La parité des genres : le Togo en marche, quid du Bénin ?

Les 30 et 31 mai 2013, la Ministre togolaise de la promotion de la femme, Mme Patricia Dagban Zonvidé a organisé à l’Université de Lomé, en partenariat avec le PNUD et l’Union européenne, un colloque pluridisciplinaire sur le thème : « Problématique de la parité du genre : représentations, enjeux et perspectives ».

 Quatre entités d’acteurs nationaux étaient aux débats, à savoir, les universitaires, les responsables de partis politiques, la société civile, le gouvernement.

Les deux journées de débat  ont servi à faire le tour des questions liées au concept de la parité, pour apporter des éléments de réponses à proposer, dans le cadre des politiques de développement durables de nos pays fondées sur la parité des genres. Pourquoi la parité doit quitter le stade théorique à travers les discours officiels, les débats parlementaires et descendre au stade d’une véritable politique paritaire sur le terrain ? Ce colloque auquel nous avons été conviés, à savoir deux professeurs de l’Université d’Abomey Calavi (UAC), en l’occurrence les professeurs Adrien Huannou et Bienvenu Koudjo, ainsi que moi-même, Adélaïde F. Allagbada, écrivain qui s’investit pour la cause des femmes, a été organisé, « afin que la réflexion universitaire détermine et explore des pistes qui contribueraient à l’élaboration d’une véritable politique du genre, endogène et efficace… » Ainsi la recherche universitaire viendra éclairer la société et tous les leaders d’opinion dans la recherche de voies endogènes à l’application du concept de la parité dans nos pays. Cette piste doit être vivement  recommandée aux ministres et institutions s’occupant des problèmes liés à la femme, et pourquoi pas, tous les problèmes de la société.

L’argumentaire était clair : « Il est question de savoir si les débats actuels qui ont lieu dans plusieurs cercles de réflexion et qui soulèvent la question du genre et de la parité dans les espaces africains mobilisent et questionnent les contextes sociopolitiques, idéologiques, historiques, etc. Ces questions permettent-elles de faire le bilan des idées et des débats, de faire émerger de nouveaux questionnements sur la femme, ses rapports à son environnement, les exigences qui sont les siennes dans une société en pleine mutation, etc. Bien plus, les évolutions et les défis auxquels nos sociétés qui conservent encore des paramètres identitaires, induisent-ils des changements notoires qui sont en relation avec les approches de la question genre en Afrique, et particulièrement au Togo ? »

« Les avancées connues au plan scolaire, juridique et politique par notre pays commandent que l’on interroge les différents types de rapports, les possibilités offertes à la femme, les nouveaux comportements sociaux, les fondements d’une société qui continue de fonctionner à partir des schémas hérités des traditions, des us et d’une longue habitude de gestion « masculine » de la place des femmes, de leurs droits et devoirs ».

TOGO, BENIN, même combat

Toutes ces interrogations interpellent aussi la société béninoise. La délégation béninoise, qui a participé pleinement aux travaux en y apportant une contribution de qualité, s’est vite rendue compte que la situation des femmes était la même dans nos deux pays. Encore que le Président Faure GNASSINGBE en présentant ses vœux de fin d’année aux femmes togolaises en décembre 2012, leur avait promis la parité. Ce qui s’est traduit par le vote d’une loi à l’Assemblée nationale, loi N° 2013 – 004  portant modification de la loi N° 2012-002 du 29 mai 2012 portant Code électoral qui stipule en son article 220 que :

« Les listes des candidats présentés par tout parti politique ou regroupement de partis politiques légalement constitués ainsi que par les personnes indépendantes doivent respecter dans l’ensemble, la parité homme-femme. » Mais à la fin du dit document, il est écrit en son article 2 (nouveau)  : « Les dispositions de l’article 220 relatives à la parité homme-femme sur les listes de candidatures pour l’élection des députés à l’Assemblée nationale ne s’imposent pas pour les élections législatives en cours d’organisation ». On en reparlera plus loin.

A travers les diverses communications présentées  et les débats suscités, il est clair dans l’esprit de tous les participants que la parité du genre doit quitter le stade des discussions théoriques, pour devenir une réalité dans nos pays. En effet, que veulent les femmes ? Pas se mesurer aux hommes pour leur prendre la place, leur arracher les postes, tous les postes, comme ils le craignent en faisant de la résistance. Elles veulent juste un accès équitable et pas forcément égalitaire aux postes de nomination dans l’administration et aux postes électifs. C’est un droit que nous donnent la Constitution et notre Code de la famille.

 La parité : une question de volonté politique

En ces moments où la plupart des ministres renouvellent leurs cabinets, prenez les listes de nominations en Conseil des ministres et vous serez édifiés.  Est-ce à dire qu’il n’existe pas de femmes compétentes qui peuvent faire partie des équipes dirigeantes de nos administrations ? Et pourquoi continuer à nous accorder  deux ou trois petites places ? C’est triste et regrettable que les choses aillent de mal en pire de ce côté-là. Quand il a fallu faire l’état des lieux genre au niveau des postes de responsabilités à la télévision nationale togolaise, la TVT, je n’étais pas fière d’être de chez moi. Combien de femmes au gouvernement, à l’Assemblée, dans les institutions ? Comment pouvons-nous être plus mal logées que nos sœurs togolaises, alors que notre pays est plus peuplé et que la scolarisation des filles a connu chez nous des bonds tant qualitatifs que quantitatifs ?

Qu’avons-nous fait pour mériter ça ?

Tous les communicateurs l’ont martelé : «La parité, c’est une question de volonté politique» ! Sans la volonté politique, rien ne bougera sur ce front. Car les hommes, assis sur leurs privilèges, ne nous donneront jamais de gaîté de cœur la chance  de nous élever à leurs côtés. Ils nous préfèrent derrière eux, pas à leurs côtés. Mais la réalité est là, implacable ; et elle nous rattrapera. Nos pays ne peuvent se soustraire à l’évolution des mentalités, aux changements des comportements, aux avancées que connaissent les femmes à travers le monde. Certes, il ne s’agit point de calquer des modèles prêts à porter des pays occidentaux chez nous, mais plutôt d’opter pour des approches endogènes afin d’inclure les 52 % de nos populations dans le train du développement. De peur de les oublier pour toujours sur le quai de la gare. Un séminariste, du genre masculin a reconnu que « les hommes ont échoué dans la conduite du monde », qu’il est temps de donner leur chance aux femmes, afin qu’elles prouvent de quoi elles sont capables. « Le temps des femmes est arrivé », a déclaré un autre participant.

Conventions contre toutes discriminations faites aux femmes

Du moment où nos deux pays ont ratifié toutes les Conventions internationales  contre toutes les formes de discriminations faites aux femmes, alors si nous voulons continuer de bénéficier de l’aide des partenaires, de leurs soutiens et accompagnements divers, nous devons associer la femme à toutes les prises de décisions. Il faut qu’on sente la volonté politique d’amener une équité des genres désormais dans les instances de prises de décision. Il est important de quitter le stade des déclarations et autres vœux pieux pour passer aux actes. Les partenaires ont bien compris que le développement de l’Afrique passe par la libération des femmes, à travers le partage du pouvoir. L’Union africaine et la CEDEAO l’ont compris et ont instauré la division Genre au sein des Commissions. Pourquoi nos pays traînent-ils autant les pas ? Une société patriarcale qui nous relègue au dernier plan : 8 femmes sur 81 députés ; 7 femmes sur 31 ministres au  Togo…

Et pourtant, comme l’a affirmé une participante de la société civile : « Nos pays ne devraient pas hésiter à appliquer le concept de la parité, vu la part de nos contributions dans la gestion familiale, base de la société, surtout dans nos économies nationales». Sans entrer dans les détails, nous femmes béninoises, à l’instar de nos sœurs togolaises, sommes des soldates au front sur qui les maris comptent énormément. Le pays également nous fait confiance pour apporter notre pierre à sa construction. Dans la sous-région, nous sommes citées partout en exemple. Et pourquoi nous payer ainsi en monnaie de singe ?  Au lieu d’être encore parmi les pionniers comme ce fut le cas, pour la Conférence  des forces vives de la Nation, nous tiendrons la lanterne dans l’application de ce concept. C’est une question de volonté  politique a dû expliquer au Président Boni Yayi, le président rwandais, lorsqu’il s’informa du mode de gouvernance dans son pays, au cours du sommet sur la coopération entre le Japon et l’Afrique, la semaine dernière.

Parité dans le Code électoral togolais

Le Président Faure a annoncé les couleurs en intégrant la parité dans le nouveau code électoral du Togo ; même s’il y a mis un bémol. La volonté politique aurait été d’y aller franchement comme l’avait fait le Président Wade au Sénégal. En tout cas, les femmes togolaises ne sont pas prêtes à attendre 5 ans pour l’application effectivité de la loi sur la parité. Elles sont décidées à se battre et, à travers leurs propos, le ton était donné au colloque. «  Nous voulons beaucoup plus de femmes ministres, beaucoup plus d’ambassadrices, directrices de cabinet, directrices, conseillères techniques… Maires et conseillères communales. Comme on le dit en langue fon : «  c’est comme si elles avaient pénétré dans mon cœur ». Tous ces vœux rejoignent ceux des femmes béninoises dont j’ai porté la voix dans ce pays frère.   Dans mon pays, le Bénin, seuls les politiques ont droit à la parole et argüent des pesanteurs sociales pour renvoyer sine die le vote de la loi sur la parité des genres aux calendes grecques. Peu importe toutes les frustrations et les injustices dont les femmes souffrent dans notre société. C’est pourtant un outil de justice, de cohésion sociale, de progrès comme l’avait fait comprendre le président sénégalais à ses compatriotes.

 Il faut passer aux actes 

 Simone VEIL, femme politique française, a bien raison lorsqu’elle déclare dans son ouvrage autobiographique : « … Je suis convaincue que la société ne peut que bénéficier de l’apport spécifique pour elle de la réduction des inégalités dont souffrent les femmes… il est inutile de proclamer la discrimination positive au son de la trompette. Il est préférable de la pratiquer. Nul besoin pour cela d’employer de grands mots qui ne peuvent qu’ameuter les idéologues de l’égalitarisme républicain, non plus que de débattre de quotas sur lesquels personne ne s’accordera. La problématique de l’égalité des chances et des mesures correctives qu’elle appelle va très au-delà de la question de la parité entre les hommes et les femmes ; elle est évidemment au cœur des questions d’intégration et de cohésion sociale. Là aussi, la discrimination (positive) s’impose » in « Une Vie » Edition Stock, 2007.

Trêve de promesses et de vœux pieux. Il faut passer aux actes, comme le souligne Simone Veil. François Hollande  est passé à l’acte, en formant un gouvernement de parité après son élection à la tête de l’Etat français. A l’instar de Barak Obama, aux Etats Unis  dont la sécurité intérieure repose sur des femmes ; Suzanne Rice vient d’être appelée à ce poste, alors qu’elle était ambassadrice de son pays à l’ONU. Faire confiance aux femmes de chez nous; leur donner les chances de réussir leur mission aux côtés des hommes. J’entends encore la doyenne Justine  Béhanzin déclarer : «   les femmes ont toujours été laissées pour compte dans notre pays ». Et pourtant, cette brave femme a lutté aux premières heures du syndicalisme africain, aux côtés des premiers présidents de l’ère des indépendances de nos pays. Le temps passe et plusieurs générations s’effacent, emportant avec elles des trésors de savoir-  faire utiles à nos pays, à l’Afrique, pour la sortir de la misère dans laquelle les hommes l’ont plongée du fait des guerres, de la gabegie,  de la corruption et des mauvais programmes de développement. Seule une volonté politique nous sortira de l’exclusion, nous femmes, pour participer pleinement au développement de nos pays, au même titre que les hommes. Resserrons nos rangs ! Evitons les querelles de personnes et d’humeur pour ne pas donner au genre masculin des prétextes de notre marginalisation pérenne. Surtout une grande confiance en nous-mêmes et en nos capacités intrinsèques.   

Adélaïde FASSINOU ALLAGBADA
Prof de Lettres – Ecrivain

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