Attention, prêts, partez ! C’est l’ordre bien connu du stater. Il s’agit de la personne préposée à donner le départ des courses en athlétisme. Sont bien partis, depuis le 26 juin, les 18èmes championnats d’Afrique d’athlétisme.
C’est le stade Charles De Gaulle de Porto-Novo qui abrite l’événement. Le Chef de l’Etat, Boni Yayi, quelques heures avant la cérémonie d’ouverture a lancé un appel à l’adresse des athlètes africains. Cet appel mérite qu’on s’y arrête : «Ne cédez pas à l’appât du gain, a-t-il dit, en renonçant à vos pays d’origine ou à votre continent d’origine. Restez les ambassadeurs de vos pays et de l’ensemble du continent.»
Il faut apprécier à sa juste valeur le caractère nationaliste et patriotique d’un tel appel. Le Chef de l’Etat semble manifester une crainte. Au regard d’un rapport de force international par trop défavorable à l’Afrique, il ne souhaite pas que notre continent soit un simple gisement sportif abandonné à la fièvre exploratrice des autres. Nous savons que les pays nantis, consommateurs de sportifs de haut niveau, ont des moyens quasi illimités pour payer cash, rubis sur l’ongle. S’installerait une nouvelle traite négrière. Elle serait aussi pernicieuse que la première. Parce qu’elle serait attentatoire à ce qu’un pays a de plus cher : la ressource humaine
C’est vrai que le sport est devenu un phénomène de portée mondiale. Il fait tomber bien de barrières et de frontières. Il a gagné le droit de faire vibrer la planète entière, en confondant les peuples et les individus, indépendamment de leurs conditions de pauvres ou de riches, de nantis ou de déshérités. Il est un fonds de commerce rentable, une affaire de gros sous, une gigantesque bourse des valeurs. Au vrai, on peut parler de pouvoir sportif, au même titre que l’on parle de pouvoir politique ou financier, de pouvoir religieux ou médiatique.
Le footballeur camerounais Samuel Eto’o exhibe une fiche de paye avec un salaire mensuel de 1milliard 200 millions de francs CFA. L’ivoirien Didier Drogba vient de signer un contrat avec un club de football chinois. Ceci à hauteur de 850 millions de francs CFA par mois. Pour ne citer que ces deux cas, avec des salaires qui dépassent de loin ceux auxquels pourraient prétendre les Chefs d’Etat les plus puissants de la terre, on comprend que nous abordons un univers bien spécial. L’argent, ici, peut faire vaciller, à défaut d’en avoir raison, les convictions patriotiques les mieux trempées.
Que proposent nos pays à ceux de leurs enfants les plus sportivement doués, des champions en puissance qui n’attendent que d’éclore à la faveur d’un environnement social et sportif stimulant et porteur ? Pas grand-chose. Sinon, un mépris souverain. Le cas suivant mérite votre attention.
Un footballeur béninois, Jean-Marc Adjovi-Bocco, a fait carrière en France. Au terme de son parcours professionnel, il décide de rentrer au bercail pour retrouver les douceurs de son royaume d’enfance, les délices de son continent d’origine. Des valises qu’il vient de poser sur la terre qui l’a vu naître, il sort un projet audacieux : la construction, sur fonds propres, d’un centre de formation, sport/études, dans l’esprit de ce qui ce fait le mieux, aujourd’hui, dans le monde.
Qui n’applaudirait pas Jean-Marc Adjovi-Bocco pour une aussi belle initiative ? Elle fleure bon l’amour du pays, la volonté d’y investir pour créer des emplois, le désir ardent de contribuer à élever le niveau de notre football. Commence pour Adjovi un parcours du combattant des plus scandaleux, par les dédales d’une administration corrompue. Arrosage par-ci. Caillou à poser sur le dossier par-là. Partout, des prédateurs bien postés et qui se pourlèchent les babines, prêts à prélever leur part de viande fraîche. L’homme arrêtera, de bonne heure, la saignée. Il décide d’aller voir ailleurs. Le Centre de formation dont il rêva pour son pays a trouvé à s’abriter au Sénégal. Maigre consolation : en Afrique, tout de même.
Oui, Monsieur le Président, vous avez raison de souhaiter que nos athlètes n’oublient jamais le pays qui les a vus naître. Il faut qu’ils en soient partout les dignes ambassadeurs. Mais vous aurez encore plus raison, Monsieur le Président, si vous incitiez les pays d’origine de nos valeureux athlètes à faire à l’endroit de ceux-ci le minimum exigible pour les attacher à leur terre. Il n’est point de patriotisme spontané. Le patriotisme prend toujours racine sur un terreau donné. L’état de celui-ci détermine tout le reste. On ne fait pas le feu avec des braises éteintes. On ne fera pas naître une conscience sportive conséquente dans des pays qui insultent et piétinent leurs athlètes. C’est clair, net et précis.