dans toute l’acception du mot ? Parce que tout gravite, en nos pays, autour d’une seule donnée essentielle, le pouvoir. Le pouvoir à conquérir à tout prix et à n’importe quel prix. Le pouvoir pour s’assurer d’être dans la proximité de la plus grande source de puissance et d’enrichissement : l’Etat. Le pouvoir pour se sentir en situation de transcender sa condition humaine et de se hisser au rang d’un demi-dieu parmi les créatures de Dieu. Ce n’est pas pour rien que le pouvoir rend plus fou en Afrique qu’ailleurs.
Aussi ne va-t-on pas aux élections, dans nos pays, pour proposer une vision, affirmer une ambition, partager avec les siens ses quelques idées et certitudes d’espérance. Aussi ne va-t-on pas aux élections avec l’idée de servir le pays, de se sacrifier pour le pays, de donner un peu de soi au pays. Aller au pouvoir pour prendre sa part, c’est se déterminer à ne rien lâcher.
Pourquoi la violence s’invite-t-elle dans nos élections, occasion, bien souvent, d’un débat sans idées ? Parce que la violence, c’est l’arme privilégiée des faibles. Parce que la violence, c’est l’argument premier de ceux qui n’ont pas d’idées. La démocratie est une culture. Elle induit une culture politique. Ce qui place les citoyens d’un pays dans l’obligation d’aller à l’école de l’écoute. Elle disqualifie toute forme d’intolérance. A l’école du débat à plusieurs voix. Elle célèbre la participation de tous à la recherche d’une voie de salut pour chacun. A l’école de l’action publique citoyenne pour construire en chacun la volonté d’être à la fois acteur et comptable dans la construction de la maison commune.
Pourquoi cet aveuglément collectif à faire l’option de ce qui nous retarde et à nous contenter d’être, sinon les damnés de la terre, mais les derniers de classe ? Parce que nous n’avons pas confiance en nous mêmes. Parce que nous avons décrété que la démocratie, c’est pour les autres. A nous, la pagaille, le désordre, un retour permanent à l’âge de la pierre, l’idée que notre contribution est négligeable au progrès de l’humanité. Ce qui est faux. La croyance, par conséquent, que c’est dans les étages inférieurs de l’édifice humain, voire au sous-sol que notre destin s’accomplira.
Nous aurons besoin de nous décomplexer. Nous aurons surtout besoin de nous construire un mental de gagneur. C’est clair, ce ne sont pas nos élections qui sont contre le développement. Bien au contraire. Mais c’est nous-mêmes qui nous inscrivons dans l’absurde logique de refuser le développement et de chérir notre sous-développement.
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