Interview du Professeur Honorat Aguessy sur le cinquantenaire de l’Oua : « Il y a trop de balbutiements et de tergiversations… »

L’homme et l’événement ne sont, sans doute, pas à présenter. L’homme, le Professeur Honorat Aguessy, c’est bien de lui qu’il s’agit, est le père des sociologues béninois.

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Ancien chercheur au Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS-Paris), il est le fondateur de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences humaines de l’Université d’Abomey-Calavi (Uac), au Bénin.  Président du Congrès mondial du panafricanisme (Comopa), il est le coordonnateur-fondateur de l’Institut de développement et d’échanges endogènes (IDEE), sis à Ouidah sa ville d’origine, dont il est le fondateur.  L’événement n’est rien d’autre que la célébration, ce 25 mai, du cinquantenaire de l’Organisation de l’Unité Africaine (Oua), devenue à partir de 1999 Union africaine (Ua). Panafricaniste convaincu, le Professeur Honorat Aguessy est un observateur averti du processus d’intégration sur le continent. 

C’est dans l’une des salles de son institut qu’il a bien voulu se prêté à nos questions sur l’intégration africaine et le panafricanisme, cinquante ans après la création de l’Oua. Très amer sur le passé, il reste, dans une certaine mesure, optimiste pour l’avenir. Sa position doit se savoir.

La Nouvelle Tribune : Bonjour Professeur Aguessy. Ce 25 mai, la communauté africaine célèbre le cinquantenaire de l’Oua, devenue entre temps Ua. Vous êtes octogénaire. Vous aviez donc la trentaine en 1963. En tant que jeune africain à l’époque, quel sentiment vous a animé à la création de l’Oua ?

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Professeur Aguessy : Nous, on était en plein travail. Moi j’étais au Centre national de recherche scientifique (Paris). Je ne savais pas qu’on créerait le 25 mai l’Oua, après avoir reçu à Paris, l’information concernant le discours percutant, pertinent  de l’Osagyefo Kwame Nkrumah de la veille, c’est-à-dire du 24 mai 1963. Je n’ai pas pensé que ses 31 pairs pouvaient aller dans le sens où ils sont allés, après l’avoir écouté le 24. Et je crois que c’est un symbole. Quand on constate la disparité entre le discours qui a été dit le 24 mai et ce qui a été fait le 25 mai, on voit que vraiment, toutes les tergiversations, tous les balbutiements de l’Afrique se situent là.

Quelle impression avez-vous du chemin parcouru en 50 ans?

Cinquante ans après, il se trouve que, quand ils doivent parler maintenant du quinquagénaire d’Addis-Abeba, eux-mêmes, leur dernier mot à l’occasion de leur dernière rencontre d’Addis-Abeba, c’était pour vanter le mérite du Panafricanisme, c’était pour parler du Panafricanisme et dire comment ils vont approfondir le Panafricanisme. Il y a trop de balbutiements, il y a trop de tergiversations, il y a trop de démonstrations de la part des responsables des territoires qui, pour l’instant, ne constituent pas des pays. Ces territoires qui dépendent d’autres, de sorte que d’autres ne parleront jamais de cinquante ans d’indépendance. Nous parlons de cinquante ans d’autogestion de la nouvelle dépendance.

L’objectif premier de l’Oua tel que mentionné dans sa charte, c’est de « renforcer l’unité et la solidarité des Etats africains.» De votre regard de sociologue et de panafricaniste, où en sommes-nous à ce niveau ?

 Nous, nous regrettons seulement qu’il n’y ait pas de solidarité, qu’il n’y ait pas d’unité. Il y a tout simplement des conférences sur la solidarité, des conférences sur l’exigence capitale de l’unité. Mais rien n’est fait pour que ce soit une réalité permettant à l’Afrique de se développer avec ses ressources naturelles énormes et avec ses ressources humaines considérables.

Pourquoi dites-vous qu’il n’y a ni solidarité, ni unité ?

Jamais nous ne voyons une activité à propos de laquelle cette solidarité se manifeste. Je peux vous citer un exemple à propos de l’éducation. Le texte de l’Unesco, convention sur la reconnaissance des études et des certificats, diplômes, grades et autres titres de l’enseignement supérieur, adoptée à Arusha le 05 décembre 1981. C’est ce texte qui devrait permettre aux territoires africains d’asseoir une solidarité incontournable et une unité admirable, vu tout ce qui y  est dit en matière d’organisation des structures de l’enseignement supérieur  où il faut organiser la mobilité des enseignants et des apprenants, où il ne s’agira plus d’équivalence de diplôme, où on va se répartir les taches du point de vue de l’éducation. A tel territoire, ça peut être les préoccupations de l’agronomie ou de l’agriculture, à tel ça peut être  ce qui concerne l’informatique, à tel ça peut être la médecine. Etc. Des choses intéressantes pouvant permettre aux Africains, aux apprenants, de se retrouver au même endroit pour bénéficier d’une éducation bien peaufinée, sérieuse, avec les meilleurs enseignants de l’Afrique, les meilleures infrastructures, les meilleures techniques d’apprentissage. Et parvenir à des inventions indispensables. Mais au sortir de là, Il y a eu un problème de ratification. Pourtant c’est un instrument de développement considérable de l’enseignement supérieur. Voilà pour déplorer ces négligences qui sont habituelles.

L’Oua symbolise 50 ans d’intégration ou de tentative d’intégration….

Actuellement, on a cru devoir procéder à ce que j’appelle des micro-intégrations régionalistes. C’est-à-dire telle structure pour l’Afrique de l’Ouest, telle structure pour l’Afrique centrale, telle structure pour l’Afrique australe, telle structure pour l’Afrique du nord, telle autre structure pour l’Afrique de l’Océan indien, des considérations pareilles.  Pour tout ce qui a été mijoté et peaufiné par l’Unesco dans le cadre de ses responsabilités pour l’Afrique, c’est toujours la vraie intégration qui avait été prise en considération, notamment du temps de Maktar Mbow.

Comment se porte cette intégration-là, l’intégration africaine?

L’intégration africaine connait une vie admirable, au point de vue de la ratiocination, du verbiage et des conférences sans lendemain. 

Avec l’Oua, globalement, qu’est-ce qui n’a pas marché?

Avec l’Oua, il n’y a pas eu union, il n’y a pas eu intégration. Il n’y a eu que de verbiages.

Il y a quand même eu des acquis?

De même que rien ne se passe dans la vie des nations, des territoires, sans des impairs, sans des trébuchements, de la même façon, on a beau opté pour le verbiage, on a beau opté pour le bavardage et les tergiversations, il y a de temps en temps des acquis. Mais des acquis qui n’entrent pas dans un ensemble, des acquis qui ne sont pas saisis de façon holistique, c’est ça vraiment. Des acquis qui ne sont pas saisis de façon panafricaine pour permettre ce développement holistique de l’Afrique.

Vous pourrez nous donner quelques acquis ?

J’ai dit philosophiquement, sociologiquement, qu’il n’y a pas vraiment rien que des échecs ou rien que des succès dans les entreprises des différentes institutions. Qu’il ne puisse pas ne pas y avoir des acquis. Certainement qu’il y en a. C’est que je ne veux pas être pessimiste, c’est pourquoi je dis qu’il y a eu des acquis. Mais ces acquis ne retiennent pas l’attention et la considération des panafricanistes.

Parlant de panafricanistes, vous êtes le président du Congrès mondial du Panafricanisme (Comopa), comment se porte aujourd’hui le Panafricanisme ?

Tout dépend de l’acception de l’expression « se porter ».  De nos jours, ne serait-ce que par ce qui a été dit par ceux qui ont toujours trahi le Panafricanisme, ce qui a été dit par les responsables des territoires, les responsables des Etats à leur dernière réunion, nous voyons que chacun a conscience que le Panafricanisme est incontournable. Et nous aussi, nous disons que c’est le Panafricanisme seul qui peut sauver l’Afrique. C’est grâce à ça que l’Afrique peut être développée de façon durable.

Au carrefour entre l’Oua et le Panafricanisme, il y a un homme. Je veux parler de Nkrumah avec son grand oral  du 24 mai 1963 sur le Panafricanisme comme seule voie pour le développement de l’Afrique. Les idées développées par Nkrumah dans ce discours ont-elles encore leur raison d’être aujourd’hui ? 

Il n’y pas une seule proposition à retirer de ce que l’Osagyefo Nkrumah a dit dans le discours du 24 mai 1963. Quand on m’a demandé une communication pour les 50 ans de telle ou telle manifestation africaine, et le thème de ce qui devrait se faire c’était « l’audace ». Je crois que ma communication c’était « l’audace du discours du 24 mai 1963». Si la plupart des autres discours sont des bavardages pour amuser la galerie, au moins celui-là était pour éveiller l’attention, c’était pour permettre aux gens de connaitre les réquisits, les conditions sine qua non pour le développement durable de l’Afrique.

On ne demande même pas aux gens d’aller faire travailler leur cerveau, d’aller faire travailler leur intellect. Qu’ils reprennent le discours du 24 mai 1963. Si d’ailleurs la jeunesse ne connait que ce discours, ça suffit pour qu’elle se dote d’idée incontournable sur la nécessité du Panafricanisme, sur la nécessité de l’intégration en vue d’un développement et en vue de l’autosuffisance de l’Afrique. N’oublions pas les points essentiels sur lesquels il a mis l’accent et qui de nos jours s’imposent encore. Qu’est-ce qu’il dit ? Chers pairs, pour le paraphraser, nous ne pouvons pas nous développer sans avoir une monnaie commune et une banque centrale commune. Nous ne pouvons pas nous développer sans une diplomatie commune, et non avec la présence de 54 systèmes diplomatiques, 54 bavardages diplomatiques. Nous ne pouvons pas nous développer sans un commandement militaire commun. Nous ne pouvons pas nous développer sans une commission qui puisse nous aider à analyser comment utiliser nos ressources, nos ressources considérables. Nous ne pouvons pas nous développer sans penser à l’éducation qui constitue une base très importante pour notre développement. Nous ne pouvons pas nous développer si nous continuons à nous appeler Ghanéen, Ethiopien, Sénégalais, Guinéen etc. Et l’Osagyefo, dans cet éclairage magnifique dont nous le savons gré, n’a pas manqué de dire, « nous sommes tous des Africains et rien d’autre.»

On peut donc espérer dans 50 ans, c’est-à-dire quand nous allons célébrer le centenaire de l’Oua, une Afrique unie et prospère ?

Ah oui ! Si la jeunesse prend conscience, et se met dans le mouvement.

Mais est-ce qu’on sent aujourd’hui en la jeunesse la fibre panafricaniste qu’il faut ?

Rien ne peut se faire sans la jeunesse. Et tout ce qui a été fait maintenant, c’est grâce à la jeunesse.

Comme pour dire qu’elle n’a pas le choix?

Les jeunes doivent comprendre que tout dépend d’eux. Et qu’ils doivent toujours revenir au discours de Cheick Anta Diop, ne serait-ce qu’à cette dernière phrase. « Vous les jeunes, si vous ne faites pas le Panafricanisme, vous vivrez l’enfer sur cette terre. »

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