La presse nous apprenait le 3 Octobre que la police a tué d’un seul tenant 7 personnes qui s’apprêtaient à agresser une dame, femme d’affaires de son état, avec dans sa gibecière la coquette somme de 400 millions de nos francs.
De prime abord la chose nous a paru époustouflante à tous égards ; aussi, en régime de bonne démocratie que nous sommes, notre voix discordera quelque peu d’avec celles qui ont loué sans réserve la police pour ce fait. Peut-être paraîtrons-nous alors trouble-fête ; nous en prenons le risque et la responsabilité citoyenne.
La police, se battre contre des malfrats prêts à n’importe quoi, y compris s’attaquer aux forces de l’ordre, pour réussir leurs forfaits ; se sacrifier en travaillant jour comme de nuit pour assurer la sécurité des citoyens et leur permettre de dormir sur leurs deux oreilles, en toute quiétude, n’est pas une fonction sans risque. Et nous devons toute reconnaissance et tout respect à ceux-là qui en ont fait leur métier. Quelques fois ils doivent tuer pour ne pas se laisser tuer ; ils agissent en état de légitime défense alors et ils ont le droit pour eux. Cependant la dernière tuerie ayant causé la perte de 7 vies humaines en raison de la légèreté d’une dame qui portait sur elle toute une fortune se devant d’être plutôt dans une banque, appelle réflexion.
L’horrible spectacle du sang et de la nudité gratuite
Avant même de faire notre réflexion sur la tuerie, nous commençons par prendre en compte ses effets patents : l’étalage du sang et de la nudité des victimes. Lorsque la police fait des prises de cette sorte en quoi est-il utile d’exposer les cadavres troués de balles, baignant dans le sang et dénudés ? Est-ce qu’en procédant ainsi, les forces de l’ordre veulent nous assurer qu’elles font bien leur travail et qu’elles sont performantes ; est-ce pour s’assurer nos félicitations ? Mais nous les payons pour faire ce travail à risque il est vrai; nous les payons, peut-être pas autant qu’il faudrait, pour garantir notre sécurité et je ne vois aucun exploit particulier à faire correctement le travail pour lequel l’on est payé. Est-ce pour décourager les malfaiteurs potentiels que l’on exhibe, tels des trophées, leurs dépouilles toutes nues comme pour corser le spectacle ? Rien de plus problématique ; l’efficacité de cette pédagogie somme toute macabre s’est déjà avérée incertaine sous d’autres cieux. Le brigand en préparation d’opération pense toujours que lui, sortira indemne de son forfait surtout s’il a été aguerri et renforcé dans sa conviction par les abracadabras des marabouts ou autres escrocs tout disposés à exploiter la crédulité des gens qui viennent à eux. Cette pédagogie de mise à mort prétendument pour l’exemple et la dissuasion, a été abondamment utilisée en Côte d’Ivoire sous le gouvernement du Général Guei mais elle a fait long feu ; elle ne donnait aucun résultat probant, tant s’en fallait et le brigandage ne reculait guère ; aussi les autorités avaient-elles fini par y renoncer : l’exposition des trophées des policiers à la télévision cessa alors. L’expérience de la police ivoirienne ne pourrait-elle revêtir quelque utilité pour nos forces de l’ordre? La mise à mort des malfrats suivie de l’exposition de leurs cadavres n’est pas dissuasive.
Si la population ne réagit pas négativement à ces tueries en série et aux expositions de cadavres, c’est à croire qu’apparemment son état d’esprit est en symbiose avec les actions de la police : le béninois a viscéralement horreur du voleur. Il est capable de battre à mort son semblable pour avoir chipé un mouton même si la bête ne lui appartient pas. Il lui suffit de crier au voleur dans les quartiers solidaires pour que tout le monde se réveille et malmène l’infortuné jusqu’à ce que mort s’en suive éventuellement. Lorsque vous questionnez les petites gens sur cet état esprit, ils vous expliquent le plus naturellement du monde, qu’il leur parait inadmissible qu’un intrus s’arroge, en un instant et sans scrupule, le droit de priver quelqu’un de ce qu’il a acquis honnêtement à la sueur de son front ; aussi la tendance du béninois moyen est-elle de se faire justice sur-le-champ au titre de corollaire de cet état d’esprit pourtant réprimé par la loi. Mais la psychologie du béninois moyen ne s’accommode pas de l’exagération ; le moment viendra où il dira : « trop c’est trop » en situation de retournement de sentiment. Nous autres cadres de la Nation qui avons la responsabilité de la clairvoyance et une longueur d’avance sur nos concitoyens, peut-être devrions-nous dès à présent tirer la sonnette d’alarme? Il n’est nullement de notre intention de porter un quelconque discrédit sur le travail qu’accomplit notre police en matière sécuritaire; tant s’en faut. En réalité ce qui a interpellé notre conscience, ce n’est pas le fait de tuer, au demeurant en situation de légitime défense, un malfrat en opération ; c’est la tuerie de sept personnes dans le même temps alors que l’on pouvait peut-être limiter les dégâts.
Ne pouvait-on maîtriser les brigands autrement ?
La police n’est quand même pas une machine à tuer. Depuis un certain temps l’on nous rebat les oreilles de ses tueries ; cette fois-ci ce fut une première sauf erreur de notre part : sept tués à la fois. Il doit tout de même exister en ce monde des balles qui immobilisent, qui tétanisent les muscles le temps d’aller passer les menottes aux malfaiteurs. De plus, nos policiers ne pourraient-ils faire un effort pour, dans toute la mesure du possible, orienter leurs balles sur les parties non vitales de la personne humaine ; ne pourraient-ils forcer leur adresse en visant plutôt les jambes, les épaules, les bras ou tout autre endroit qui ne provoquent pas systématiquement la mort ? J’ai conscience que l’on m’opposera le cas de légitime défense ; je sais aussi que l’on me demandera si face à des brigands de grand chemin prêts à tout faire pour sauver leur peau en même temps que leur butin, les policiers ont le temps matériel et la maîtrise en pareille occurrence, d’ajuster leur tir et de viser des parties bien précises des corps des malfrats, tels des enfants de choeur. Soit ! Mais généralement la légitime défense et la situation de panique s’expliquent lorsqu’il y a effet de totale surprise. Or dans le cas qui nous intéresse l’on ne saurait arguer de la situation de surprise ni de panique. L’opération s’est déroulée suite à une dénonciation : ce qui devrait donner et a effectivement donné à la police le temps de mettre au point la bonne tactique pour neutraliser les brigands à moins que l’objectif ait été de les tuer d’emblée ; l’opération devrait donc se dérouler à froid. Nous sommes perplexes lorsque nous nous posons la question de savoir pourquoi la police une fois informée du projet de forfait qu’allaient commettre les brigands avec risque de mort d’hommes, n’a-t-elle pas œuvré pour empêcher sa réalisation au lieu d’attendre, en toute connaissance de cause, que les malfrats passent à l’acte ; cela d’autant que les unités spéciales qui ont mené l’opération, le RAID, ont également pour fonction la dissuasion ainsi que l’indique la dernière lettre du sigle? Est-ce seulement pour avoir des preuves à charge des malfrats afin de justifier son intervention ? En tout état de cause nous devrions prendre garde de ne pas créer chez le béninois la banalité du sang ; l’accoutumance au sang versé. Nous convenons cependant que malgré tout, des imprévus peuvent survenir au cours d’une opération de police qui justifient, en situation de réelle légitime défense, de faire immédiatement feu sur des malfrats; mais dans ce cas, fallait-il vraiment en abattre autant si ce n’est en situation de bataille rangée ?
Le sort des victimes innocentes
Au cours de la descente de la police, dans l’affaire en question, des personnes innocentes n’ayant rien à voir avec les malfrats auraient perdu la vie. La police est-elle assurée en responsabilité civile pour faire face à des bavures toujours possibles en de telles opérations ou se contentera t-elle d’envoyer une délégation à la famille éplorée et de prendre en charge les stricts frais funéraires ou même de ne rien faire de tout cela ? Ces personnes seraient-elles mortes pour rien ; sans dédommagement aucun à leurs époux et enfants ? Puissent les organisations non gouvernementales défenderesses des droits de l’homme et aussi du bien-être des gens se préoccuper de telles situations ! L’occasion faisant le larron, je me dois de rappeler avoir déjà, dans une réflexion antérieure, posé la question de savoir si nos centres médicaux, notamment le centre national hospitalier universitaire sont, comme il se doit, assurés en responsabilité civile. Par ailleurs il est de notre avis que sur les 400 millions beaucoup d’argent devrait ou aurait dû être prélevé pour dédommager les familles des victimes innocentes tombées sous les balles perdues au cas où la police n’aurait pas une couverture risque.
Le phénomène de la dénonciation
Apparemment dans notre pays, bon nombre des prises importantes de nos policiers sont faites sur dénonciations. La police elle-même encourage la population à ce faire. Je ne sais ce que penser de cette méthode qui finira par créer le métier de dénonciateurs civils professionnels à la police avec tous les risques que cela comporte. Je pensais qu’il revenait à la police elle-même, avec le soutien de ses agents secrets en civil et d’informateurs dûment reconnus par elle, de dénicher les malfrats. Il me semblait alors que c’est seulement dans des cas spécifiques que la seule police a du mal à résoudre, qu’appel à témoin est fait et même des primes offertes à qui l’aiderait dans ses investigations ; tout cela régulièrement et en toute transparence sur les ondes. Mais dans notre pays l’exception paraît se transformer en règle. La dénonciation systématique par n’importe qui nous parait dangereuse d’autant qu’il peut y avoir malversation. En effet, dans ce genre de situation il y a en principe deux entremetteurs : d’abord celui qui avertit les brigands puis celui qui avertit la police. Mais il se peut que celui qui avertit les brigands soit le même que celui qui avertit la police ; avec pour objectif de se faire de l’argent des deux côtés. Nous nous n’avons rien à apprendre à la police en ce domaine ; nous cherchons seulement à mettre l’accent sur le côté immoral de la chose qu’il conviendrait peut-être de ne pas encourager. Des informateurs officiels et des collaborateurs patentés, il y en a dans tous les pays du monde mais veillons à ce que les nôtres ne soient pas de fortune et qu’ils ne soient pas eux-mêmes des escrocs et des complices dans l’ombre, se désolidarisant des leurs en dernière minute, faisant ainsi le double jeu.
Le maraboutage et les brigands
D’ordinaire, les brigands de grand chemin à la recherche de soutien moral et de spiritualité avant leur besogne s’en vont trouver les marabouts qui leur confectionnent des amulettes, induisent leur corps de je ne sais quel produit, invoquent le bon sort sur leurs armes et leur dessein. S’ils y croient, c’est leur affaire mais de toute évidence les amulettes n’ont pas eu raison des armes des policiers. C’est, de notre avis, un bon jugement que de considérer comme complices, ces marabouts sans scrupule ; vendeurs d’illusions jouant tout à la fois sur la fortuité naturelle des événements, le phénomène chance et le psychisme des gens . Non seulement complices ils sont par rapport au vol commis mais aussi, en partie, moralement responsables de la mort des brigands qu’ils ont encouragés dans leur forfait. Il se trouvera des avis contraires qui feront valoir que nous sommes en régime de libertés et que les marabouts ne font que ce dont ils vivent d’autant qu’ils ne forcent personne à venir vers eux : le raisonnement n’est pas dénué de fondement. Cependant une jurisprudence appropriée serait la bienvenue et constituerait déjà un excellent socle pour lutter légalement, de manière préventive contre le brigandage ; et discursivement, contre toutes les forces occultes qui nous pourrissent la vie et retardent le progrès.
La légèreté coupable de la victime présumée
Sous d’autres cieux la dame, apparemment femme d’affaires, qui se déplaçait avec 400 millions de nos francs sous les bras, serait poursuivie pour incitation au vol. La somme était trop importante pour être portée sur soi et partant, celle qui la transportait devrait être considérée comme suspecte. Nous aimons à penser que la police, préoccupée qu’elle était d’en découdre avec les malfaiteurs, n’a pas omis de considérer cet aspect des choses, Nous ne doutons pas que la police n’ait pas laissée partir cette dame sans l’avoir interrogée. Quelle profession exerce t-elle effectivement; d’où proviennent les fonds avec lesquels elle se baladait ; comment les a-t-elle obtenus ; pourquoi ne les a-t-elle pas déposés en banque ? A cause de sa légèreté sept hommes ont été tués ; sa responsabilité morale était engagée et on ne pouvait la laisser libre ainsi d’autant que pour des raisons qui ne manquent pas, une personne de telle légèreté peut bien avoir organisé son propre braquage ; ce n’est pas une hypothèse d’école .Nous sommes interloqués à l’idée que la police ait pu tuer autant pour protéger les biens d’une personne qui a agi avec autant de légèreté ; qu’elle ait pu ôter la vie à sept personnes pour protéger les intérêts d’une seule car en dernière analyse c’est bien de cela qu’il s’est agi ; nos policiers ne sont tout de même pas des commettants à ce que nous sachions. Puissent nos observations n’être pas perçues comme déniant à la police et aux forces de l’ordre en général, l’efficacité dont elles font preuve en maintes occasions dans la préservation de la paix sécuritaire ; nous leur devons franc respect et encouragement mais elles devraient prévoir qu’elles ne pourront asseoir durablement leur réputation sur la comptabilité des tués et que les tueries ne sauraient être la réponse au principe de l’obligation de résultat; et hauts les cœurs !
Par Candide Ahouansou
(Ambassadeur)