Entretien avec Ousmane Alédji : «Le document Statut de l’artiste est une coquille vide»

Un an que le centre culturel Artisttik Africa fonctionne. Une galerie d’exposition bien spacieuse, une télévision émettant par internet, un géant théâtre polyvalent presque entièrement achevé, deux studios de production audiovisuelle… Des activités majeures qui font la force de ce laboratoire des arts sis dans le 13ème arrondissement de Cotonou. Ousmane Alédji, le promoteur, fait le bilan des douze premiers mois d’existence du centre. Il dévoile également des projections pour 2012. Avec lui, nous avons, par ailleurs, abordé les difficultés d’organisation de la biennale Regard Bénin, la place de la culture dans le gouvernement du docteur Boni Yayi ainsi que la gestion du Programme société civile et culture mis en place par l’Union Européenne.

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La Nouvelle Tribune : Après une année de vie du centre Artisttik Africa, quels sont les acquis déjà capitalisés?

Ousmane Alédji : Résister ! Nous résistons, mes collaborateurs et moi même pour pouvoir faire vivre le lieu parce que c’est d’abord un lieu qui autofinance pour l’instant 80% de ses activités. Tenir une année n’était pas gagné d’avance. Mais nous avons pu prendre, au niveau du fonctionnement, certaines habitudes avec le personnel, ensuite avec les partenaires et collaborateurs. L’infrastructure en elle-même a beaucoup évolué parce que l’acoustique n’était pas bien réglée. La salle d’exposition est aujourd’hui une galerie qui correspond aux normes internationales et dont nous sommes assez fiers. C’est la seule galerie au Bénin qui peut contenir jusqu’à cent œuvres. Tout le bâtiment est harmonisé maintenant pour être un lieu où l’art peut loger. Mieux, nous avons isolé tous les compartiments. Ce qui permet d’y faire plusieurs choses à la fois. Au niveau des médias, nous sommes passés de la revue imprimable à la revue numérique téléchargeable. Nous allons bientôt configurer le dispositif d’abonnement et d’achat en ligne, ainsi nous aurons le marché mondial via le web. La version anglaise est aussi à l’étude pour venir compléter l’existant. Nous sommes maintenant à près de 200 vidéos postées sur l’ensemble de nos réseaux studios. Le nombre de fidèles est passé de 5000 en 2011 à 25.000 cette année. Le site fonctionne, la webTV aussi. On peut dire que nous tenons le challenge de la résistance. Nous avons aussi beaucoup travaillé la communication et la visibilité pour que les gens sachent où nous trouver.

 

Quelles sont les perspectives pour l’année en cours?

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Cette année, nous allons mettre l’accent sur les activités, l’accueil, la diffusion et la création de spectacles béninois. Nous allons faire un travail au niveau régional puis international. Nous espérons ouvrir davantage le centre à des projets qui ne sont pas les nôtres uniquement, les projets d’acteurs, de créateurs majeurs et commencer à accueillir le public.

 

Aussitôt le centre mis en fonction, il a accueilli de nombreuses personnalités de haut niveau. Quelle démarche avez-vous engagée pour convaincre ces diverses autorités administratives, politiques et diplomatiques à découvrir Artisttik Africa?

Il est vrai que nous avons mené une démarche d’intéressement des personnalités et institutions de ce pays ou y siégeant. Je saisis l’occasion que vous nous offrez pour les remercier d’être allés nous voir. Je pense qu’elles n’auraient pas réagi spontanément si elles n’avaient pas elles aussi des fibres artistiques. Nous avons été très fortement marqués par quelques présences comme la chef de la Délégation de la Commission européenne, les ambassadeurs de France, d’Allemagne, du Brésil près le Bénin, l’ensemble du Conseil économique et social, M. Galiou Soglo alors ministre en charge de la culture… j’en oublie beaucoup, pardonnez-moi.

 

L’accès au centre Aristtik Africa se révélait pourtant un parcours de combattant surtout en saison pluvieuse. Mais depuis peu, toutes les voies ont été rechargées et bien aménagées, sifflant ainsi la fin du calvaire. Est-ce des travaux que vous avez réalisés par vos propres soins ?

C’est vrai que le quartier Agla est réputé pour être inaccessible en saison pluvieuse mais dans le même temps c’est l’un des plus populaires de Cotonou, un quartier d’avenir donc. L’investir comportait un risque considérable mais nous sommes des créateurs nous autres. Après, nous avons bénéficié de l’écoute et du soutien des autorités de la mairie de Cotonou, depuis le chef du 13ème arrondissement jusqu’au 1er adjoint au maire. Nous n’avons pas mis de l’argent dans l’exécution des travaux. Pas un rond ! C’est la mairie qui s’en est intégralement chargée. La mairie a surtout compris que le quartier a subi une grande transformation avec la présence de notre centre et a jugé utile de nous prêter main forte à travers l’ouverture et le rechargement des voies. Et la mairie s’est décidée quand elle a vu toutes les personnalités débarquer ici. Les gens du quartier nous appellent ici la « maison des blancs ». C’est la preuve que l’investissement dans la culture ne nourrit pas que les acteurs culturels, mais l’environnement socio-économique en profite directement.

 

Avez-vous bénéficié aussi d’un appui du pouvoir central ?

Au moment où je lançais le centre, nous étions dans la fièvre de la précampagne pour les élections présidentielles. Donc j’imagine que le chef de l’Etat n’avait pas forcément la concentration ou l’attention nécessaire à prêter aux projets culturels. Mais ses ministres étaient là et le ministre Galiou Soglo a pris un engagement vis-à-vis de nous ; un engagement qui reste en suspens parce qu’il n’a pas eu le temps de l’honorer avant de partir. C’était de nous soutenir dans la mise en place d’un gradin rétractable et d’une régie son et lumière de la salle polyvalente. Non seulement il n’a pas eu le temps de le faire, mais également ceux qui lui ont succédé n’ont pas eu visiblement, le dossier entre leurs mains. Alors, nous attendons toujours. Qui sait, peut-être que le chef de l’Etat nous rendra visite un jour.

 

Parlant du Chef de l’Etat, avez-vous le sentiment qu’il nourrit véritablement un intérêt pour la culture ?

Oh ! Là nous abordons les pentes glissantes.

 

Vous hésitez ?

Absolument.

 

Pourquoi ?

Il faut croire que je deviens sage.

 

Je reformule la question autrement, que pensez-vous de la gouvernance culturelle de notre pays ces dernières années ?

Tant pis. Quand j’observe avec le recul que me recommande ma position, j’ai le sentiment que le Chef de l’Etat est très volontaire, très déterminé et très spontané aussi. Cependant, j’ai le sentiment qu’au niveau de la culture, il est mal coaché. Je dirai même qu’il n’est pas coaché du tout. Cela déteint sur ses décisions pour la culture. C’est vrai qu’il n’est pas dit que le chef de l’Etat soit forcément un homme de culture, amoureux de l’art etc…mais je pense que les personnes qui ont accepté d’occuper cette fonction auprès de lui, ou elles ne font pas leur boulot ou elles sont proprement incompétentes.

 

Lors de l’avant dernier remaniement technique du gouvernement, nous avons constaté que le chef de l’Etat, en se fâchant contre l’ex-ministre en charge des transports maritimes, a préféré le muter à la tête du département de la culture comme pour le punir. Est-ce parce qu’il considérerait le ministère en charge de la culture comme non prioritaire?

La manière dont cela s’est passé m’a semblé particulièrement préoccupante. Mais dans le temps, au niveau africain, cela n’a rien d’exclusif. Certes, cela est à déplorer mais vous savez, à une époque nous luttions au sein de nos associations pour obtenir 1% du budget de l’Etat pour la culture. Aujourd’hui certains parmi nous sont au gouvernement. Bref ! La manière dont le remaniement s’est produit suscite des interprétations qui ne sont pas forcément à l’avantage du pouvoir parce que tout le monde a vu le mécontentement du chef de l’Etat à la télévision et le lendemain le ministre a été déplacé. Cela se serait passé autrement qu’on n’aurait pas eu ce sentiment de gêne.

 

Il y a un peu plus de deux ans, le Programme de soutien aux initiatives culturelles décentralisées (Psicd) a disparu au profit d’un programme Culture couplé avec le programme d’appui aux projets de la Société civile. Il se chuchote que la manière dont le programme Culture est géré au niveau du Pscc manque un peu de transparence. Pensez-vous cela vous aussi?

J’avoue que le Psicd a fait beaucoup de bien au secteur culturel béninois. C’est un programme dont les fonds ont profité à beaucoup de créateurs culturels et par ricochet au public donc au peuple. Quand il a été décidé de fusionner ce programme avec celui de la société civile, nous nous sommes inquiétés. Nous sommes allés rencontrer les décideurs et ils ont accepté nos propositions. Du coup, en fusionnant, ils ont accepté d’isoler la partie culture du reste. Ce qui est encore bien. Malheureusement, là où il y a l’argent, il y a le diable. Notre environnement est aujourd’hui vicié sinon sérieusement infesté. Parce qu’il y a l’argent, tout le monde est acteur culturel, tout le monde est porteur de projet. Curieusement, c’est ce que l’Union européenne voulait éviter en commanditant un état des lieux avant d’ouvrir ce programme.

 

Mais, le Statut de l’artiste promulgué récemment par le président de la République ne règle-t-il pas ce problème?

A la lecture du document auquel on a voulu attribuer ce nom, je me suis rendu compte que c’est une coquille vide. Je pense qu’en matière culturelle, il y a des expertises aussi, il y a des savoir-faire avérés. La culture n’est plus un fourre-tout. N’importe qui ne fait plus l’affaire dans le domaine culturel. Ce document ne nous dit pas quel artiste bénéficie d’une sécurité sociale au Bénin aujourd’hui ? Quelle forme de prise en charge ce document prévoit pour les artistes ? Qui est artiste au Bénin ? Quand on lit ce document, on se perd dans des terminologies trompeuses. Ce n’est pas normal. Mais restons positif. Nous allons plutôt dire que c’est un projet de statut et qu’il est appelé à évoluer avec le temps. J’espère que l’on trouvera le courage d’y revenir pour le faire évoluer.

 

La deuxième édition de la biennale de l’art plastique « Regard Bénin » qui devait se tenir au mois de février 2012 est reportée en novembre, parce que les organisateurs ne parleraient plus le même langage. Il y aurait eu des démissions en cascade. Puisque vous êtes membre de l’association qui organise la biennale, informez-nous de ce qui se passe réellement.

L’une de nos rares qualités au Bénin est que nous ne savons pas nous mettre ensemble et travailler pour le résultat. Pour le bien du pays, de la population, nous ne savons pas nous mettre ensemble. C’est une qualité. On a beau la dénoncer, elle reste même une compétence. Cela fait partie des lourdeurs qui pèsent sur la biennale Regard Bénin dont je suis l’un des membres fondateurs et actuel directeur exécutif. Certes, il y a eu des démissions, mais l’association tient. Mais là où le bât blesse, c’est qu’il y a des velléités de sécession. Des gens qui ont démissionné veulent rebondir avec une autre biennale et ceux qui sont restés veulent poursuivre le combat pour tenir la biennale. Au demeurant, nous nous acheminons vers une forme de confrontation ; nous nous acheminons vers un combat de gens de petits esprits. Ce que je ne souhaite pas. J’ai essayé, Dieu m’est témoin, de calmer les ardeurs quand j’ai vu venir les menaces mais je n’ai  pas été écouté. Là, nous nous en remettons à l’autorité du ministre de la culture qui a déjà, me semble-t-il le dossier sur sa table. Ses conseillers sont venus nous écouter. Il sait que nous n’avons plus de temps à perdre. C’est un excellent projet pour notre pays et nous avons même des garanties de financement des partenaires engagés, sauf que notre qualité première, fort détestable, triomphe de tout.

 

N’est-ce pas que le report va déteindre sur la confiance que les partenaires ont placée en cette biennale?

Non, je ne pense pas! Les difficultés sont inhérentes à tout projet humain. Si nous arrivons à surmonter ces difficultés, les partenaires, les artistes ici et là seront avec nous. Le tout se jouera dans notre capacité à surmonter nos difficultés, à ranger pour une fois, cette faiblesse qui fait que nous n’arrivons à rien faire ensemble. C’est un effort dont nous sommes capables. Je ne désespère pas.q

 

Propos recueillis pour La Nouvelle Tribune par Blaise Ahouansè

 

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