Le contrat qui lie la société Benin Control à l’Etat est-il un contrat de droit privé ou un contrat administratif? La question qui divise les protagonistes de l’affaire Benin Control a été au cœur d’un entretien organisé par l’Ortb, le bien nommé, dans la nuit du dimanche de la Pentecôte.
La suspicion légitime des téléspectateurs à l’égard de cette chaîne devenue, n’ayons pas peur des mots, une véritable caisse de résonnance du pouvoir, était tempérée par le nom de l’invité annoncé par bande défilante. Le jeune et fringant professeur agrégé de droit public, avocat de son état, encore frais émoulu du dernier concours d’agrégation du Cames (…), Me Ibrahim Salami, ne peut être suspecté de collaboration incestueuse avec le régime Yayi. Apparemment, il n’est pas politiquement marqué, comme d’autres. Mais, par les temps qui courent depuis avril 2006, n’intervient pas à l’Ortb qui veut! Aussi, était-on curieux de savoir quel manteau allait endosser Salami sur le plateau – celui de l’avocat ou du professeur spécialiste de droit administratif.
Dès l’entame de l’entretien, la démarcation a été faite: Il n’a pas été commis comme avocat du gouvernement. Dont acte! D’ailleurs, cette intervention qui pourrait être perçue a posteriori comme un appel du pied, le disqualifie de facto. Le professeur énoncera très vite sa thèse de façon magistrale, sans faux fuyant. «Le contrat de Benin Control, martèle-t-il, est un contrat de droit administratif». Il ne transigera pas sur cette position, tout au long de l’entretien, malgré les tirs croisés des animateurs de l’émission, très incisifs et moins frileux que d’habitude. Même quand ces derniers évoquent l’article 49 qui parle du tribunal arbitral, il n’a cessé de marteler sa thèse première: c’est l’Etat qui cède une partie de ses droits régaliens de service public à un privé. Le gouvernement peut mettre fin à ce type de contrat à tout moment, dès lors qu’il constate que l’intérêt général n’est pas garanti par le prestataire.
Cela dit, la clarification apportée par le savant apparaît à première vue comme un plaidoyer pro domo dont l’un des objectifs -il ne s’en cache pas- est de promouvoir la connaissance d’une discipline méconnue: le droit administratif. Un plaidoyer qui s’adresse in fine aux décideurs politiques qui engagent avec trop de «légèreté» -le terme est de lui- la responsabilité de l’Etat. Mais à tout prendre, cette sortie ne fait pas avancer le débat. La question de la nature du contrat ne peut être pertinente que pour deux catégories de personnes: les universitaires et autres spécialistes du droit et les praticiens que sont, entre autres, les avocats. Pour ces derniers, la qualité du juge de recours dans l’un ou l’autre cas n’est pas innocente: le juge administratif du Bénin ou le juge arbitral d’Abidjan. L’allégeance supposée de l’un est souvent opposée à l’indépendance de l’autre. Le professeur qui évoque à mots couverts l’inanité de l’article 49 ne se prononce pas sur la bataille juridique que risquent de se livrer les avocats des deux parties. Parce que la plaidoirie du professeur pour la reconnaissance du caractère administratif du contrat dans un contexte d’économie libérale pose problème. Car, le pouvoir régalien de l’Etat ne se limite pas aux seuls domaines reconnus et versés au débat. L’exploitation des ressources du sous-sol ou des moyens de télécommunications pour ne prendre que ces exemples, peut être perçue comme une concession au privé, du droit régalien de tout Etat sur ses ressources. Le vrai problème est qu’un contrat de type administratif ou non, appelle des obligations de la part des deux parties.
Au surplus, c’est par rapport aux citoyens ordinaires, ceux que recouvre le vocable «intérêt général» que la clarification du professeur nous laisse sur notre faim et rend son discours tendancieux. L’Etat, au terme de l’intervention du professeur, a toujours le beau rôle. Sa compétence est sans limite. Et sa responsabilité quasi nulle! Il est, pour ainsi dire, un Dieu sur terre, ayant droit de vie et de mort sur tout et tout le monde. Même quand il se trompe, précise le professeur, il peut revenir à tout moment sur un contrat administratif, pourvu que ce soit au nom de l’intérêt général. La question que pose ce genre de plaidoyer est celle-ci. Quel investisseur privé peut faire confiance à un gouvernement qui peut remettre en cause sa propre signature à la première occasion? Au demeurant, le gouvernement Yayi, au regard des précédents scandales non élucidés comme l’affaire Cen Sad , ICC Services, Dangnivo, doit encore nous prouver que c’est au nom de l’intérêt général et non celui du candidat à la magistrature suprême qu’il a signé le contrat Bénin Control, le 09 février 2011. A moins d’un mois du scrutin présidentiel du 13 mars qui a abouti au K.-O de triste mémoire. Qu’il a signé le décret de mise en œuvre du PVI, le 22 mars, soit plus d’une semaine après le scrutin, au moment où le K.-O était déjà annoncé urbi et orbi. Dans quel pays du monde, un gouvernement responsable peut prendre un engagement de plusieurs centaines de milliards de francs dans une période aussi pleine d’incertitudes que celle de la période électorale? Et qui peut nous empêcher de penser que le promoteur de Bénin Control, aujourd’hui vilipendé, n’avait pas signé ce contrat en ayant garanti la contrepartie exigible en pareille circonstance. (de Patrice Talon)
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