Les seconds tours des huit élections présidentielles disputées en France depuis 1965 ont été généralement relativement serrés. La victoire la plus large dans un duel droite-gauche classique a été obtenue par le général de Gaulle en 1965 face à François Mitterrand.
L'élection la plus serrée fut celle de 1974, qui s'est jouée à environ 400.000 voix. Il y a eu deux duels atypiques droite-droite en 1969 et droite contre extrême-droite en 2002.
Voici un rappel des résultats :
1965 : Charles de Gaulle 55,2%-François Mitterrand 44,8%
(participation* de 82,0%)
1969 : Georges Pompidou 58,2%-Alain Poher 41,8%
(participation 64,43%)
1974 : Valéry Giscard d'Estaing 50,8%-Mitterrand 49,2%
(participation 86,2%)
1981 : Mitterrand 51,8%-Giscard d'Estaing 48,2%
(participation 83,4%)
1988 : Mitterrand 54%-Jacques Chirac 46%
(participation 81%)
1995 : Chirac 52,6%-Lionel Jospin 47,4%
(participation 74,9%)
2002 : Chirac 82,2%-Jean-Marie Le Pen 17,8%
(participation 75,4%)
2007 : Nicolas Sarkozy 53,1%-Ségolène Royal (PS) 46,9%
(participation 80,04%)
Ils étaient tous les deux qualifiés pour le second tour de la présidentielle et c'est bien là leur seul point commun. Tout semble les opposer. Même dans les styles de campagne, les candidats PS et UMP s'illustrent par leurs différences.
Ce qu’il y’a lieu de retenir c’est qu’au final Nicolas Sarkozy a conquis les esprits, pas les cœurs. Avec une campagne très offensive dont l’idéologie était radicalement marquée à droite, les chances de réélection de Sarkozy, "l’hyper-président" étaient minces car la clé de la victoire de la gauche se trouvait dans le report des voix d’une part et grâce à des facteurs qui expliquent l’échec du président sortant.
1. L'issue du scrutin a d’abord reposé sur le report des voix du premier tour
François Hollande a pu compter sur l'électorat du Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon, les Verts d'Eva Joly et l'extrême gauche. Le tout pèsait 15% que François Hollande pouvait ajouter à son score du premier tour, 28,6%.
Mais il en fallait plus pour gagner. La clé, c'était donc le report des voix de Marine Le Pen et de François Bayrou. A eux deux, ils réunissaient une réserve de 28% de votants. C'est eux qui ont fait la différence.
Mais voilà : Marine Le Pen vota blanc et François Bayrou vota François Hollande. Et d’'après les sondages, seule la moitié de l'électorat lepéniste a voté Nicolas Sarkozy. Quant aux centristes, ils semblent s’être divisés à parts égales entre vote blanc, vote François Hollande et vote Nicolas Sarkozy.
Traditionnellement, la réserve de voix du centre et de l'extrême-droite se reporte à droite. Mais au sein de cet électorat, le rejet du candidat Nicolas Sarkozy est tel que François Hollande a récolté une partie de cette réserve. La mécanique des reports de voix a donc sacré ce dimanche soir, le nouveau président
2. Les raisons de l’échec du président sortant
La droite était installée à l'Elysée depuis 1995 (dix-sept ans jusqu'à aujourd'hui) et à Matignon depuis 2002 (dix ans) : le désir d'alternance et de « donner sa chance » à celui qui n'a pas encore de bilan constitue l'explication la plus évidente de la victoire de François Hollande à laquelle il faut ajouter l'ardent désir de la gauche de retrouver le pouvoir. Par ailleurs, la différence avec 2007 saute aux yeux : il y a cinq ans, le paysage politique se décomposait en trois blocs (PS-centriste-UMP) ; en 2012, il est modifié (PS-centriste-UMP-FN). Pour le candidat Sarkozy, le grand écart était pratiquement impossible.
La dure situation économique
Aucune équipe sortante n'a jusqu'à maintenant survécu à la crise, et Nicolas Sarkozy pas plus que les autres. George W. Bush, Gordon Brown, José Luis Zapatero, tous ont été balayés depuis 2008. La hausse du chômage, le climat économique et les mesures de rigueur (moins dures qu'ailleurs mais hyper-médiatisées) ont rendu le président sortant impopulaire. Ce qui a été jugé n'est pas le bilan en valeur relative dans un contexte donné (il est honorable, notamment avec des réformes), mais en valeur absolu, même si cela a peu de sens (il est médiocre). Le jeu de domino va-t-il continuer ? Les mois à venir verront se dérouler des élections aux Etats-Unis, en Italie et enfin en Allemagne…
L'équation personnelle du candidat
Dans la campagne de 2007, Nicolas Sarkozy avait théorisé la mise sous tension du débat public autour de ses idées. Son énergie, son goût de la transgression, son hyper-présidence (à la fois concentration des pouvoirs et banalisation de celui qui les exerce) ont « hystérisé » son mandat. Aux yeux du monde, son énergie était admirée et son leadership reconnu à Washington, Berlin et Pékin. Mais aux yeux d'une partie des Français, son énergie est devenue négative (au sens physique du terme, répulsive), autre façon de parler de rejet parfois « tripal ». Le parallèle avec Valéry Giscard d'Estaing est frappant : tous deux ont eu à affronter une crise (pétrolière, financière) ; tous deux ont été élus parce qu'ils sont apparus comme des opposants à leur propre camp ; tous deux sont apparus jeunes et énergiques au moment de leur élection ; tous deux ont tenté l' « ouverture » politique (JJSS, Giroud, Kouchner) ; tous deux ont traîné le boulet de comportements personnels critiqués, peu importe que le reproche ne soit pas fondé (Diamants, Fouquet's). Tous deux ont aussi effectué des réformes plus importantes que cela n'a été perçu au départ. Comme Valéry Giscard d'Estaing. Après avoir repris son slogan de campagne « La France Forte », Nicolas Sarkozy a subi ce dimanche le même sort que le prédécesseur de François Mitterrand. Comme lui, il a été emporté par les urnes après un seul et unique mandat. Victime de la crise et de l'augmentation du chômage, qui favorisent partout l'alternance. Victime aussi de ses propres erreurs, tant l'antisarkozysme -de l'aveu de ses proches -a pesé lourd dans le résultat final. Avec près de 48 % des voix, Nicolas Sarkozy devrait pourvoir se targuer d'avoir évité l'humiliation et de faire mieux que Ségolène Royal face à lui en 2007 (46,94 % des suffrages exprimés). Relégué à la deuxième place au premier tour, le président sortant a jusqu'au bout a cru en ses chances, annonçant une « vague » en sa faveur. En vain. Ses appels au « sursaut national » et son pilonnage d'une gauche brandie comme un épouvantail n'ont pas suffit à faire mentir les sondages, qui ne l'avaient pas une seule fois donné gagnant.
La bonne campagne de François Hollande
Le candidat socialiste ne s'est trompé ni sur l'airbag de sa campagne, ni sur son plan de route, ni sur son agenda. Son airbag ? Le souvenir de 2002 a rassemblé très vite la gauche et il n'y a jamais eu aucun doute sur les consignes de vote au second tour. Son plan de route ? Il a beaucoup misé sur l'anti-sarkozysme, très réel, et ne s'est pas installé dans le « duel » dont rêvait un Nicolas Sarkozy qui a manifestement sous-estimé son adversaire.
Du coup, il n'a pas eu à donner énormément de gages à la gauche de la gauche. François Hollande a inscrit son projet dans un sérieux affiché sur les finances publiques (il est tenu par un retour à l'équilibre en 2017) même si les moyens pour y parvenir restent largement imprécis hormis les hausses d'impôt. Ensuite, la proposition d'un taux à 75% sur la part des revenus supérieure au million d'euros apparaît comme un coup de génie politique (économiquement, c'est autre chose…) dans la mesure où elle lui a permis de contrer l'image de mollesse qui lui était opposée. L'agenda ? Les négociations avec les Verts ont eu lieu suffisamment tôt pour qu'elles soient vite oubliées, et les approximations du programme (sur la fiscalité) lui ont permis de rectifier le tir assez vite. François Hollande a enfin convaincu que sa colonne vertébrale idéologique personnelle était sociale-démocrate et il a commencé à « atterrir » ces dernières semaines
Cette défaite, la première de la droite dans la course à l'Elysée depuis 1988, a pour la majorité un goût amer. D'abord parce que le chef de l'Etat, qui voulait incarner une droite décomplexée et moderne, risque au bout du compte de laisser tous les leviers de pouvoirs à la gauche, les députés UMP redoutant désormais d'être décimés aux législatives de juin. Ensuite parce que ses appels du pied aux électeurs du Front National avant le second tour, doublés des déclarations de Gérard Longuet faisant de Marine Le Pen un « interlocuteur », pourraient laisser des traces. « Le temps de l'analyse viendra après le 6 mai », a prévenu il y a dix jours l'ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin. Une partie de la majorité regrette qu'il n'ait pas fait campagne avec la seule posture du « capitaine courage qui fait les réformes dans la tempête », tel Gerhard Schröder en Allemagne. « Il aurait probablement perdu, peut-être plus largement, mais il serait parti par la grande porte », grince un parlementaire qui ne porte pas dans son coeur Patrick Buisson, l'artisan de la « stratégie très à droite » de Nicolas Sarkozy.
Le défi de François Hollande sera de montrer qu’un dirigeant qui doit son élection à la crise peut emporter l’adhésion de la population. Sinon, comme Nicolas Sarkozy aujourd’hui, il se retrouvera dans cinq ans à se demander ce qu’il aurait pu faire différemment.
Les Français ont voulu le changement et ils ont décidé de l'obtenir. Nicolas Sarkozy a échoué à renverser la vapeur.
En 1981, la France élisait à 51,8% un président de gauche qui s’appelait François. 31 ans plus tard, ce pays élit à nouveau un président de gauche à 51,62% appelé ……………… François.
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