Comparaison n’est pas raison. Il reste, cependant, qu’en comparant le parcours de certains chefs africains d’avant l’ère coloniale avec celui de certains autres, de l’ère des indépendances, on est tenté de se donner des raisons pour se convaincre d’une vérité. L’Afrique, hier comme aujourd’hui, a joué et joue perdant. L’Afrique, hier comme aujourd’hui, n’a pas eu et n’a toujours pas le beau rôle.
Le roi Gbêhanzin (1844-1906), est et reste le symbole vivant de la résistance du royaume du Danhomê à l’agression impérialiste. Des étrangers venus d’Europe, de France plus précisément, par le profit alléchés, voulaient lui ravir la terre de ses ancêtres. Gardien et garant légitime de ce patrimoine indivis, Gbêhanzin prit les armes contre les envahisseurs. Mais il fut fait prisonnier et déporté en Martinique, avant de rejoindre Blida, en Algérie, où il mourut.
Samory Touré (1837-1900), souverain de l’Empire du Mandingue, fut atteint comme un oiseau en plein vol. Tenu pour un obstacle à la pleine expression des ambitions expansionnistes de la France coloniale, Samory Touré fut poursuivi, défait et fait prisonnier en 1898. Il mourut en déportation au Gabon en 1900.
Quant à Abdel el-Kader (1808-1883), émir d’Algérie, son sort ne fut pas différent. Il fit face aux assauts des troupes françaises venues l’agresser sur ses terres. La voie fut ouverte au gangstérisme et à l’imposture. Le colon français pouvait s’installer à loisir et mettre le pays d’autrui en coupe réglée. La loi du vainqueur s’abattit avec une brutalité inouïe sur Abdel- el-Kader. Il dut se rendre en 1847. Incarcéré en France, il mourut à Damas, en Syrie, loin de la terre qui l’a vu naître.
Des décennies après ces actes honteux qui ne peuvent grandir leurs auteurs, l’Afrique a-t-elle réussi à entourer ses chefs de la dignité, du respect que les autres leur ont déniés ? Ces chefs africains sont-ils toujours dignes de respect ? Nous n’aurons pas à juger. Chacun, en examinant les faits, se fera son opinion. Restons dans l’actualité pour nous laisser édifier par quelques exemples.
Laurent Gbagbo, après avoir dirigé son pays, la Côte d’Ivoire, dix ans durant, se retrouve, aujourd’hui, dans une cellule de la Cour pénale internationale à la Haye, au Pays-Bas. Grandeur et misère de l’homme selon Pascal. C’est à croire, en tout cas, que la plupart des pensionnaires de cette prison viennent d’Afrique. Et dire que les Etats-Unis s’accrochent au principe selon lequel aucun citoyen américain ne doit payer pour ses fautes dans une prison autre que celle de son pays.
Amadou Toumani Touré, Président de la République du Mali, à un mois de la fin de son mandat à la tête de son pays, à été méchamment taclé par de jeunes militaires putschistes. Les auteurs de ce coup d’Etat, des sous-fifres de l’armée, n’ont eu de respect ni pour les étoiles du général, ni pour les suffrages de leur peuple. Nous sommes sans nouvelles depuis du général-président. Est-il aux mains de jeunes soldats en révolte ? Est-il gardé en lieu sûr, en attendant la suite des événements ?
Enfin, Abdoulaye Wade. C’est le modèle, l’exemple d’opposant que l’Afrique peut citer avec fierté. Ténacité dans l’action, volonté inébranlable d’atteindre le sommet de la montagne. On ne montrera pas une égale fierté avec l’homme d’Etat, après qu’il a conquis de haute lutte le droit de présider aux destinées de son peuple. Sa défaite à l’élection présidentielle du 25 mars dernier a fait douter plus d’un de son crédit de sagesse. Quel respect, en effet, pour un chef qui fut la risée de tous, notamment des plus jeunes, à la suite d’une débâcle électorale mémorable ?
Ces destins de chefs africains n’ont pas la même valeur historique. Ils n’occupent pas la même place dans l’esprit et le cœur des Africains. Mais chacun de ces destins de chefs trouve sa juste interprétation sous l’éclairage de cette belle pensée d’Albert Einstein : « Ce qui compte ne peut pas toujours être compté et ce qui peut être compté ne compte pas forcément».
Laisser un commentaire