Les jours passent, la polémique enfle et les commentaires vont bon train, depuis la décision de la Haac de radier de la profession de journaliste les deux plus hauts responsables du confrère et quotidien, «Le Béninois Libéré».
Les avis jusque-là émis relèvent plus de l’humeur de leurs auteurs, chacun mettant l’accent sur ce qu’il croit savoir des règles de fonctionnement des médias locaux et de leurs animateurs –et Dieu sait s’ils n’en savent pas grand’ chose. Peu de jugements de valeur s’appuyant sur les dispositions de l’arsenal juridique du droit positif béninois ont pu être enregistrés. Pourtant, ce ne sont pas des textes de loi qui manquent.
De la part de la Haac, elle-même, on note une tendance d’aller au-delà du droit applicable. Rien, en effet, dans la loi organique N°92-021 du 21 août 1992 régissant le fonctionnement de la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (Haac) ne lui donne le pouvoir d’interdire jusqu’à nouvel un organe de presse écrite. Surtout pas pour les raisons trop abusives évoquées par ce régulateur en manque d’expérimenter sa volonté de puissance!
En son article 1er, la loi organique pose d’emblée le postulat de l’exercice par les acteurs des medias de leur profession: «… Nul ne peut être empêché, ni interdit d’accès aux sources d’information, ni inquiété de quelque façon dans l’exercice régulier de sa mission de communicateur s’il a satisfait aux dispositions de la présente loi».
Au demeurant, instituée par les articles 24, 142 et 143 de la Constitution du 11 décembre 1990, la Haac a pour mission de «veiller au respect des libertés définies» dans la Loi suprême de l’État. (Article 2 de la loi organique). Elle a, entre autres, pour prérogatives définies à l’article 5 du même texte de:
«- garantir et d’assurer la liberté et la protection de la presse ainsi que de tous les moyens de communication de masse dans le respect de la loi;
– veiller au respect de la déontologie en matière d’information… ».
Les seules sanctions explicitement listées dans la loi organique ont trait au retrait d’autorisation d’émettre pour les radios et télés. Donc, à l’égard des organes de l’audiovisuel. Cette sanction répond à une certaine logique -quoique tout aussi liberticide potentiellement- en ceci que les ondes hertziennes que la Haac est chargée d’attribuer sont considérées comme des biens publics mis à la disposition des opérateurs « en échange » d’une « soumission » à des règles et un cahier des charges préétablis auxquels d’éventuels opérateurs auront préalablement adhérés. Et en cela, l’article 47 de la loi relative à l’institution de régulation dispose qu’«en cas d’inobservation…, la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication peut prononcer à l’encontre du contrevenant, compte tenu de la gravité du manquement, une des sanctions suivantes:
1°- la suspension de l’autorisation ou d’une partie du programme pour un mois au plus;
2°- la réduction de la durée de l’autorisation dans la limite d’une année;
3°- le retrait de l’autorisation».
Comme on le voit, les mesures punitives décrétées à l’encontre des médias de support papier, même en cas de non respect des règles dites de déontologie et d’éthique, de quelle que nature qu’elles soient, ne sont pas prises en compte stricto sensu par la loi organique sur laquelle la Haac semble se baser pour sévir. Non pas que les organes de la presse écrite soient libérés de toutes contraintes au regard du respect des droits de la personne humaine pour continuer à s’en donner à cœur joie à travers leurs écrits jugés d’incendiaires et de séditieux. Loin s’en faut.
Les praticiens du droit de la presse (magistrats, avocats, enseignants…) et les animateurs des medias en premier n’oublieront pas que la presse a toujours été quadrillée dans notre pays, depuis les premières heures de notre indépendance par la loi N*60-12 du 30 juin 1960, jamais abrogée et qualifiée de suffisamment anti-liberté de presse. Les acteurs des médias du secteur privé pourront témoigner du lobbying inlassable autour d’eux et par eux-mêmes appuyés de quelques personnalités pour faire abroger ladite loi. Et ce, depuis 1992! Sans succès!
En l’état, dans son esprit comme dans sa lettre, la loi N*60-12 ne s’applique qu’à la presse écrite qu’elle prévoit, l’audiovisuelle n’existant pas au moment de son édiction, cette loi porte jusqu’à nos jours de sérieux freins ne permettant pas aux journalistes, de faire ce qu’ils veulent, sans être inquiétés. De sorte qu’en 1992, le législateur n’a fait que compléter cet arsenal, lorsqu’il lui est apparu opportun de le faire, par la loi organique sur la Haac. Un autre texte, complétant les deux premiers viendra parachever, même si imparfaitement, l’œuvre du législateur: il s’agit de la loi n°97-010 du 20 août 1997 portant libéralisation de l’espace audiovisuel et dispositions pénales spéciales relatives aux délits en matière de presse et de communication audiovisuelle en République du Bénin. Cette loi, comme le mentionne son libellé, s’applique plus spécifiquement qu’aux medias sonores et visuels (radios et télévisions, sans tenir compte, là aussi, d’Internet).
Il apparait donc clairement que les organes de la presse écrite ne sont nullement soumis à la sanction des conseillers de la Haac en ce sens que ces organes ne se font délivrer aucune autorisation d’aucune sorte par le régulateur d’instance. Tout au plus, les conditions de leur parution sont-elles régies par la loi N*60-12 qui ne leur impose qu’une déclaration préalable. Pour tous autres sanctions applicables, il n’y qu’à se référer à cette même loi qui définies expressément les délits auxquels les hommes des medias de l’écrit sont soumis (diffamation, incitation à la haine ethnique et tribale…). Et a ce propos, il revient au juge judiciaire de qualifier les faits incriminés et de leur appliquer le quantum des peines prévues.
En matière de presse écrite, la Haac pourrait –et encore- envisager de supprimer la subvention de l’Etat accordée par an aux organes de presse. Par ailleurs, la notion de « conseil de discipline » évoquée dans la loi ne peut s’appliquer qu’aux agents de l’Etat et non à ceux d’une entreprise privée de presse. La décision déjà jugée de liberticide de la HAAC ne se fonde visiblement sur aucune loi!
En tout état de cause, la question lancinante de tout citoyen démocrate est de savoir ce que deviendraient les vrais détenteurs du pouvoir judiciaire (les juges de l’ordre judiciaire) si la Haac devrait avoir pour prérogative de qualifier des faits commis par des journalistes puis de prendre des décisions punitives à leur encontre. Mieux, dans le cas de l’espèce, la Haac qui semble ne pas en être qualifiée, s’est autosaisie en lieu et place de personnes physiques ou morales a priori abusées. A la connaissance du grand public, nulle requête des ayant-droits n’a été brandie.
D’où, on n’imagine pas les sieurs Aboubakar Takou et Eric Tchiakpè s’arrêter en si bon chemin pour ne pas attaquer la décision de la Haac devant la chambre administrative de la Cour Suprême, conformément aux textes en vigueur (article 41 de la loi organique sur la Haac). Ces responsables du quotidien «Le Béninois libéré» ont, notamment la faculté de former un recours en incompétence et abus de pouvoir devant la chambre administrative de la cour suprême et en violation des libertés essentielles devant la Cour constitutionnelle.
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