Dossier: Élection présidentielle sénégalaise


Le défi permanent de l’alternance

Les derniers développements de la situation au Mali et au Sénégal, pays voisins frontaliers de la sous région, devrait conforter les Béninois dans l’attente de voir partir du pouvoir leur président de la République qui, tout doucement, égrène le reste des quatre dernières années de son «second et dernier mandat constitutionnel», comme il l’a lui-même promis au Pape Benoit XVI arrivée à Cotonou et, plusieurs fois avant, à ses compatriotes. Sauf que les atermoiements observés du côté de la Représentation nationale ressemblent fort bien à une sorte d’acte 1, si on ose dire, de la volonté de faire perdre du temps, par divertissement, pour surprendre afin d’imposer à l’arrivée une Loi fondamentale taillée sur mesure.

À l’hémicycle de Porto-Novo, en effet, une session ouverte, depuis une semaine, peine à enclencher le débat de la révision de la Constitution par voie parlementaire, telle que projetée –donc sans associer le peuple directement. Pourtant, ladite session est extraordinaire et est sensée avoir été préparée à l’avance, avec un ordre du jour de points précis inscrits pour discussions, dont la plus importante est celle relative à la modification de bien des aspects de la Constitution du 11 décembre 1990, encore en vigueur.
Des «babysitteurs» possèdent un compte Facebook
Bien que le cas sénégalais soit considéré comme «une leçon» venue de Dakar, nul n’est rassuré qu’elle soit une leçon sue pour être appliquée dans les autres pays africains au sud du Sahara, notamment au Bénin dont le «modèle démocratique» a fait école pour être aujourd’hui en voie d’être galvaudé. Pour plusieurs raisons.
La première est d’ordre technologique et repose sur l’état des télécommunications du Sénégal et, en l’occurrence, sur le niveau éprouvé de la fiabilité des réseaux de téléphonie mobile et d’Internet à répondre aux attentes des citoyens électeurs. Sans oublier l’usage associé plus étendu des outils de communication de masse dont le plus populaire est la radio. La conséquence en est que, dans un esprit de responsabilité relative, les grandes tendances des résultats directement sortis des urnes ont pu être communiquées, sur place, par les organes de presse accrédités, lesquels ont usé de moyens techniques dont -encore une fois- le téléphone portable et le web. De sorte que, dans la même soirée du déroulement de l’élection, chacun des candidats a pu tirer les conclusions de l’issue du scrutin. Devant l’évidence du raz-de-marée de son adversaire, Me Wade a dû aussitôt jeter l’éponge en reconnaissant la victoire de son «vieux poulain», depuis peu passé dans l’opposition.
Au Bénin, un tel développement des Ntic est à son plus bas niveau et il n’y a même pas lieu de le comparer à celui du Sénégal. Il faut savoir qu’à Dakar, l’outil Internet est si populaire que même les talibés (enfants mendiants de la rue et disciples apprenant le coran) y ont accès, sans compter que des «babysitteurs» ou domestiques possèdent un compte Facebook. A Cotonou, par contre, en dehors des professions de foi, du genre «Nous allons faire du Bénin le quartier numérique de l’Afrique», débitées sans conviction, personne ne prête vraiment attention au sort des autoroutes de l’information. Et les rares utilisateurs qui s’aventurent sur ces autoroutes sont livrés à eux-mêmes ainsi qu’aux caprices des opérateurs réseaux qui s’empiffrent sur le dos des consommateurs déjà appauvris par le coût élevé du niveau de vie et la baisse corrélative de leur pouvoir d’achat. 

Publicité

Il y a une deuxième raison qui fonde les sceptiques, quant à la capacité du «génie béninois», à donner le change au modèle démocratique version Téranga. Corollaire de la précédente, elle s’appuie sur la difficile liberté de ton dont font preuve les hommes des medias du «quartier latin» qui, même accrédités, ne sont pas autorisés à communiquer les résultats des urnes avant que ces derniers ne le soient par la Cena, l’organe chargé de l’organisation des élections. La transparence du dépouillement des bulletins n’est donc pas une garantie exigible, le tripatouillage y étant possible et le retard dans la proclamation définitive des résultats, par qui de droit, chose admise. Y compris, avec une liste électorale informatisée qui ne renseigne guère sur les données statistiques qu’on devrait en espérer.
Et pour clore l’observation du cirque électoral dans les deux pays, on constatera qu’au Sénégal, l’union sacrée nécessaire autour du plus jeune des candidats les plus coriaces à même de terrasser le vieux leader du Sopi (changement) a réussi dans un univers de chefs de file d’obédiences diamétralement contradictoires constellant l’opposition. Tous les adversaires d’Abdoulaye Wade, sans exclusive, appuyés de la quasi-totalité des organisations de la société civile ont apporté leur soutien indéfectible à Macky Sall, sans préjuger de ce que ce dernier leur réserve demain. L’essentiel étant de voir d’abord partir l’auteur du fameux «ticket présidentiel» à 25% initialement prévu pour positionner Karim le «fils du père».  Ce type de regroupement de survie d’urgence, unique en son genre même au pays qui le donne à voir, n’a pu être observé de toute l’histoire politique et institutionnelle du Bénin, qu’autour de Nicéphore Soglo à la conférence nationale des forces vives de février 1990. Et pas au-delà, dans un contexte électoral ordinaire où les appétits de petits chefs à la recherche de prébendes sont généralement excessivement aiguisés. Là-dessus, il y a une leçon à prendre pour la classe politique béninoise dont l’opposition battue par K.-O, depuis douze mois, sommeille dans un coma profond.

Emmanuel S. Tachin

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *