Bamako : rumeurs de guerre et espoir de paix

Apparemment, rien n’a changé depuis mon dernier passage en novembre 2010 lors de l’ultime édition d’Etonnants Voyageurs.

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De l’aéroport de Senou jusqu’en pleine ville, l’ambiance, au premier regard, parait la même. Les rues sont toujours encombrées de voitures, surtout ces bus verts bondés de passagers, qui crachent des fumées cotonneuses dans l’air. Les enfants, eux, s’accrochent toujours aux voitures à l’arrêt dans les feux tricolores pour essuyer les pare-brises contre d’improbables piécettes. Sur les trottoirs, les étals de fruit de saisons se succèdent. Avril, c’est la couleur jaune ou rouge des mangues qui tranche dans le décor. Et les femmes, nonchalantes et altières, malgré l’agressivité du soleil, se déhanchent dans leurs pagnes ou leurs boubous avec une étonnante décontraction. Bamako, en temps de guerre, circulez, il n’y a rien à voir.

Pourtant,  lorsqu’au bout de la traversée, on approche les gens et qu’on discute avec eux, les choses deviennent moins évidentes. Derrière l’apparente normalité des visages, la situation est autre. Que ce soit l’épicier de la rue, le professeur de lettres,  ou même le vendeur de thé bédouin, la guerre, dans leur vie familiale, professionnelle ou relationnelle, est présente. Certes, les effets ne se perçoivent pas de la même manière, mais ils créent de façon générale beaucoup de contrariétés dans leurs quotidiens.

Dans la maison d’un ami sise à Banconi, un quartier populaire, je remarque une cour bondée de monde. Ce sont des parents venus de Gao, ville anciennement occupée par les djihadistes. Ils sont à l’étroit dans la concession, mais ils n’ont pas le choix, car là-bas, au nord, même si la présence des islamistes a été considérablement réduite, les attentats perpétrés contre les civiles ne les poussent guère à envisager un retour immédiat. Mon ami, professeur de lettres, doit utiliser les trois quarts de son salaire pour entretenir ce petit monde, dans l’espoir que d’ici là, la situation redevienne normale.

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Quartier du Fleuve, matin, neuf heures. L’effervescence ici, est remarquable. On a l’impression d’être dans une ambiance des grands jours quand le commerce florissait et que les boutiques de quincaillerie livraient, par milliers, les matériaux de constructions aux entrepreneurs. Mais cette agitation est entretenue par quelques commerçants qui prévoient, qu’après la paix, les besoins du pays en infrastructures, vont tripler, puisque les chantiers en souffrance seront repris et multipliés. Bel optimisme qu’un petit commerçant tempère. Mamadou Traoré ne voit pas la situation s’améliorer de si tôt. « Après la guère, dit-il, il faut gagner la paix, organiser les élections, les rancœurs sont si tenaces que… Regardez comment ça se passe en Côte d’Ivoire ».

Brusquement, deux pickups surgissent de la rue adjacente. A l’arrière, des militaires, bérets rouges et bérets verts alignés de chaque côté de leurs sièges. Ils sont raides, le fusil droit entre les jambes, le regard sec. Quand on pense qu’il y a encore quelques semaines, ces deux corps de l’armée malienne s’affrontaient comme des cow-boys, le spectacle paraît irréel. Mamadou Traoré sort son chapelet, se frotte les mains et, les yeux levés vers le ciel, soupire : « pourvu que ce ne soit pas la réconciliation de l’hyène et du crocodile ».

A quelques mètres de là, sous un manguier où s’est installée une cafétéria, la scène ne laisse pas indifférente. Les gens qui prennent leur petit déjeuner semblent sceptiques : « au lieu de parader ici, avance quelqu’un, ils n’ont qu’à aller là-bas, au front. Surtout le Capitaine. C’est là-bas qu’il montrera qu’il est garçon au lieu de jouer ici le matamore de garnison »

De l’autre côté de la ville, non loin du Stade Modibo Kéita, l’Ecole Liberté a fière allure. Tour autour, ont été érigés des grillages et des barbelés avec des murs hauts et des couloirs de passage qui filtrent l’entrée. C’est l’école française, véritable bunker gardé par des soldats en armes. Le directeur est heureux de m’accueillir d’autant qu’un an plus tôt, il finissait sa mission au Bénin à l’Ecole Montaigne. Les effets de la guerre sont visibles sur l’effectif des élèves de son établissement. « Beaucoup sont repartis en France avec leurs parents », confie-t-il, « un peu plus de trois cents depuis le début de l’opération Serval ». Il s’arrête soudain, les yeux fixant le vague : « la peur et la tension qui avaient pesé sur la communauté française ont disparu mais le futur pour nous reste lié aux incertitudes qui planent sur le Mali ».

Les incertitudes ? Elles s’égrènent à l’infini : la sécurisation entière du pays, le difficile dialogue national, la réconciliation improbable, les élections présidentielles hypothétiques. Bref, ce n’est pas demain la veille.

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