Bye-bye, Chinua Achebe

Quand on dit Chinua Achebe, on tend à répondre «Le Monde s’effondre». Comme s’il y avait osmose, c’est-à-dire une sorte d’influence réciproque entre l’un et l’autre. Etonnante complicité, en effet, entre l’écrivain de grand talent et le titre de l’un des ouvrages, parmi la quarantaine qu’il nous lègue. Chinua Achebe, 83 ans, écrivain nigérian, est décédé le 21 mars dans un hôpital de Boston aux Etats-Unis. 

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Mais son roman «Le Monde s’effondre» a déjà triomphé de la mort. Il continuera, dans le temps et au-delà du temps, de témoigner pour son géniteur.

C’est un baobab de la littérature africaine d’expression anglaise qui s’effondre. Et si, au cours de son parcours, le Nobel l’avait visité, cela n’aurait été que justice, lui qui a plané sur la production littéraire africaine depuis plusieurs décennies. Il en a été l’une des plus sûres références. Il nous laisse une œuvre immense qui voit se côtoyer essais et romans, recueils de poèmes et nouvelles, mémoires et livres pour enfants. Le génie créateur de Chinua Achebe a ainsi touché à tous les genres littéraires avec un égal talent et bonheur.

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Sa mort ne peut être que ressentie comme une grande perte. Une grande perte pour le monde entier, lui dont les ouvrages ont fait le tour de la planète terre. Une grande perte pour l’Afrique dont il restera à jamais l’un des dignes fils. Une grande perte pour le Nigeria, le pays qui l’a vu naître, la terre de ses ancêtres, ancêtres qu’il vient de rejoindre au «pays où nul ne meurt».

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Ce sont plusieurs générations d’étudiants de notre pays, de l’Afrique et du monde qui, dans leur commerce avec la langue de Shakespeare, ont rencontré, étudié, produit des mémoires, des études et des thèses sur «Le Monde s’effondre». C’est le titre en français de «Things Fall Apart», un roman qui aura été traduit en une cinquantaine de langues à travers le monde. Il a été vendu, en anglais seulement, à plus de 12 millions d’exemplaires.

Si Chinua Achebe en était resté à cette seule œuvre, n’ayant publié rien d’autre que «Le Monde s’effondre», ses lecteurs ne l’auront pas connu plus qu’ils ne le connaissent ; ils ne l’auront pas apprécié plus qu’ils ne l’apprécient. Chinua Achebe a donné la vie à «Le monde s’effondre» qui, à son tour, lui a donné une vie et lui a forgé un nom sur l’enclume de la notoriété.

Il s’agit, à travers ce roman, de tracer le destin global de l’Afrique, suite à sa rencontre tragique avec l’Occident, à travers le système de domination, d’exploitation et d’extraversion culturelle qu’est le colonialisme. Ce fut une trajectoire qui fut bousculée, la charpente multiséculaire d’un édifice qui fut brisée, l’intelligence de nos arrière-parents qui fut trouée. La colonisation signait ainsi l’un des viols les plus repoussants jamais perpétré sur un peuple. L’Afrique rendait les armes, contrainte et forcée de passer sous les Fourches caudines de l’étranger. Rentrés par effraction chez nous, les envahisseurs ne s’étaient pas activés qu’à voler nos biens, ils s’étaient appliqués également à prendre possession de nos âmes et de nos esprits.

«Le Monde s’effondre» de Chinua Achebe, pour être un roman, une œuvre de fiction, n’a pas moins eu sur les consciences africaines la morsure et la griffure d’un prédateur. Et c’est peut être parce qu’il s’agit d’une œuvre littéraire que son effet a été plus fort, que sa résonnance a été plus profonde. C’est là l’un des ressorts secret de la littérature, l’écriture d’un auteur, dans le cas qui nous occupe, ayant eu la force de prégnance nécessaire pour dire l’indicible et pour avoir sur les esprits des effets d’une exceptionnelle profondeur. En fait, la réalité vécue ou reconstituée parle davantage à nos sens. Tandis que la fiction s’adresse directement à notre esprit. On peut très vite oublier ce que l’on a touché de ses mains. Mais on n’oublie plus ce qui vous à touché à l’esprit.

On était en droit d’attendre que l’impact de l’œuvre de Chinua Achebe, «Le Monde s’effondre» sur nos esprits aide à nous ouvrir au plus tôt la voie indiquer par Nietzsche (Citation) :  «Seul ce qui fait mal, très mal, saisit l’homme tout entier et accélère le processus d’irruption de l’esprit en lui» (Fin de citation). Mais depuis des décennies, l’Afrique semble avoir oublié l’offense, dès lors qu’elle pactise avec ses agresseurs d’hier devenus ses principaux bailleurs d’aujourd’hui. Le monde s’effondre et n’en finit plus de s’effondrer Que faire ? Chinua Achebe n’est plus là. Il laisse à ses nombreux héritiers que nous sommes le soin de répondre à la question.

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