Xwlacondji: un déguerpissement épouvantable et des suggestions

Les médias toutes catégories confondues ont relayé à profusion le spectacle insoutenable de la désolation créée par la destruction du quartier popo au bulldozer, faisant des sans abri et laissant des familles entières à la merci de la rue et des intempéries.

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C’est le genre de spectacle qu’on prendrait bien plaisir à voir une fois que les personnes déplacées auront été relogées ; c’est me semble t-il une affaire de logique et de bon sens. L’objectif de toute politique publique saine est le bien-être des citoyens et en toutes circonstances, toute démolition de maisons sans un recasement préalable ne me parait pas une politique saine.

En tout état de cause ma préoccupation n’est pas tant d’épiloguer sur le bien ou le mal fondé de la décision des autorités du ministère de l’environnement ; elle n’est pas non plus de savoir si oui ou non des indemnités avaient été effectivement versées aux intéressés depuis 1980 et pourquoi ce n’est que 30 ans après que le déguerpissement intervient alors que la majorité des personnes qui auraient bénéficié desdites indemnités ne sont certainement plus de ce monde. Ma préoccupation n‘est pas non plus de savoir pourquoi les démolitions ont très largement outrepassé les 25 mètres à partir de la berge comme il en était question ; pas plus que de m’assurer si un site a été affecté aux expulsés pour s’y réinstaller et ce qu’est devenu ce site depuis 30 ans. Mais tout cela est problème matériel susceptible de connaître un dénouement matériel.

Opportunité

Ce qui me préoccupe par contre et que je sais avec certitude c’est qu’en ce genre d’action quand bien même légitime, il convient de considérer avant tout son opportunité. C’est l’opportunité qui règle l’intelligence des actions que nous posons ; autant elle les honore quand elles sont prises à propos et à point nommé autant elles les avilit et les discrédite quand elles sont entreprises à contretemps. Nous sommes tous fils de la Nation, au même titre citoyens et électeurs; aussi réclamons-nous tous le respect auquel ces attributs nous donnent droit uniformément. Il est difficile de comprendre, quelle que soit la raison évoquée, que l’on jette ainsi dans la rue tels des gueux ou des citoyens de seconde zone pères, femmes et enfants. Cela ne saurait se justifier d’aucune manière quand bien même serait-ce pour raison d’Etat car c’est la puissance publique elle-même qui a failli dans l’exécution de sa propre décision: c’est elle qui aurait mis 30 ans pour exécuter sa propre décision; et puis celle-ci ne pouvait-elle attendre quelques semaines de plus si tant est qu’elle s’est abstenue de prendre effet pendant plus d’un quart de siècle ou alors ne pouvait-elle intervenir quelques semaines plus tôt? Nous sommes en pleine saison pluvieuse et en pleine année scolaire; deux paramètres déterminants dans toute décision à implication sociétale. Dans le présent cas de déguerpissement il convient de relever qu’il ne s’est point agi de démanteler des baraques de commerçants mais bel et bien de maisons abritant des enfants, des femmes et des hommes ; c’est un drame épouvantable et il fallait se rendre effectivement sur les lieux pour en prendre toute la mesure. Est-ce le terme des prochaines échéances électorales présidentielles qui, de par son éloignement, autorise telle manière de procéder ou les Popos sont ils redevenus des citoyens de seconde zone comme ce fut le cas par le passé? Les autorités politiques d’alors n’avaient-elles pas décidé de ne pas construire le port en eau profonde à Grand-Popo alors que les études techniques le désignaient comme le meilleur site pour accueillir cet ouvrage et n’ont-elles pas laissé à l’érosion côtière le fief des Popos, ancien chef-lieu du département du Mono? Quelle âme pourrait résister à l’émotion en se remémorant que cette ville était naguère la métropole économique du Dahomey où se bousculaient les comptoirs français, les grandes maisons de commerce et d’imposants bâtiments tant administratifs que privés? Tous reposent aujourd’hui au fond de l’Océan. Avant Cotonou était Grand-Popo et l’on ne peut prendre ses aises avec l’histoire.

Au commencement était Grand-Popo

Considérations politique certainement d’autant que Monsieur le Maire de la commune de Cotonou craignant à bon droit de faire les frais de ce déguerpissement dramatique, ne perdant pas de vue la prochaine échéance des élections municipales, a entrepris de tirer son épingle du jeu. Il l’a fait avec grand bruit et de la manière la plus solennelle qui soit. Il n’a pas hésité à sortir le grand jeu avec telle force et telle réprobation qu’on ne peut se tromper sur le but visé. Il l’a fait avec l’autorité, les accents et l’aura d’un Chef d’Etat qu’il a été ; il n’a pas fait dans la dentelle. Il a joué sa partition quand bien même les sinistrés ont décliné l’assistance financière qu’il leur a offerte pour raison d’insuffisance certainement mais peut-être aussi par dépit. Implication politique d’autant évidente que le Maire de Grand-Popo a fait le déplacement à Xwlacondji vraisemblablement en bonne intelligence avec le Maître des lieux pour lui prêter main forte mais aussi manifester la solidarité de la commune de Grand-Popo avec les sinistrés. Cette action que nous pensons conjointe était donc empreinte d’une noble signification politique mais aussi sociologique pour éviter le terme ethnique.

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Mais ce qui est intellectuellement dérangeant dans cette situation et qui n’est pas matériel, c’est que les expulsés quittent la terre qu’ils ont colonisée au prix de durs sacrifices en emportant avec eux tout un pan de l’histoire économique du Dahomey qu’au demeurant ils ne peuvent écrire et qu’aucune autorité, ni gouvernementale ni municipale, n’a paradoxalement mis en exergue jusqu’alors; un pan de notre histoire que les jeunes n’auront pas la chance de connaître si on ne leur en laisse quelque trace. Avant Cotonou existait Grand-Popo mentionnions nous plus haut. En effet les écrits nous apprennent que bien avant la construction du wharf de Cotonou en 1891, c’était Grand popo et Ouidah qui assuraient les échanges de toutes sortes en mer, déjà grâce aux valeureux piroguiers popos, fiers aux commandes de leurs frêles embarcations. Les vestiges de ces ouvrages en l’occurrence celui de Grand-Popo dont nous nous remémorons jonchaient encore la plage dans les années 1940 Les navires mouillaient alors en rade foraine et les pertes tant matérielles qu’en vies humaines étaient fréquentes. Le wharf de Cotonou qui devait améliorer cet état de chose et dont la construction explique le transfert des activités commerciales de Grand popo sur Cotonou devenu conséquemment la nouvelle capitale économique, était une passerelle métallique, une jetée qui s’avançait dans la mer jusqu’au-delà de la zone perturbée par la barre afin de permettre d’effectuer les opérations de transbordement dans un espace relativement calme. Prolongé à plusieurs reprises, le wharf aura atteint une longueur de 400 mètres en 1950. Au bout de la jetée, une puissante grue trônait et en contrebas une flottille de pirogues et de barcasses à l’aplomb attendaient leur chargement dans un ballet de houle et de tangage ; le tout dans un vacarme assourdissant. Les voyageurs prenaient place par groupe restreint dans d’énormes sacs ajourés, faits de puissantes lanières. La grue les soulevait pour les déposer dans les pirogues ; il en était de même pour les bagages et les marchandises. C’est alors que les très expérimentés piroguiers, recrutés à Grand-Popo en raison de leur maîtrise de l’eau entraient en action. Valeureux qu’ils étaient, ils avaient la lourde et permanente charge d’amener les chargements à bon port c’est-à-dire jusqu’aux navires qui attendaient au large. C’est ainsi que les Popos ont contribué effectivement en amont à l’essor économique du pays au prix de leur vie ; aucun col blanc ne peut se prévaloir d’en avoir fait autant pour son pays. Ce sont eux qui ont ouvert le Dahomey sur le monde ; ce sont eux qui ont permis les premières transactions commerciales avec le reste du monde même si elles n’étaient pas toujours licites ; ce sont eux qui ont favorisé le brassage des cultures en permettant les voyages à l’étranger ; c’est encore eux qui ont permis aux intellectuels dont les héritiers ne leur savent pas gré aujourd’hui, d’aller se former dans les universités étrangères. Ils ont été les pionniers du développement avec la force de leurs bras, de leurs muscles ; de leur bravoure aussi ; serviette autour du cou épongeant sans arrêt le visage dégoulinant de sueur sous l’effet de l’effort, ils méritent admiration. Ils n’ont pas été des ouvriers ordinaires : ils ont construit le Dahomey d’alors, le Bénin d’aujourd’hui. L’administration occupante les avait installés aux abords du wharf dont ils vivaient et ils ont donné à leur quartier le nom de Xwlacondji signifiant en français, quartier des ressortissants de Grand-Popo. On ne peut remercier ces gens-là avec le revers de la main. Intellectuellement ce n’est pas acceptable, socialement ce n’est pas convenable et politiquement ce n’est vraiment pas correct d’autant que les Popos ont porté haut les couleurs du Dahomey en exportant leur savoir-faire ailleurs dans la sous région, en Cote d’Ivoire notamment. Gageons que si l’attention du Ministre de l’environnement qui s’est fait la réputation d’une personnalité décisive et déterminée avec un bon jugement, avait été attirée sur tous ces points par ceux qui ont la charge de le faire et qui sont payés pour ce faire, il en aurait certainement tenu compte de quelque manière.

Un mémorial en l’honneur des Xwlas

Je ne sais quelle destination l’on donnera à ce quartier ; mais pourquoi donc ne pouvait-on pas le moderniser en lui conservant son look de village de pêcheurs qui de surcroît présentera, à n’en pas douter, un intérêt touristique significatif. Que ne pourrait-on lui conserver sa dénomination de Xwlacondji quelle que soit sa nouvelle affectation ! C’est le meilleur hommage qui reste à rendre à ces expulsés d’un village qu’ils ont créé et qu’ils ont construit quand bien même en matériaux précaires, à la sueur de leur front; c’est le meilleur hommage qu’on puisse rendre à leur bravoure aussi. Aucun groupe, aucun individu n’a autant contribué concrètement à l’essor économique commercial et culturel de notre pays. Lorsque des peuples ont eu tel impact sur le développement, quand bien même ne sachant ni lire ni écrire, il convient de leur en être redevable, tout au moins en reconnaissant leur mérite et en le proclamant haut et fort; c’était leur attente légitime.

Nous suggérons alors qu’un mémorial soit érigé en leur honneur en ce lieu de Xwlacondji qui matérialisera et pérennisera leur sacrifice, le don de leurs personnes dans le processus du développement de notre pays. Nous suggérons également que le rôle de pionnier et de précurseur qu’ils ont joué soit enseigné dans les établissements scolaires sur toute l’étendue du territoire national. Les Popos sont les premiers artisans de notre développement ; peut-être n’en ont-ils pas pris eux-mêmes la pleine mesure ; peut-être se sont-ils considérés tout simplement comme des ouvriers ordinaires qu’ils n’étaient guère. Il nous revient de leur rendre justice en les faisant entrer décidemment et définitivement dans l’histoire économique de notre pays. Nous leur devons bien cela.

Ambassadeur Candide Ahouansou
N.B. Les intertitres sont de la rédaction

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