La Haac est sortie d’un mois de silence qualifié par elle-même d’«attentif » et s’est fendue d’un communiqué, oh pardon, d’une « déclaration » au ton comminatoire. C’était le mercredi dernier.
Cette déclaration étonnante qui en définitive enjoint aux journalistes de cesser d’évoquer certains sujets de préoccupation nationale, sous peine de sanction, a été suivie de deux rencontres formelles le lendemain avec les acteurs des médias.
Mais les rencontres de la Haac se suivent et se ressemblent dans la forme comme dans le fond. Ainsi, comme sous l’arbre à palabre, le président prend la parole pour camper le décor et les conseillers parlent à tour de rôle et souvent des mêmes choses. On se surprend à entendre certains conseillers afficher « ganan, ganan » leur militantisme, tout en s’en défendant. On s’ennuie à mourir en écoutant d’autres étaler leur état d’âme dans de longs développements alambiqués qui n’ont rien à voir avec la finalité de la rencontre. Puis, on donne la parole aux acteurs des médias. Une fois les interventions de ces derniers terminées, les conseillers s’arrogent encore le droit de répondre aux intervenants et « gare à ceux qui auraient mal parlé! » Les fameuses auditions publiques sont conduites de la même façon et les sanctions encourues sont proportionnelles à la nature des propos de l’intervenant. La sanction est connue d’avance. Seul le quantum varie en fonction du « prévenu », parce que la Haac profite du silence de sa loi organique sur une grille de sanctions applicables aux « contrevenants ». L’atmosphère est celle des tribunaux de l’inquisition d’une certaine époque. Les dernières séances n’ont pas dérogé à la règle. Il n’y a pas eu de véritables échanges, tant s’en faut ! On sort de ses longues palabres avec la désagréable impression d’avoir été soumis à des admonestations d’un père fouettard prompt à abattre son martinet sur un fils récalcitrant à la moindre occasion. Mais l’impression la plus forte que laisse la Haac est celle d’un « chien de garde »du pouvoir exécutif, dictant littéralement aux médias ce qu’ils doivent dire ou écrire, alors même que la loi et le code de déontologie sont amplement suffisants. Il en est ainsi de sa fameuse déclaration que certains conseillers appellent décision. Elle ne conforte que le camp du chef de l’Etat qui se débarrasse à peu de frais de ses opposants qui critiquent sa gouvernance. Mais le plus grave est que la Haac crée dans la profession, du fait de la démission des associations professionnelles, réfugiées derrière le slogan creux de « la co-régulation »,une psychose de la répression qui conduit évidemment à l’autocensure dommageable au droit du public à l’information.
L’entretien du 1er août
Cela dit, analysons de plus près les circonstances de cette déclaration de la Haac! Elle est venue opportunément siffler la fin du calvaire subi par le pouvoir par presse interposée. Le pouvoir avait grand besoin d’un acteur apparemment neutre de régulation pour se tirer d’affaire. En effet, voici bientôt neuf mois que le pays tout entier vit dans la tourmente avec une opposition politique et une société civile qui dénoncent d’une même voix la gouvernance chaotique du pouvoir. Le pvi annoncé à grands renforts de publicité et démarré sur les chapeaux de roue a été suspendu. La filière coton connaît les bouleversements les plus spectaculaires de ces dix dernières années .L’Aic et la Cspr structures faîtières de la filière mises en place pourtant avec le concours de la Banque Mondiale sont accusées de tous les péchés d’Israël écartées et remplacées par des structures étatiques ressuscitées au forceps. Puis surviennent des opérations commando pour récupérer manu militari, au mépris de toute procédure judiciaire, les intrants coton d’un opérateur économique. Simultanément ou presque, un autre opérateur bien connu est accusé de fraude fiscale. L’opposition tout entière dénonce le harcèlement fiscal et l’acharnement contre les opérateurs économiques, appelle à une pause sur le chantier des réformes et annonce la création d’un front pour la sauvegarde des acquis démocratiques. Pour toute réponse, le pouvoir crie au complot .
Le 1er août, jour de la fête nationale, le chef de l’Etat s’est offert une occasion en or pour siffler « la fin de la récréation », si c’en était une. Plus de quatre mois après le déclenchement des affaires pvi et coton, il aurait dû annoncer les mesures prises pour régler définitivement la question des réformes portuaires et celles relatives à la filière coton, pour que le pays cesse de faire du surplace. Au lieu de cela, les téléspectateurs ont eu droit, au cours d’un entretien-fleuve diffusé en différé sur trois des quatre chaînes de télévision de Cotonou, à de longs développements acrimonieux sur les raisons de la rupture du contrat pvi et les dysfonctionnements dans la filière. Toutes choses qu’on savait depuis les intrusions fugitives et intempestives du ministre des affaires maritimes sur le petit écran. Huit mois de tension pour rien ! Et depuis le 1er août, c’est cet entretien controversé qui alimente la polémique.
Le traitement de l’information
Le chef de l’Etat, tout le monde en convient- sauf quelques inconditionnels- a tenu des propos qu’il n’aurait jamais dû prononcer. Comment les journalistes auraient dû traiter l’information sans renoncer au droit sacré du public à l’information ?Tout le monde dit et les conseillers de la Haac le clament haut et fort :les journalistes de la télé auraient dû censurer les propos incriminés. Et de citer l’article 06 et 10 du code de déontologie. Nous reviendrons plus loin sur la validité de l’argumentation en citant in extenso l’article. Le problème n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît à première vue . il s’agit d’un entretien. Un entretien n’est pas un communiqué de presse ni un éditorial censé réfléter l’opinion du média. On fait parler quelqu’un qui expose ses idées, sa vision. La conduite et le montage d’une interview est un art qu’il faut maîtriser. Couper les passages gênants est une possibilité mais ce n’est pas la seule. Au cours d’une interview, le journaliste a la lourde responsabilité de rester sur ses gardes et de ne pas se laisser distraire par les propos lénifiants de la personne interviewée, fût-il chef d’Etat !Il y aurait tant à dire et à redire sur l’attitude de nos confrères qui ont mené l’entretien. Les propos incriminés auraient dû faire sursauter les intervieweurs qui auraient dû poser une question de relance au chef de l’Etat pour qu’il précise ses propos graves qui appellent ouvertement à l’affrontement. Le journaliste se mettrait ainsi dans la position du téléspectateur qui se décille les yeux pour se convaincre qu’il a bien entendu lesdits propos. Il aurait alors l’excuse de mettre les propos dénoncés par une formulation subtile de la question dans la bouche de l’interviewé. Et le chef de l’Etat aurait eu ainsi la possibilité de se reprendre et de préciser sa pensée. Même s’il est permis d’en douter, au regard de la suite des faits. Puisque, malgré les dénonciations de tous les acteurs politiques et sociaux, le chef de l’Etat a récidivé ! II a prononcé les mêmes propos dans les champs de coton devant des paysans analphabètes pour la plupart. Alors qui est donc responsable de la tension politico-sociale? Les journalistes qui ont fait leur travail d’information et de dénonciation des propos haineux ou le chef de l’Etat auteur de ces propos ? Les conseillers de la Haac déclarent sans sourciller que « les politiciens peuvent tout dire. Mais les journalistes ne doivent pas dire ni relayer ces dires. tout ce qu’ils disent. » D’accord ! Mais que faire lorsque des politiciens appellent ouvertement à l’affrontement et certains à l’assassinat, non pas une fois mais à plusieurs reprises ? Que faire lorsque c’est l’élu de la Nation qui est ‘‘à cœur ouvert‘‘ avec ses compatriotes un jour solennel ?Le journaliste peut-il s’abstenir de rapporter de tels propos sans commettre le péché originel du journalisme :la désinformation. Aucune limitation légale déontologique ou éthique ne doit empêcher le journaliste de sciemment faire l’impasse sur de tels propos, dont les citoyens doivent être tenus au courant au nom même du droit à l’information. Agir autrement dans de tels contextes participerait de la conspiration du silence qui compromettrait gravement la veille citoyenne indispensable dans toute démocratie de type libéral.
Non assistance à personne en danger
Il ressort de ce qui précède que toute la controverse aujourd’hui est née d’une interprétation tendancieuse et restrictive du code de déontologie de la presse. De ce point de vue, que prescrit l’article 6 du code de déontologie :« Le journaliste se refuse à toute publication incitant à la haine tribale et religieuse .Il doit proscrire toute forme de discrimination. Il s’interdit l’apologie du crime. » Ne pas publier les propos appelant à la haine, est-ce simplement faire l’impasse sur les propos haineux des hommes politiques ?Répondre par l’affirmative serait condamner les journalistes à la passivité qui s’apparente au délit de non assistance à personne en danger. Que faire, lorsqu’un acteur politique comme Mêdjico , dans sa verve militante de soutien à l’entretien du 1er août s’est permis de déclarer devant les caméras de la télévision de service public que les politiciens de l’opposition méritent d’être mis à mort, en des termes qui donnent froid dans le dos ? Si le journaliste se refusait à publier ses propos in extenso, en vue d’informer l’opinion citoyenne, il se rendrait complice de l’apologie du crime, aux termes du deuxième alinéa de l’article suscité.
Au total, les médias sont avant tout les gardiens du temple républicain, promenant leurs plumes, micros et caméras sur les dysfonctionnements de toute la société, de toutes les institutions de la république, y compris la Haac. Pour que le système démocratique que nous avons choisi à la conférence nationale des forces vives de la Nation, ne dérape pas, par la faute des acteurs politiques et sociaux. A moins de trois ans de la fin de leur mandat, les conseillers de la Haac doivent encore faire la preuve que l’aspect répressif de leur mission ne prendra pas le pas sur les mesures à prendre pour protéger les médias sutout ceux du service public, sur la bae du principe constitutionnel de la pluralité des opinions, dans une société qui sort de la longue nuit de la pseudo révolution socialiste où tout le monde a été contraint et forcé d’être d’accord avec tout le monde. Elle doit libérer et favoriser l’expression libre de la pensée. La Haac a la mission essentielle de garantir la liberté de presse dans notre Etat de doit. En cela, la limitation du droit n’est point synonyme de défense ou d’interdiction. Elle doit trouver les moyens légaux déontologiques et éthiques pour assurer à la fois la garantie et la protection de la presse.
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