Il était une fois, Albert et Robert

Albert Tévoèdjrè s’en va. Robert Dossou aussi. L’un et l’autre partent pour des raisons différentes. L’un et l’autre ne se donnent pas la même destination. Ils n’auront pas le même point de chute. Tous les deux ont un profil de politiciens au long cours. Tous les deux ont eu à diriger de hautes institutions de la République.

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Albert Tévoèdjrè qui va sur ses 84 ans est l’aîné de Robert Dossou de dix ans. Au regard des dispositions de notre constitution, l’un et l’autre ont passé l’âge pour être éligibles, pour être candidats à la magistrature suprême. Toutefois, pour l’un et pour l’autre, ce n’est pas faute d’avoir essayé. C’est connu : beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. Resteront pour l’un et pour l’autre des regrets. Si près du but et manquer de transformer l’essai. Cela laisse sûrement un goût d’inachevé.

La Conférence des forces vives de la Nation, en 1990, a rapproché, sans les confondre, le destin de l’un et le destin de l’autre.  Ce tournant majeur de notre vie nationale les a auréolés tous les deux de la couronne d’accoucheurs d’histoire. Le pays, en effet, allait à vau-l’eau. Le régime marxiste-léniniste, à bout de souffle, s’emmêlait les pédales, ne sachant, de Marx et de Lénine, de Mao et de Castro, à quel saint socialiste se vouer. Albert Tévoèdjrè, rapporteur général de cette Conférence, se tailla la part du lion. Il brilla de mille feux par la grâce d’un rapport de haute facture qui fit date. Ce rapport a mis son auteur sur orbite, et en accord avec ses vœux secrets, sur l’orbite d’un destin national.

Il va sans dire que ce tapis rouge n’aurait jamais pu être déroulé pour Albert Tévoèdjrè si quelqu’un, en coulisses et dans   l’ombre, ne s’était posé en architecte inspiré de cette Conférence des forces vives de la nation. Ne cherchez pas longtemps. Ne cherchez pas trop loin. Le cerveau organisateur de cette grande messe de la nation assemblée et rassemblée, sur la voie de se frayer une nouvelle voie de salut, n’était autre que Robert Dossou.

Curieux destin que celui de ces deux hommes. Ils se sont souvent croisés. Ce sont-ils vraiment rencontrés ? Albert Tévoèdjrè fut enseignant, professeur d’histoire et de science politique. Robert Dossou, avocat de son état, n’a moins enseigné le droit à l’Université nationale du Bénin. Il inscrivit à son tableau de chasse le titre de doyen de la faculté de droit de cette même université. L’un et l’autre ont été ministres dans divers gouvernements. L’un et l’autre ont siégé, à divers titres, comme députés, représentants du peuple, dans diverses Assemblées et représentations nationales.

Tous les deux, à des époques différentes, ont eu à briguer le poste de Secrétaire général de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), mais sans succès.  Si Albert Tévoèdjrè, à l’extérieur, a fait une belle carrière de fonctionnaire international, au BIT notamment, Robert Dossou, à l’intérieur, sur le plan professionnel, a été sacré et consacré bâtonnier par ses pairs avocats. L’un se distingue en arborant un chapeau à la Jomo Kenyatta. L’autre    retrouve, de temps en temps, ses racines ethniques dans l’humus presque centenaire des Nonvitcha de Grand-Popo, pagne autour des reins, serviette de toilette autour du cou.

A 84 ans, Albert Tévoedjrè, décide, de son propre gré, de quitter ses fonctions officielles. Il a choisi la date et l’heure de son départ. Il tient à rester maître de son timing et de son agenda. Il marche, comparaison pour comparaison, sur les traces du Pape Benoît XVI.

A 74 ans, Robert Dossou, part de la tête de la Cour constitutionnelle. A-t-on requis son avis ? Pas si sûr. Tout porte à croire qu’il a été mis devant le fait accompli. Il n’aurait pas choisi, en tout cas et de son propre chef, cette sortie par la porte de service. Car rien, apparemment, ne s’oppose, dans un esprit de saine continuité, à sa reconduction pour un second mandat à la tête de la Cour constitutionnelle. 

 Albert Tévoèdjrè ne part que pour rentrer en religion sous le nom de «Frère Melchior». Robert Dossou sort de scène sans mot dire.  Aurait-t-il épousé la sagesse malinké ? Celle-ci nous apprend ceci : « Le destin a une main divisée en cinq doigts. A un homme, il lui fait poser deux doigts sur les yeux, lui en met deux dans les oreilles et, lui posant le cinquième sur les lèvres, il lui dit : «tais-toi».

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