«Nous pensons célébrer ce 126ème anniversaire… dans un profond recueillement…» Dieudonné Lokossou, Secrétaire général du Bureau exécutif national de la confédération des syndicats autonomes (Csa-Bénin) dévoile le programme des festivités du 1er mai. Il y parle de l’utilisation faite des cahiers de doléances présentés aux autorités et de la décision de la Csa-Bénin de ne plus en produire. Le Sg fustige les perceptions qu’ont les pouvoirs publics du syndicalisme.
Comment entrevoyez-vous la célébration du 1er mai prochain dans le contexte actuel de crise marqué par la récente grève des enseignants ?
Nous pensons célébrer ce 126ème anniversaire qui a marqué les tragiques évènements de Chicago en Mai 1886, et qui ont donné naissance au 1er Mai, fête traditionnelle et universelle des travailleurs dans un profond recueillement en raison surtout du contexte actuel de crise dans le secteur sensible de l’éducation où des grèves perlées ont été observées pendant environ deux (02) mois dans les écoles maternelles, primaires et collèges secondaires par des enseignants qui revendiquaient à juste titre, leurs droits. Malheureusement, au lieu d’emprunter très tôt la voie des négociations avec les syndicats des enseignants en lutte, les tenants du pouvoir de la refondation ont préféré user du dilatoire, du dénigrement, des menaces de radiation, des arrestations arbitraires et pour finir, les défalcations injustifiées ont été opérées sur les salaires des enseignants après qu’ils eurent repris le chemin des classes pour éviter in extremis une année blanche pour notre pays.
Avec les nombreuses violations des libertés publiques notamment celles relatives aux droits de grève, le musèlement de la presse, l’interdiction du droit de grève aux agents de la douane, les menaces de suppression unilatérale des primes et autres indemnités considérées comme des droits acquis par les travailleurs en service dans les sociétés et offices d’Etat et, tous actes d’intimidation que ne cesse de brandir le gouvernement de la Refondation, il n’est pas possible de fêter ce 1er Mai 2012 dans la sérénité, mais plutôt dans la hantise totale. Néanmoins, pour ne pas faire piètre figure, le Bureau Exécutif National de la Confédération des Syndicats Autonomes du Bénin (CSA-Bénin) a choisi à l’occasion de rassembler à la Direction Générale de la SONACOP ses militantes et militants pour suivre une communication sur un sujet d’actualité qui défraie la chronique et ayant trait à la révision de notre Constitution. La Conférence-débat qui sera animée par le Professeur DJOGBENOU portera sur le thème :»Révision de la Constitution : rôle des différents acteurs». A l’issue de la Conférence, il sera offert un repas aux invités.
Qu’en sera-t-il, à votre avis, du traditionnel cahier des doléances des travailleurs? Peut-on avoir une idée de son contenu? Et comment sera t-il rédigé et présenté à l’autorité?
La présentation du traditionnel cahier de doléances des travailleurs au gouvernement représenté par le Ministre du Travail et de la Fonction Publique devient redondant voire même ridicule pour ne pas dire folklorique.
A quoi ça sert de présenter chaque année un cahier de doléances marqué à la fin de la cérémonie par des orgies tandis que bon nombre de travailleurs et travailleuses continuent de croupir dans une misère noire ? Cette cérémonie à notre avis, aurait son utilité si, après le dépôt de ce cahier l’autorité de tutelle nous convoquait pour donner une suite : à savoir ouvrir dans un délai raisonnable les négociations portant sur les différents points inscrits dans le cahier de doléances. Les doléances exprimées les années passées n’ont jamais reçu des réponses concrètes. C’est donc après avoir dressé un bilan exhaustif des années antérieures qu’une fois encore, le Bureau Exécutif National de la CSA-Bénin a décidé en toute souveraineté de ne pas répondre positivement à l’appel du Ministre cette année, car nous estimons qu’il y a un important stock de doléances non traitées et qu’il était inutile d’en rajouter. Et nous pensons ne pas être la seule confédération à avoir adopté en toute responsabilité une telle attitude de dignité face à un simulacre de dialogue social en panne depuis des lustres. C’est vous dire donc que notre Confédération ne transige pas sur les questions de principe.
Quel est généralement le sort réservé aux cahiers de doléances des travailleurs, une fois passée la fête du 1er mai ?
Avec ma réponse claire et limpide par rapport à votre question précédente, il n’est point exagéré de conclure que les cahiers de doléances une fois les fêtes passées sont purement et simplement classés pour ne pas dire jetés aux oubliettes.
Quelle perception les pouvoirs publics ont-ils du mouvement syndical au Bénin ?
Les pouvoirs publics dans notre pays ont du mouvement syndical béninois une perception basée essentiellement sur des préjugés et autres anecdotes tirées des imaginations de quelques thuriféraires du système qui ne vivent et ne survivent que des ragots et des trafics de fausses informations. Cette perception négative faite de suspicions n’offre pas de sérieuses garanties pour des négociations sociales en raison du manque de confiance réciproque.
Comment l’expliquez-vous ?
Tout pouvoir en place cherche à embrigader pour les besoins de la cause les syndicats. Lorsqu’une organisation syndicale affiche son indépendance et refuse la collaboration, elle est déclarée sans aucun discernement être à la solde de l’opposition ou manipulée par cette dernière. Par contre, les syndicats ou confédérations dits «modérés» qui appuient discrètement ou ouvertement les actes du Pouvoir ne sont pas étiquetés et ne subissent pas de représailles. Vous conviendrez alors avec moi qu’après le chaos époustouflant qui a consacré la victoire du Docteur YAYI Boni à l’élection présidentielle de Mars 2011, toutes les forces politiques dites de l’opposition en dehors du PCB sont anesthésiées. N’eût été donc la présence et surtout la vigilance de certaines confédérations, notre démocratie serait déjà mise entre parenthèse. Et c’est là des réalités que nul ne peut contester.
Peut-on s’attendre à une évolution de rapports pouvoirs publics/syndicats dans les années à venir?
C’est bien possible. Mais si c’est une évolution qui doit conduire à l’aliénation de l’autonomie organisationnelle de notre Confédération, les choses pourraient encore traîner. Toutefois, si nous relevons dans les démarches du gouvernement une sincérité, le respect de la parole donnée une franchise dans le dialogue social, le respect des libertés et des droits humains, on peut nourrir quelques espoirs pour que les choses évoluent dans le bon sens les années à venir. Autrement dit, ce sera le statu quo.
En dehors des mots d’ordre de grève et des meetings à la Bourse du travail, est-ce qu’on peut savoir en quoi constituent les rapports travailleurs/Centrales syndicales au Bénin?
Le mouvement syndical n’a pas pour apanage que le lancement des mots d’ordre de grève et l’organisation des meetings. La négociation constitue la règle et la grève l’exception. Cela dit, nous avons également pour, entre autres mission, la formation, l’information et l’éducation des travailleurs ; la liste n’est exhaustive. Le bon syndicaliste doit avoir une maîtrise parfaite des notions élémentaires de base, autrement dit, il devient un danger pour ces Camarades et la société.
Dans un pays en développement comme le Bénin, pensez-vous que le syndicat doit se limiter dans un rôle strict de revendication des droits des travailleurs?
C’est l’impression ou l’idée que le citoyen néophyte en matière de lutte syndicale et certains nervis du pouvoir et même les Autorités se font du syndicaliste béninois. Les syndicalistes n’ont pas que pour rôle strict, les revendications des travailleurs. Sinon, ils se seraient éreintés. Les gens confondent beaucoup de choses. Je sais que les griefs qui sont faits souvent en direction des travailleurs par certaines gens est que nous travaillons peu au Bénin. Permettez-moi de m’inscrire en faux contre cette idée pernicieuse. Je soutiens fortement que les béninois travaillent bien et sont moins rémunérés lorsque nous prenons les critères de convergence dans l’espace UEMOA. Dans un pays sous-développé comme le nôtre, les sacrifices doivent être équitablement partagés de même que les richesses, résultats du fruit des efforts des travailleurs qu’on ne cesse de vilipender. Je constate que ce n’est pas malheureusement le cas parce que chez nous, l’Etat vit au dessus de ses moyens.
Que pensez-vous du grief selon lequel les Centrales syndicales s’adonnent beaucoup plus à la politique qu’à la défense des intérêts des travailleurs?
Nous sommes des citoyens à part entière et avons le droit d’émettre nos opinions sur la chose politique qui n’est-il pas un domaine exclusivement réservé à une catégorie de citoyens privilégiés. Cela dit, montrez-moi un seul article de la constitution qui refuse aux syndicalistes de s’intéresser et non de s’adonner à la politique de son pays? Pourquoi le même grief n’est pas formulé à l’encontre de certaines autorités morales proches du pouvoir (pasteurs, évangélistes, boconons, têtes couronnées, syndicalistes, etc…) qui soutiennent ouvertement les actions du gouvernement parfois avec des marches ?
Les Centrales ou Confédérations syndicales sont les derniers gardiens du temple au sein de la République qu’aucun gouvernement ne pourra par chantage ou intimidation confiner dans le rôle de spectateur passif pour mieux brimer les travailleurs et les populations pour célébrer le deuil de notre démocratie chèrement acquise. Il demeure bien entendu que notre ambition n’est pas de conquérir le pouvoir d’Etat mais de dénoncer les dérives et les prédations des libertés démocratiques.
Interview réalisée par : La Nouvelle Tribune & Nouvelle Expression
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