Chronique des temps qui tanguent* : l’intolérable dérive des institutions

La plupart des journaux parus vendredi dernier ont évoqué de manière anodine, comme si nous nous y étions déjà habitués et que cela allait de soi, la rencontre informelle organisée, la veille, par les présidents d’institutions de la République avec l’homme d’affaires Patrice Talon. Une rencontre qui aurait évoqué, entre autres, des dossiers brûlants de l’actualité nationale. Voici comment notre confrère, La presse du jour a planté le décor de ladite rencontre: «la rencontre rotative des présidents d’institutions du Bénin (sic) a eu lieu, hier jeudi, à la Haute Cour de justice à Porto-Novo.

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 Hormis les questions d’actualité qui ont constitué son ordre du jour, la conférence a reçu l’homme d’affaires Patrice Talon au sujet de ses différends avec le gouvernement, notamment l’exécution par Bénin Control Sa du Programme de vérification des importations de nouvelle génération et, le problème des intrants du coton». Et, notre confrère très bien renseigné de citer plus loin dans l’article, les protagonistes du conclave: «Les présidents de l’Assemblée nationale, Mathurin Coffi Nago, celui de la Cour constitutionnelle, Robert Dossou, de la Haute Cour de Justice, Théodore Holo, de la Cour suprême, le magistrat (sic) Ousmane Batoko et du Conseil économique et sociale, Nicolas Adagbé, à l’exception du président de la République représenté par le ministre chargé des relations avec les institutions». Il ne manquait, pour boucler la liste, que le président de la Haac.

A première vue, cette rencontre dite informelle qui a eu lieu dans le cadre formel d’une institution de la République, n’a rien d’inquiétant et certains pourront même dire qu’elle est normale, puisqu’elle regroupe au grand jour des acteurs connus de la scène politique nationale, autour des questions d’intérêt national. On pourrait la comprendre et la justifier aussi par la nécessité de décrisper une atmosphère politico sociale qui devenait viciée avec cette grève interminable des enseignants et ses séquelles rocambolesques de défalcation de salaire. Avec aussi, cette vraie fausse tension entretenue par l’exécutif sur le programme de vérification des importations dit de nouvelle génération qu’il a lui-même initié et cette manipulation tragi-comique fortement médiatisée autour du coton, de la subvention de l’Etat et de la quantité du coton produit par notre pays. Vraie fausse tension, disons-nous? Oui! Car, on a du mal à comprendre comment un gouvernement responsable qui a signé un contrat avec un opérateur économique, après ce qu’il appelé lui-même un appel d’offres international, un contrat officialisé par un décret pris en conseil des ministres et signé du chef de l’Etat lui-même, on comprend mal disais-je, comment ce gouvernement peut remettre en cause sa propre signature, quelque 4 mois seulement plus tard. Le tout assorti d’injonctions et de menaces à peine voilées dans des communiqués officiels de conseil des ministres. Et si on rappelle que ce même gouvernement, dans la foulée de la mise en œuvre du PVI, avait fait voter, à la hussarde, une loi contre le droit de grève des douaniers, on s’étonne de l’acharnement subit contre un homme d’affaires qui, c’est aujourd’hui un secret de polichinelle, a contribué de manière significative à l’ élection de l’actuel tenant du pouvoir en 2006 et à sa réélection par un K.-O mystérieux de triste souvenir en avril 2011. Mais, on est où là? Le président de la République sait pertinemment que la signature des contrats ne se fait pas dans la rue et que tout contrat prévoit les clauses et les conditions de sa révision, puisqu’il y a toujours possibilité d’y inclure un ou des avenants, loin de tout tapage, sans tambour, ni trompette. Mais ce gouvernement nous a habitués à tellement d’atermoiements, de retournements de veste et de ravalement de vomissures, qu’on ne s’étonne guère de ses prises de position souvent abracadabrantesques.

Mais alors, qu’est-ce que les présidents d’institutions de contre pouvoir ont à voir dans un problème plutôt banal de gestion que le gouvernement a lui-même créé de toutes pièces?  Si on admet que ce regroupement de chefs d'institution intervient opportunément pour aider à la résolution des conflits à même de troubler la paix sociale,pourquoi ne sont-ils pas intervenus dans la grave crise autour de la liste électorale à la veille de la présidentielle de 2011? Qu’est ce que le président de la Haute Cour de justice qui est censé juger les gros prédateurs de la République et les actes de forfaiture, celui de la Cour suprême qui juge en dernier ressort les affaires relevant des tribunaux de droit commun et autres et celui de la Cour constitutionnelle dont les attributions sont notoirement connues? Qu’ont-ils donc à voir et, surtout, à dire dans un dossier dont ils pourraient être amenés à connaître en cas de saisine, un dossier qui relève des prérogatives de l’Exécutif. A ce point de notre démonstration, il convient de préciser que nous sommes dans un régime de séparation des pouvoirs. Seuls deux pouvoirs devraient connaître de ces deux affaires Talon: l’Assemblée nationale qui a le droit et le devoir impératif d’interpeller le gouvernement et le conseil économique et social à titre consultatif pour les conséquences sociales incalculables qui peuvent découler d’une rupture brutale du contrat. L’opérateur économique Talon, a, on le sait, consenti d’énormes investissements financiers, pour ne rien dire des centaines ou des milliers d’emplois et une rupture brutale du contrat peut déstabiliser tout le pays. Et puis, il y a une instance reconnue par le pouvoir, laquelle regroupe l’ensemble des opérateurs économiques, qui s’appelle le patronat, dont Patrice Talon est un éminent membre. Pourquoi n’a-t-on pas cru bon de recourir à toutes ces voies recours?

Parce que le chef de l’Exécutif est aux abois. Il a le dos au mur et tout le monde le sait! Au surplus, le patronat est dirigé aujourd’hui par un homme que le pouvoir tient pour un opposant. Une certaine presse a parlé récemment d’une trentaine de milliards de F Cfa de redressement fiscal à lui infligé par le fisc. Il ne reste au président Yayi que ce conglomérat difforme et hétérogène (un autre monstre à plusieurs têtes: décidément au Bénin, l’histoire se répète dangereusement!). Au demeurant, l’opérateur économique incriminé est en position de force puisqu’il vient de gagner, au nez et à la barbe de tous, le marché des intrants, ce, malgré les rodomontades du gouvernement. Et notre président n’aime pas ça! «Quoi? Qu'il est gonflé, ce Talon!», pourrait-il s’écrier! Et c’est pour sauver la face du au chef de l’Exécutif que cet aréopage de présidents d’institutions a été appelé à la rescousse. Que personne ne vienne nous convaincre qu’ils l’ont fait de leur propre chef. En tout état de cause, ça ne change rien au débat. Car, cette instrumentalisation consentie des institutions de contre-pouvoir qui cache mal une vassalisation au pouvoir exécutif est particulièrement inacceptable dans une République qui doit s’employer à consolider plutôt chacune de ces institutions dans son rôle. Et elles ne seront toujours fragiles, si elles doivent voler, sur un coup de téléphone, au secours d’un pouvoir qui refuse d’assumer ses responsabilités. Cette intrusion des présidents d’institution est d’autant plus intolérable que certains d’entre eux ont saisi le microphone qui leur était tendu pour déblatérer sur les citoyens qui n’ont fait qu’exprimer leur avis sur… la révision de la Constitution. Ce faisant, ils ont pris position dans un débat qui pourrait être déféré devant eux pour contrôle de constitutionnalité. Si ce n’est pas une violation de la Constitution, ça y ressemble. Etrangement! Que veut le président de la Cour constitutionnelle, lorsqu’il stigmatise en des termes méprisants et d’une rare violence tous ceux qui se sont exprimés contre la révision opportuniste de la loi fondamentale comme lui-même l’a fait par le passé. (Et merci à l’autorité de l’Ortb qui a fait rediffuser «Gros Plan» l’autre jour). Veut-il que nous retournions à la période obscure du Prpb de sinistre mémoire, où tout le monde, à l’exception de quelques happy few dont il était, étaient contraints de la boucler. Sauf à aller en exil ou à Ségbana? Ou bien veut-il que nous entérinions par la conspiration du silence autour de la confiscation des libertés publiques matérialisée par la mainmise du pouvoir sur les médias et toutes les institutions de contre-pouvoir? Il faut mettre un terme à cette dérive des institutions pour empêcher les politiciens qui y sont tapis et qu’on sait sevrés depuis longtemps de mandat électif, de faire de la politique directement ou par procuration, sous prétexte de détenir la science infuse du droit et des sciences politiques et économiques.

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*Nous empruntons le titre de cette chronique que nous avons déjà utilisé dans un passé encore récent à l’un de nos maîtres Ivoiriens, l’éminent homme de lettres et professeur émérite de littérature africaine, poète, dramaturge de très grande renommée, Bernard auto rebaptisé Botey Zadi Zaourou de regrettée mémoire, qui vient de nous quitter. Dans les chroniques des temps qui tanguent qu’il publiait dans le journal de service public ivoirien Fraternité matin, il s’était singularisé par ses analyses au vitriol des tares de la société ivoirienne ravagée par la guerre civile.

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