« En ces temps là… » : l’histoire revisitée du Bénin à travers le Président Zinsou

Dans cette dernière partie, le Président Zinsou parle du coup d’Etat qui l’a déposé, du débarquement des mercenaires en 1977, de la Conférence Nationale, de l’élection présidentielle de 1991, du retour de Kérékou au pouvoir, et dit ce qu’il pense sur certaines personnalités.

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 Il va aussi donner ses opinions sur certains sujets et thèmes actuels.

« Toi aussi, Lioto ? »

. Le coup d’Etat qui le déposa a eu lieu le 10 décembre 1969. La puce a été mise à l’oreille du Président Zinsou par Bertin Borna, à travers une lettre alarmante dans laquelle il disait que quelque chose se tramait contre lui dans le rang des militaires. Mais en dépit des nombreuses informations qu’il a reçues sur le coup d’Etat en préparation, et des coups de feu tirés chez Maurice Kouandété, Chef d’Etat-major, le Président Zinsou n’y a pas trop cru. « Malgré toutes les informations et le rapport du Directeur général de la Sûreté parlant d’un véritable complot qui était en cours contre moi, j’ai continué de croire à la loyauté et à la fidélité du Chef d’Etat-major victime, pensais-je, d’une agression par laquelle on essayait de m’atteindre », précise l’auteur. C’est le jour où il s’apprêtait à appeler Kouandété dans son bureau et le sermonner que le coup a été fait. Ce jour, raconte-t-il à la page 224, « Je suis arrivé au palais par le grand portail que je n’empruntais pas d’habitude. Dans le même temps, arrivait du portail latéral une  jeep de soldats armés. Nos deux voitures sont arrivées presque en même temps au perron. Sans plus attendre, les militaires sautèrent à terre et ouvrirent le feu sur ma voiture. Ils vidèrent leur chargeur. Par miracle, alors que onze impacts de balles ont criblé ma voiture, je ne fus pas atteint… ».

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L’équipe des putschistes, grande surprise pour le Président Zinsou, était dirigée par Lioto qui dirige la petite section d’une dizaine de soldats chargés de garder la Présidence. Il était du pays de Kouandété et passait, aux yeux du Président Zinsou, comme un homme humble et dévoué. «  Je vis mon Lioto, les yeux rouges, me mettre en joue en me bousculant. Je le regardai et dis : « Toi aussi, Lioto ? ». Une autre surprise, Romuald Kitoyi était aussi dans le coup, car dit-il, « il pouvait être considéré comme son fils ».  Il est conduit à Natitingou et sut en cours de route, surpris, que c’est parce qu’il a voulu attenter à la vie du Chef d’Etat-major que les militaires l’ont déposé. Il est ramené deux jours plus tard à Cotonou et porté en triomphe par les populations. Déroutés, les militaires réunirent les anciens Présidents (dont Zinsou) pour lancer une solution bizarre : tous les quatre anciens Présidents devraient gérer le pays, simultanément, mais  la prééminence de l’un d’eux pendant deux ans. Zinsou s’y opposa et c’est ainsi que les trois autres (Maga, Apithy et Ahomadégbé) créèrent leur triumvirat qui amena au coup d’Etat du 26 Octobre 1972.

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Bob Denard à Cotonou

Le Président Zinsou affirme, à ce sujet, que c’est le journaliste Valentin Hodonou qui l’a appelé ce jour dimanche 16 janvier 1977 de Paris, alors qu’il était dans son hôtel à Rabat au Maroc. Mais il confirme être bien impliqué dans ce coup. « Dans la préparation de notre action, j’étais non seulement informé, mais aussi impliqué. Nous étions un groupe de compatriotes dahoméens à préparer une action de libération de notre pays du gouvernement qui y régnait au nom du marxisme-léninisme à peine lu et pas digéré, un pouvoir insupportable », nuance-t-il. De Bob Denard, il dit ne l’avoir rencontré que trois fois et bénéficié du soutien de quelques Chefs d’Etats amis.

« Bien qu’aucun moyen ne fût à l’époque possible et que les appels que nous recevions étaient pressants et déchirants, je crois que nous avons eu tort d’avoir voulu libérer notre peuple, qui en avait un grand besoin, par une intervention extérieure », regrette-t-il.

Retour au bercail puis…. Le Président Zinsou, plusieurs fois condamné à mort, ne revient au Bénin qu’à la suite de l’amnistie générale. Son retour fut organisé triomphalement par les responsables de son parti qui vivaient en clandestinité au pays. On peut citer, entre autres, Alexandre Adandé, Adrien Ahanhanzo Glèlè et Robert Tagnon. Ces deux derniers venaient de purger dix ans de prison pour « zinsouisme ». Le lendemain, sur insistance de ses amis, Zinsou est reçu en audience par le Président Kérékou. Il était accompagné de ces mêmes amis. Ce fut un entretien viril, comme lui-même le dit. Extrait : « Quand je fis remarquer que c’était une curieuse manière de me témoigner cette amitié que de me condamner trois fois à mort et saisir tous mes biens sans justification, ni aucun procès, il protesta : « je ne vous ai ni condamné à mort, ni saisi vos biens. Ebahi, je me demandais si le Président se moquait de moi. Pouvait-il vraiment ignorer que non seulement ce fut mon cas, mais celui de deux de mes frères, Aristide et son ami Réné ». (Page 237).

Rendons à César ce qui est à César

Sur la Conférence Nationale, le Président Zinsou reconnaît que si tout s’est bien passé, sans drame, ni effusion de sang, nous le devons à Kérékou et à Monseigneur Isidore de Souza. Si Tévoédjrè en a présenté un rapport magistral qu’il termina par un optimisme imprudent en disant «  nous avons vaincu la fatalité », selon Zinsou, tout s’est bien passé surtout à cause de ces deux hommes. Selon lui, «  la plupart des officiers membres du gouvernement et des grandes instances du pouvoir étaient hostiles à un changement qui les ramènerait  à leur place normale. Si Kérékou les avais suivis, n’avait pas résisté à la très forte pression qu’ils exerçaient sur lui, il est probable que nous aurions connu la situation dramatique qu’une attitude similaire provoqua dans d’autres Etats. On ne parlera jamais trop du rôle éminent joué par Monseigneur de Souza et du caractère providentiel de sa présence à la tête de la conférence. Chaque séance plénière était précédée d’une concertation dans un bureau attenant à la grande salle entre le Président Kérékou, Monseigneur de Souza et les anciens Chefs d’Etat. Ces réunions facilitèrent la détente de l’atmosphère et les travaux de la Conférence ». (Page 241).

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Soglo et son quinquennat

Zinsou affirme qu’en 1991, Nicéphore Soglo n’aurait pas dû être candidat. Il trouve que la réussite de son quinquennat – tout au moins sur le plan économique – n’est  pas le résultat de talents personnels des nouveaux dirigeants. « La tâche du nouveau pouvoir était facilitée par l’exemplarité de ce qui s’était passé depuis la Conférence Nationale, qui a suscité une grande sympathie pour notre pays et un grand désir de tous nos partenaires internationaux à l’aider. La qualité des dirigeants n’y est pour rien. Mais les nombreux concours obtenus  l’auraient été, quels que fussent les dirigeants, tellement le désir était grand, partout, pour nous aider », précise-t-il. *

Rencontres au long de la route

Il parle ici des hommes qu’il a rencontrés sur son chemin d’homme politique. Senghor l’avait reçu à diner chez lui, dans le quartier des Halles à Paris, en compagnie de Georges Pompidou. Le mot-clé de la vie de Senghor, c’est la « méthode ». Sur Alexandre Adandé, son compagnon de toujours, il dit : «l’un des plus authentiques patriotes que j’ai connus ». Sourou Migan Apithy était pour lui, « grand et bel homme ». Il admirait sa volonté de s’instruire pour devenir expert-comptable, et reconnaît qu’il était patient, « une patience qui parfois tendait vers l’inaction, un bon flair politique qui lui évitait d’intervenir à chaud, ceci lui a valu dans les discussions et les querelles, une excellente réputation de meneur d’hommes ». Hubert Maga fut élève de son père à Parakou, mais il ajoute ceci de lui : « il lui manquait d’avoir, sur les options politiques fondamentales, une position claire et ferme, parce que cédant plus aux pressions de l’amitié qu’aux choix idéologiques ou politiques ». De Kérékou, il dit que c’est un homme imprévisible, intelligent et patriote, qui aime le pouvoir mais qui ne prend jamais ses responsabilités.  Il ajoute : « Il est celui des Chefs de l’Etat du Bénin qui a le mieux compris la mentalité de notre peuple et qui sait lui servir, à point nommé, les propos qui le détendent et le font applaudir, qui trouve les gestes qui provoquent les ovations ». Gratien Pognon est un des premiers jeunes diplomates de son temps. C’est avec lui et quelques autres, notamment Maurice Glèlè, Adrien Houngbédji,  Antoine Dohounou, Cosme Hountondji, Valentin Hodonou , que nous avons mis sur pied une organisation d’opposants au régime de Kérékou. Il dit être le responsable et Pognon son second. « C’est ainsi que Gratien Pognon s’est retrouvé à la tête des événements du 16 janvier 1977.

Révolté

Il se désole de ce que la politique est devenue. « Si j’avais été convaincu que la politique fût le champ clos des tromperies,  des coups bas, de l’égoïsme, je n’en aurais jamais fait », affirme-t-il. Il fustige la royauté actuelle. « Dans mon pays, le nombre de rois est aujourd’hui d’au moins 10 fois supérieur à ce qu’il était du temps de nos vrais rois. Notre République moderne et démocratique a produit à profusion plus d’une cinquantaine de ce que les discours officiels appellent « têtes couronnées » qui sont sans couronne ni royaume à l’exception de leur famille », dénonce l’auteur. Sur le pouvoir, il dit qu’il est un philtre qui enivre. Pour l’exercer, il ne faut pas être seulement intelligent. Il faut avoir du caractère et de l’humilité. Il dénonce aussi le pouvoir de l’argent dans nos sociétés.  « L’argent dont je ne nie pas la nécessité, ni la grande utilité, se substitue, aujourd’hui, à Dieu et à la patrie », dit-il, déplorant qu’on ait supprimé l’enseignement de la morale et de l’éducation civique, et qu’on court après une certaine modernité qui prétend sauvegarder les libertés et protéger les droits humains. Il souhaite enfin que nous fassions l’inventaire de nos qualités et défauts. « Il ne faut pas laisser aux autres, dit-il, le soin de les dénoncer en nous méprisant ou en nous ridiculisant. Il s’agit, ayant reconnu nos faiblesses et nos fautes, surtout en ce qui concerne le destin de notre peuple, de notre nation, de tout faire pour que les choses changent, le plus rapidement possible. C’est à nous-mêmes que je m’adresse. Je ne m’exclus pas des responsabilités de nos maux », conclut l’auteur qui vient de souffler ses 95 bougies.

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