« Nous appelons les jeunes générations à faire vivre, transmettre l’héritage de la Résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ».
Tel est le message que Stephane HESSEL a laissé à l’humanité entière en quittant ce monde, le 26 février 2013 dans sa 96ème année. Il s’en est allé, tel un ange au ciel, emportant tout le reste d’indignation que son vieux corps pouvait encore irradier. Mais il a laissé tant d’indignés à travers le monde, que plus rien ne sera comme avant.
Petit ouvrage révolutionnaire
Indignez-vous, publié à Indigène éditions en 2010, collection « Ceux qui marchent contre le vent », est un opuscule de 29 pages qui a entraîné tant de bouleversements à travers le monde ; bouleversement pour ne plus accepter que les riches continuent d’amasser toujours plus, tandis que les pauvres n’arrivent même pas à assurer un seul repas quotidien.
J’ai découvert le texte de l’Indigné à travers un extrait publié dans un journal de la place en avril 2011. L’opuscule m’a été offert ensuite par un ami, en janvier dernier lors d’un colloque à Dakar. Cet opuscule, véritable bible de notre temps ne coûte que 3 euros comme indiqué sur la dernière de couverture. Un trésor à 3 euros m’a été offert, ai-je pensé en prenant le livre des mains de mon bienfaiteur. Et depuis, il ne me quitte plus. Il séjourne dans mon sac à côté du nouveau testament ; je le compulse comme un bréviaire, une boussole pour nourrir mon âme d’indignée face à tout ce que je vis autour de moi, au quotidien.
Karl Max nous avait instruits, jeunesse révolutionnaire béninoise des années 70, en nous apprenant que : « Ce sont les conditions d’existence qui déterminent la pensée » ; à savoir, qu’on ne peut réfléchir et agir de la même manière lorsqu’on grandit dans une baraque érigée par un père gardien sur un terrain vague, qu’on mange un fond de bol de gari au retour des classes. (Dieu merci, aujourd’hui, même les fils de pauvres y vont en grand nombre du fait de la gratuité de la scolarisation), et lorsqu’on descend les marches de la grosse villa d’un père richissime dont l’un 4 x 4 pansu vous dépose dans la plus belle école de la ville.
L’indignation, le premier jeune l’a sucée dans le sein de sa mère. Et en grandissant, s’il a la chance de tenir entre ses mains le petit livre de Stéphane HESSEL, il ne sera plus jamais le même. Le second, fils d’un père multimillionnaire pourra nourrir son âme d’indignation s’il prend conscience de toute l’injustice qui régit le monde des humains et si, pétri d’idéaux, il décide de se ranger du côté des exploités. Karl Marx l’avait fait. Beaucoup d’autres penseurs et philosophes également, malgré leur origine bourgeoise .
Ayant grandi au milieu de mes frères ainés, subissant leurs chicaneries au quotidien, j’ai trouvé mon salut en me rebellant et en rendant chaque coup injustement reçu. Ce qui m’a sûrement sauvé d’une mort certaine. Vous comprenez maintenant pourquoi j’ai l’indignation chevillée au corps. Celui qui accepte son sort sans oser s’indigner, se révolter contre l’ordre établi, est sûr de mourir couché, dans l’indifférence générale. Stéphane HESSEL est venu renforcer ma nature rebelle, et, actuellement, je suis une indignée permanente face à tous les abus, toutes les injustices, les drames sociaux que je la vie me fait vivre chez nous, et à travers le monde entier.
Si la guerre de 1945 a fait de Stéphane HESSEL un résistant, et si le motif de la résistance, c’était l’indignation, avons-nous le droit de rester indifférents à notre tour, face à toutes ces injustices qui sont devenues la norme dans notre société contemporaine ?
Jeunes generations ! prenez le relais, indignez-vous !
Stéphane HESSEL exhorte les opprimés du monde entier à s’indigner, notamment les jeunes, qui représentent la couche la plus importante de nos sociétés. Tous ceux là qui peuvent impulser un mouvement de protestation, de s’indigner pour remettre les pendules à l’heure.
Morceaux choisis : « Le motif de base de la résistance était l’indignation. Nous, Nous vénérons des mouvements de résistance et des forces combattantes de la France libre, nous appelons les jeunes générations à faire transmettre l’héritage de la résistance et ses idéaux. Nous leur disons : prenez le relais, indignez-vous ! Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l’ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie. Je vous souhaite à tous, à chacun d’entre vous d’avoir votre motif d’indignation, c’est précieux » P 12. Et lorsque j’entends certains intellectuels dire qu’il ne faut pas pousser le peuple à s’indigner, je leur demande humblement de lire S. HESSEL.
La grande indignée, CELESTINE ZANOU
Célestine ZANOU, ma collègue et amie qui, malgré les lambris dorés des bureaux glacés des organismes où elle a séjournés à travers le monde, a gardé intacte son indignation, face à l’injustice, « aux irrégularités et fraudes », lors du concours de recrutement au profit du Ministère de l’Economie et des Finances, face « aux chaos social, économique, moral et politique » dans lesquels notre pays, le Bénin est plongé.
Lire aussi : Lettre ouverte de Célestine Z. à Boni Yayi : «Le pays est en alerte rouge»
J’ai lu sa lettre ouverte au président Boni YAYI et j’y ai retrouvé des motifs d’indignation. Au-delà des mots qui expriment cette indignation, il y a lieu d’analyser froidement le contenu de cette lettre ouverte et d’en tirer des leçons, pour sortir de cette situation nauséeuse qui ne fait pas avancer le pays. Le mérite de Célè, c’est d’avoir dit haut et fort ce que tous les Béninois de tous bords murmurent ou disent tout bas. Certains vont jusqu’à conclure que la filière des faux diplômes a été créée pour caser les enfants, les neveux, nièces, et cousins à la Fonction Publique, puisqu’ils ont la garantie d’y entrer à ciel ouvert et d’autres non. Ce qui ne devrait susciter l’indignation de tous nos compatriotes, que nous soyons du Nord, du Sud, de l’Est, de l’Ouest, même du Centre.
Nous voulons une fonction publique républicaine
L’Etat doit être fort ; mais il a le devoir de protéger tous les citoyens et d’être juste envers tous les enfants de la patrie. C’est ce que dit notre drapeau : « Fraternité, Justice, Travail ». Célestine ZANOU n’a aucun enfant candidat à un quelconque concours au Bénin. Moi non plus d’ailleurs, en ce moment. Mais j’ai mal au cœur chaque fois que je lis les résultats des concours organisés par « cette fonction publique-là », qui ne ressemble en rien à une fonction publique républicaine », une administration de développement comme nous le souhaitons tous.
Si de mon temps les choses se passaient telles qu’elles se passent aujourd’hui, tous autant que nous sommes, assis derrière nos bureaux pansus dans des salles où il fait plus froid qu’en Sibérie, le cou solidement attaché par des cravates bleu, blanc, rouge, jaune, vert rouge… que sais-je encore ! Et les femmes, le visage peinturé, aussi rouge ou jaune qu’un citron mûr, juchées sur des échasses, eh bien, aucun de nous n’aurait eu la chance d’occuper nos postes actuels. Je me demande si l’actuel locataire de la Marina aurait réussi à passer par les mailles scolaires jusqu’à décrocher un titre de docteur ?
Je me souviens de tous les amis que mon frère aîné FASSINOU Narcisse Marc, dit « Blek Le Roc » ramenait à la maison lorsqu’il prenait ses vacances scolaires au Lycée Mathieu Bouké de Parakou. Mon frère ayant étudié jusqu’en terminale dans ce prestigieux lycée (en même temps que le président Boni YAYI d’ailleurs), n’avait comme amis que les jeunes du Nord, tel Alassane TIGRI avec qui la famille a gardé de bonnes relations, malgré l’exil de prolongé de mon frère. L’élite de ce pays était bien mélangée. Au Collège protestant où j’ai étudié à Cotonou, je me souviens encore de mes camarades de banc, MPO NTIA, TAWES, TOKO, IMOROU… véritables chevaliers servants qui avaient du plaisir à partager la même table que moi.
Le systeme de quota a detruit le rwanda
D’où est venu ce système de quotas qui a détruit le tissu social et entraîné le génocide au Rwanda ? A quel moment est né ce repli identitaire, cette affaire de quotas dans le partage des postes administratifs et autres recrutements à la fonction publique ? Il vaut mieux en parler et sonner l’alerte chez nous avant qu’il ne soit trop tard. Le génocide rwandais n’a été que l’éclatement d’une bombe dont les matériaux ont été longtemps concoctés d’avance. Né de frustrations longtemps ressassées, de rancœurs exacerbées, de haines ruminées, ce génocide a fini par dévaster tout sur son passage, laissant enfin exhumer hors des cœurs comprimés des citoyens de seconde zone tant d’injustices. Il faut que les expériences des autres peuples nourrissent aussi bien nos dirigeants que le petit peuple. Si Stephan HESSEL demande à chacun d’avoir ses motifs d’indignation, il ne demande jamais de prendre les armes pour combattre l’injustice. La non-violence est son crédo. « Les mots sont des pistolets chargés », a dit Sartre. Se taire, garder une indifférence face aux défis de son temps c’est pire que mourir couché. Et c’est ce que beaucoup de Béninois ont choisi de faire, pour une raison ou une autre.
L’indifference est la pire des attitudes
Je n’écoute plus les médias pour qu’on ne dise pas que c’est moi qui ai parlé de çi ou ça ! Voilà la réponse que m’a sortie une dame lorsque je l’entretenais sur l’actualité récente du pays. Mon père ne s’appelait pas «Papa Jeune Afrique» pour rien. Sans faire la politique politicienne, j’aime m’informer de tout ce qui se passe chez moi, et dans le monde. Cette réponse m’a laissée abasourdie. En arriver là pour garantir quelque privilège dû à un petit poste dans l’administration ! Je suis allée vers mon maître à penser HESSEL, en me demandant si cette dame n’avait pas raison de jouer au singe qui ne veut rien voir, ne rien entendre, ne rien dire, au lieu de tirer le diable par la queue comme moi qui n’arrive pas à faire semblant et manger tranquillement mon foin. Voici ce que pense S. HESSEL :
« L’indifférence est la pire des attitudes. Dire, je n’y peux rien, je me débrouille…En vous comportant ainsi, vous perdez l’une des composantes essentielles qui fait l’humain. Une des composantes indispensables : la faculté d’indignation et l’engagement qui en est la conséquence ». Sartre va plus loin et déclare : « Vous êtes responsable en tant qu’individus ». Il s’agit de la responsabilité de l’homme qui ne peut s’en remettre ni à un pouvoir, ni à dieu. Indignons-nous face à l’injustice, à l’oppression, aux nantis qui sont toujours à la quête du gagner plus… Cela n’arrive pas qu’aux autres. Et pour être efficace, HESSEL recommande d’agir en réseaux et de profiter de tous les moyens modernes de communication. Le printemps arabe nous en donne une belle illustration. Est-ce cet appel à la responsabilité qu’ont entendu ces jeunes Arabes pour oser lancer la révolution dans leurs pays ? D’autres les ont suivi tels Y en a marre… Le Front citoyen et dernièrement Alternative citoyenne…
Aux jeunes, HESSEL dit : « Regardez autour de vous, vous trouverez des thèmes qui justifient des situations concrètes qui vous amènent à donner cours à une action citoyenne forte. Cherchez et vous trouverez ». Si HESSEL a gardé intacte son indignation jusqu’à sa mort (96 ans), avons-nous le droit, tous autant que nous sommes, de 1 à 95 ans de dire « Je n’y peux rien, débrouillez-vous » ? Tous autant que nous sommes, portant la parole vers nos frères et sœurs n’ayant pas eu la chance d’aller à l’école, avons le devoir de leur ouvrir les yeux sur les réalités et aiguiser leur conscience citoyenne à conquérir ce qui leur revient de droit. C’est-à-dire plus de justice, plus de liberté. Parce que « si vous rencontrez quelqu’un qui ne bénéficie pas de ces droits, plaignez-le, aidez-le à les conquérir », nous recommande S. HESSEL.
Gardez l’espoir
« La course au toujours plus » peut être vécue comme un ouragan destructeur. « Gardez l’espoir », recommande Stephan HESSEL en s’appuyant sur les valeurs fondamentales : les droits de l’homme, ne pas transiger avec ces droits. « Espérer…Toujours espérer en un monde meilleur, un Bénin meilleur… débarrassé de toutes les formes d’injustices, contre la lutte au toujours plus, aux tripatouillages… aux quotas qui ne sont qu’une bombe à retardement et déchirent dans les cœurs l’unité nationale. S’engager comme un défenseur du monde, un redresseur des torts… Voici l’héritage que nous laisse ce grand humaniste et que j’ai tenu à partager avec vous, chers compatriotes.q
Adélaïde FASSINOU ALLAGBADA
Prof de Lettres – Ecrivain
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