Dans le but de concrétiser son intention de réviser notre Loi fondamentale, le Chef de l’Etat a eu à effectuer certaines démarches, depuis son arrivée au pouvoir en 2006.
Mais, la plus notable de ces démarches est la mise sur pied d’une commission spéciale chargée d’étudier les possibilités de réforme de tout l’arsenal politico-institutionnel national, afin de faire des propositions concrètes pour mettre un Etat de droit moderne, tout en consolidant les acquis démocratiques.
Telle était la mission de la commission mieux connue sous le nom de «Commission Gnonlonfoun», dont le Rapport sur l’Etude de la Constitution, publié en mars 2012, vous est décrypté, entre les lignes, afin que tout citoyen puisse comprendre le bien-fondé de la démarche de révision de la Constitution, tel que l’a fait ressortir la Commission Gnonlonfoun, tout en se faisant sa propre opinion en connaissance de cause, c’est-à-dire avec les éléments pertinents relevés par la Commission et les recommandations qu’elle a eu à faire.
1) Bref rappel historique
Il faut noter que l’intention de réviser la Constitution béninoise de 1990 ne date pas d’aujourd’hui, et remonte à bien avant le régime de l’actuel Président de la République, Yayi Boni.
En effet, dès le régime du Président Kérékou, au cours de son deuxième mandat, plusieurs voix, et non des moindres, s’étaient levées pour demander une révision de la Loi fondamentale. Même si cette démarche n’a pas connu de concrétisation officielle sous forme de projet de loi, les rumeurs étaient bien persistantes. A telle enseigne que les citoyens ont dû s’organiser pour protester contre tout projet de «révision opportuniste» de la Constitution, de sorte à permettre au «Général-Président» de s’offrir un troisième mandat.
Avec la fameuse campagne de «Touche pas à ma Constitution», avec l’impact que nous connaissons, ainsi que quelques autres actions d’éclat, les citoyens ont pu empêcher ce projet de voir le jour. Mais, ce n’était qu’un sursis.
Ainsi, en 2006, entre les deux tours de l’élection présidentielle devant consacrer l’arrivée au pouvoir de l’actuel Président de la République, Yayi Boni, un accord politique est intervenu entre les forces politiques réunies dans l’Alliance pour un Bénin Nouveau (ABN), un groupe rassemblant plusieurs partis politiques qui ont décidé de soutenir l’élection du candidat Boni Yayi. Dans cet accord, il était question de procéder à un «toilettage» de la Loi fondamentale, même si aujourd’hui certains acteurs présents lors de cet accord réfutent aujourd’hui cette assertion, en affirmant qu’il n’a jamais été question de révision, mais plutôt «d’actualisation» pour rendre plus opérationnelle l’actuelle Constitution, après plusieurs décennies de bons et loyaux services.
Ainsi, arrivé au pouvoir, le Président de la République a fait de la révision de la Constitution une des actions majeures devant marquer son passage à la tête de l’Etat béninois. Ceci est encore plus vrai depuis qu’il a été réélu en mars 2011, ayant annoncé clairement son intention de réviser la Constitution du 11 décembre 1990, dès les premières semaines de son second et dernier mandat.
Une Commission spéciale chargée de l’élaboration des avant-projets de lois, dans le cadre des Réformes Politiques et Institutionnelles, dite Commission Gnonlonfoun, a été créée par le Décret N° 2011-502 du 25 juillet 2011 (remarquez la proximité avec l’investiture du Président réélu en avril 2011). Cette Commission a effectivement démarré ses activités le 5 septembre 2011, travaux sanctionnés par le Rapport sur l’étude de la Constitution béninoise, «Consolider les Acquis Démocratiques», dont nus vous proposons ici une synthèse analytique.
Il est à préciser que la Constitution n’était pas le seul texte sur lequel devait se pencher la Commission Gnonlonfoun. Il est juste le plus important. Car, le travail de la Commission a consisté a s’intéresser de près, par une étude en profondeur, à plusieurs textes juridiques du Corpus institutionnel national.
2) La Révision de la Constitution en question
Tout projet de révision constitutionnelle est «sensible», en cela que, dès que l’on envisage de «toucher» à la Loi fondamentale qui régit la République et garantit l’Etat de droit, les citoyens et les groupes politiques craignent des modifications «intuitu personae» de nature à permettre à un homme ou un groupe de personnes, de confisquer le pouvoir et de fouler du pied les acquis démocratiques.
D’où le problème de la «sincérité» du projet de révision de la Constitution par le Président de la République, surtout depuis sa réélection pour un deuxième et dernier mandat (2011-2016). A ce sujet, les analyses contenues dans notre chronique «Pour une Révision sincère de la Constitution», publiée dans ce même numéro, vous éclaireront encore mieux.
On peut apprécier cette question de la «sincérité» de la démarche révisionniste du Président de la République selon trois angles.
Primo, le Chef de l’Etat, voyant le terme de son mandat approcher, est soucieux de «graver» son nom dans les annales de l’Histoire nationale, en tant qu’artisan de la Révision de la Loi fondamentale béninoise, par une «actualisation» des dispositions constitutionnelles de 1990, il y a vingt-trois (23) ans, afin de les rendre plus conformes aux réalités actuelles et de répondre à certaines exigences internationales, notamment en ce qui concerne l’abolition de la peine de mort, la constitutionnalisation de la Cour des Comptes, etc.
Secundo, il est à mettre au crédit de cette «sincérité», les nombreuses «réformes» reconnues nécessaires, par différentes voix bien autorisées (dont l’éminent constitutionnaliste et professeur, ancien Président de la Haute Cour de Justice, Monsieur Théodore Holo, pour ne citer que celui-là), afin de «rendre pus fonctionnelle» Constitution qui date de plus de vingt ans, en y inscrivant de nouvelles dispositions plus dans l’air du temps et en conformité avec les nouvelles orientations de la République : imprescriptibilité des crimes et délits économiques pour mieux lutter contre la corruption ; reconnaissance des initiatives populaires pour faire entrer le Bénin dans de plain pied dans la démocratie participative.
Enfin, tertio, il s’agit d’ériger et de constitutionnaliser certaines institutions absentes jusque là de l’appareil institutionnel national, qui garantissent encore plus l’Etat de droit, un des soucis majeurs de l’historique Conférence Nationale des Forces Vives de 1990 : Il s’agit en l’occurrence de la Cour des Comptes (dont nus avons déjà parlé supra), de la Commission Electorale Nationale Autonome (CENA) et du Médiateur de la République.
Et la Commission Gnonlonfoun n’a pas manqué de se prononcer sur ces questions et d’y apporter des éléments d’appréciation, dans son Rapport d’étude de la Constitution béninoise du 11 décembre 1990.
3) Le Rapport de la Commission Gnonlonfoun, entre les lignes
Selon son cahier de charges, la Commission Gnonlonfoun «a tenté de se détacher des considérations politiciennes, comme le stipule son rapport à la page 9, pour s’attacher à l’Histoire constitutionnelle béninoise, à la pratique des institutions, à la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle, et aux nouvelles tendances du Droit constitutionnel.»
Ainsi a-t-elle procédé à des amendements de forme et de fond du texte constitutionnel.
Partant du principe que la Constitution du 11 décembre 1990, du haut de ses vingt-trois (23) ans, a montré toute sa solidité. La Commission a donc opté pour une sorte de «toilettage», au lieu d’un «balayage du revers de main», en se remettant dans le rôle du constituant.
Le rôle de la Commission Gnonlonfoun, et elle l’a réaffirmé dans son rapport, n’est pas de «refondre» entièrement la Constitution en vigueur (celle de 1990), mais plutôt d’y apporter des «correctifs», par l’inscription de nouvelles normes constitutionnelles et l’adjonction de nouvelles dispositions.
Il s’agirait donc plutôt «d’apporter des réponses concrètes et circonstanciées aux problèmes rencontrés» (page 10 du rapport) dans l’application des normes constitutionnelles actuelles, par exemple les situations de discordance de majorité dues aux limites des textes actuels, ce qui a parfois créé des blocages et des rapports tendus entre l’Exécutif et l’Assemblée Nationale.
Compte tenu de l’immensité de la tâche et des suspicions ambiantes, la Commission Gnonlonfoun a rappelé le mode opératoire qui doit être adopté dans toute démarche de révision constitutionnelle, surtout dans le cas d’une constitution qui n’a jamais été retouchée, tout en recommandant «précaution et attention particulière» afin d’accomplir la mission confiée, comme il se doit.
La Commission est restée consciente, tout au long de son étude, du fait que la Constitution n’est pas un texte intangible, et que des modifications peuvent apparaître nécessaires. Ainsi la Constitution française de 1958 a été modifiée 24 fois en 55 ans, et ce dès 1962, 4 ans après son entrée en vigueur… «Alors que celle du Bénin n’a jamais été retouchée en 23 ans !»
Un constat qui a donc conforté la Commission dans son travail ; avec un «nécessaire équilibre» entre deux tendances :
• Ne pas réviser trop facilement une constitution, est une vertu ;
• Ne pas y toucher, indéfiniment, est une faiblesse, qui risque, à terme, de briser loe socle institutionnel national.
«L’important est donc d’adapter la Loi fondamentale aux réalités et à l’usure du temps, en choisissant des périodes assez espacées, pour tirer leçons de la pratique des institutions mises en place.»
Dans ce souci d’adaptation de la Loi fondamentale, «les révisions peuvent apparaître nécessaires, soit pour corriger les lacunes et imperfections techniques révélées par le fonctionnement des institutions, soit pour marquer un tournant décisif dans l’orientation politique du régime» (Page 10 du rapport).
Dans l’un ou l’autre cas, il peut s’agir :
• Soit d’un simple «toilettage», par amendement et corrections apportées à la Constitution en vigueur ;
• Soit d’une Loi fondamentale inspirée de la précédente, afin de «refonder» un nouveau socle institutionnel, par une réforme en profondeur.
Et, sur cette seconde option, l’avis des constitutionnalistes est nécessaire pour nous dire si oui ou non il s’agit, dans le cas d’espèce, dans le dernier projet envoyé au Parlement le 6 juin 2013, il s’agit d’une «Nouvelle République» !
La Commission Gnonlonfoun a donc repris certaines dispositions, considérées comme intangibles, de la Constitution de 1990, notamment la forme présidentielle du régime.
D’autre part, les principaux acquis issus de l’historique Conférence Nationale des Forces Vives, ont été maintenus : Articles 42, 44, 54… limitant le mandat présidentiel, l’âge des candidats à la magistrature suprême… Conformément à la Décision DCC 11-067 du 20 octobre 2011 (forme républicaine et laïcité de l’Etat).
Comme l’a rappelé la Commission, à maintes reprises, ces acquis doivent toujours être préservés, car participant du «choix initial» de création d’un Etat de droit et d’une démocratie pluraliste, par un «large consensus» issu de la Conférence Nationale… Un large consensus désormais érigé en Principe de valeur constitutionnelle par le juge.
Dans tout projet de révision de la Constitution, ce principe de «consensus» doit donc toujours être respecté, car il a valeur constitutionnelle : Concertation, consultation populaire ou autres formes…
En outre, la Commission Gnonlonfoun a été «soucieuse du renforcement de l’édifice constitutionnel» (page 11 du rapport), par la constitutionnalisation de certaines institutions nécessaires à l’enracinement de la démocratie au Bénin : la Commission Electorale Nationale Autonome (CENA), la Cour des Comptes, le Médiateur de la République…
Une autre nouveauté notable réside dans l’imprescriptibilité des crimes économiques, érigée en norme constitutionnelle, de sorte à pouvoir faire efficacement face au fléau de la corruption.
En définitive, ce sont ces grandes orientations, déjà définies depuis la Commission Ahanhanzo-Glèlè et reprises par la Commission Gnonlonfoun de 2012, qui ont été reprises dans le présent projet de révision constitutionnelle, envoyé à l’Assemblée Nationale, en ce jour historique ou fatidique (selon le sort que l’Histoire lui réservera), du 6 juin 2013.